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Critiques de Will Eisner (196)
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L'appel de l'espace

Ouaiiiis, la suite de l'appel de Cadix ! Trop super !

Ben mon Luis, qu'est-ce qu'il se passe-t-il ? Je peine à retrouver tes yeux de velours, Chi-ca ! Chi-ca ! Chic ! Ay ! Ay ! Ay ! 



Peu n'importe puisqu'on y gagne ici en m² loi Carrez, tout bon en cas de revente.

Sommes-nous vraiment seuls dans l'univers ?

N'existerait-il donc point une entité extra-terrestre avec qui il serait possible d'établir un éventuel contact qui pourrait, rêve absolu, déboucher sur une nouvelle demande d'ami sur mon compte Fastbock ?



Will Eisner prend le parti du oui affirmatif !

Postulat de départ, la captation d'une bête séquence modulée par un groupe de chercheurs sis à Mesa, New Mexico. Il n'en faudra pas plus pour chambouler la face du monde mais surtout instaurer un certain climat d'hostilité entre Russes et Américains.

Faut dire que chacun veut être le preum's dans cette course aux étoiles, alors en piste !



Bande Dessinée d'une richesse incroyable, tant au niveau graphique qu'anecdotique, cet appel de l'espace mixe habilement politique et thriller tout en dézinguant joyeusement l'opportunisme politique habituel. Il n'omet pas de pointer du doigt ces tout nouveaux messies, prétendus porteurs de la parole nouvelle et bien plus focalisés sur leur trajectoire personnelle, souvent grassement rétribuée, que par la cause originelle.



Et que dire du coup de patte d'Eisner ?

Ouaaaah a big a-ma-zing ! Oui, j'aime à rendre hommage au phrasé si dense de la divine diva Carey lorsque le temps me le permet.

Un contraste blanc/noir d'une perfection et d'une intensité peu commune !

Le dessin claque, la mise en page originale achève de vous achever. Tiens, comme une gêne gênante dans la phrase précédente.

Heureux papa du Spirit, Eisner, en maître justement reconnu, influença bon nombre de futurs grands du comics. L'exemple le plus frappant, Sin City d'un Frank Miller au sommet de son art.



L'appel de l'espace, wxhzzynnntftrrqurt*



*Allô, qui est à l'appareil ?
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L'appel de l'espace

L'appel de l'espace commence par la réception sur terre d'un message provenant de l'étoile de Barnard située à près de 10 années lumières. La recherche de signaux en provenance d'autres étoiles de la galaxie est une des activités du SETI depuis les années 60. Aucune tentative n'a permis de démontrer l'existence d'une civilisation extra-terrestre. Pour l'instant, rien ne permet de démontrer qu'il y a une forme de vie intelligente dans la galaxie. Je suis d'ailleurs un partisan du fameux paradoxe de Fermi. Pour rappel, cette théorie montre que nous devrions normalement être en contact avec des civilisations extra-terrestres compte tenu de la jeunesse de notre soleil par rapport à d'autres étoiles de l'univers. La logique voudrait qu'une civilisation plus avancée que celle de la Terre aurait déjà dû prendre contact avec nous. Le paradoxe est que nous n'en n'observons aucune trace ...



Pour en revenir à la bd qui a certainement inspiré le film "Contact" avec Jodie Foster, Will Eisner va rester sur Terre pour démontrer l'enchainement d'évènement qu'un tel signal pourrait produire sur la population à travers les sectes ou encore sur les gouvernements en se servant de la rivalité Est-Ouest. N'oublions pas que cette bd a été réalisée en 1984 pendant la période de la guerre froide à un moment où les USA voulaient manifester leur hégémonie sur le monde. C'est donc une véritable course non pas vers la Lune mais pour l'envoi d'une fusée en direction de l'étoile de Barnard. Les amateurs de science-fiction vont être forcément un peu déçus car c'est une série qui tend plutôt vers l'espionnage.



Il y a une bonne maîtrise de différents aspects par Will Eisner en analysant la portée d'un signal venu de l'espace : politique, scientifique, religieux... Je regrette simplement qu'il y ait eu quelques raccourcis très faciles rendant certains éléments un peu naïfs voire incohérents. Cependant, l'essentiel est préservé. On va passer un agréable moment de lecture où cela partira sur plusieurs pistes pour un final maîtrisé.

En tout cas, c'est une forme très subtile de la part de l'auteur d'aborder la science-fiction autrement. Oui, il avait incontestablement du génie.
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L'appel de l'espace

Cette BD, parue entre 1983, est considérée par certains spécialistes comme le chef d'oeuvre de Will Eisner. J'ai aimé les dessins travaillés en noir et blanc, un peu moins l'histoire. Le début était plaisant avec l'idée d'habitants d'une autre planète. Seulement cela tourne vite en politique avec la concurrence américains-soviétiques qui m'a vite embrouillée.
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L'appel de l'espace

J'ai lu ce chef d' oeuvre, dans sa première édition française de la fin des années 80. Il m'a passionné et emporté, comme sut le faire le Contact de Carl Sagan quelques trente ans plus tard.

Will Eisner, véritable grand maître de la bande dessinée américaine, a porté une réflexion aussi dense que complète sur cette interrogation de l' homme: Sommes nous seuls dans l'univers? Et si, de ce cosmos aux lointains mal connus, nous parvenait un signal émanant d'une intelligence autre qu'humaine?

Alors, Will Eisner convoque tous le monde dans ce récit à la démesure ordonnée de son talent de conteur et d'observateur avisé...

Comme le Spirit, à travers son masque de justicier , explorait l'âme des gens; L' Appel de l'espace expose et analyse les conséquences d'un message venu d'un ailleurs inatteignable par l'homme.

Alors, par son dessin efficace et son récit sans faille, l'auteur nous entraîne dans la ronde folle des politiques, militaires et barbouzes, financiers, truands, allumés des sectes qui veulent tous jouer leur partition dans ce rêve spatial symbolique des espoirs de notre humanité.

Qui, dans ce magma des passions, saura raison garder? Qui se posera la question primordiale de savoir si la Terre est prête à répondre au message et à envoyer un explorateur à la rencontre de la source du message?

Et Will Eisner de donner sa vision qui, assurément sage (trop peut-être) qui ne ravira pas tous le monde mais se veut prudente et réservée.

Puisque, après la tempête revient le calme...non sans quelques épaves sur le littoral.
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L'appel de l'espace

Peu adepte des comics, je me suis laissé séduire par le thème du message venu de l’espace.

L’expérience a été assez remuante…

Commençons par le dessin qui est assez succinct, rapide et là uniquement pour illustrer le propos qui est l’élément essentiel de ce livre. La mise en image et la disposition des vignettes est symptomatique de ce genre : ça va dans tous les sens… Mais reste lisible malgré tout.

En ce qui concerne le récit, eh bien vous en avez pour votre argent ! Plus de 130 pages très denses, où les actions, les rebondissements et l’avancée narrative vont à une vitesse hallucinante. Il faut s’accrocher… Pas le temps de s’installer, on passe quasiment toutes les pages d’un lieu à un autre. Là-dessus, vous imaginez que la moitié de la page est consacré à l’écriture. Je déconseille d’ailleurs la lecture en une traite parce qu’il faut quand même un peu réfléchir sur les enjeux globaux présentés par l’écrivain. Après le choc des yeux, le remuage de méninge commence….

Le style : dialogues, personnages, ambiance, culture est évidemment très américain même si l’auteur cherche à intégrer des éléments mondiaux dans son analyse politique. Parce que évidemment, il ne s’agit pas d’un livre scientifique ou d’aventures mais bien d’une critique politique du monde actuel même si l’action se passe pendant la guerre froide. L’auteur n’a d’ailleurs pas beaucoup de commisération ni d’espoir pour l’espèce humaine (un peu comme moi, tiens). Les petits profits passent très souvent au-dessus de l’intérêt général et notre héros, le fil rouge de cette histoire, le plus altruiste ou humaniste de la bande, a bien du mal à s’en sortir… Le bémol que je mettrais à ce travail impressionnant est, je pense, là encore symptomatique d’une certaine culture américaine. Il s’agit de l’exagération, grossir le trait, moyen stylistique pour clarifier le message mais qui alourdit et amène souvent à la caricature. Je n’irai pas jusque-là pour ce livre mais malgré tout, j’ai trouvé certains passages assez lourds, avec des manques de finesse ou de nuance.

L’auteur est réputé pour son analyse sociétale assez acérée, mais je trouve que son propos est un peu brouillé au milieu de ces actions et événements trépidants. C’est malgré tout un bon livre qui ne m’a pas fâché avec le genre….

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L'appel de l'espace

En pleine nuit à l'observatoire de radio-astronomie de Mesa, au Nouveau-Mexique, un signal survient des profondeurs de l'espace. Fait d'un concept mathématique simple, sans signification, il ne peut avoir été envoyé que par des êtres intelligents. Les trois hommes présents localisent l'émission radio.

Elle provient d'une des planètes de l'étoile de Bernard, pas plus grosse que notre lune et qu'une sonde spatiale atteindrait en une dizaine d'années....

Will Eisner nous offre avec "l'appel de l'espace" un récit dense et complexe qui ne prend ce postulat, issu de la science-fiction, que pour nous emmener vers la restitution d'un monde qu'il a finement observé.

Dans ce long album de 128 planches, Eisner décortique de nombreux aspects de la société américaine. il décrit le nouveau candidat à la présidence, Dexter Milgate, comme un homme ignare, obtus et nationaliste et dénonce son "va-t-en guerre" brutal. Il montre un système présidentiel sclérosé par l'attentisme de la justice et l'affairisme du politique qui ne peut se passer du soutien des multinationales qu'en s'adressant à la mafia.

Il dénonce les journalistes avides de sensationnel, les sectes manipulées par d'étranges gourous.

Eisner, dans cette oeuvre foisonnante mais jamais confuse, nous parle aussi du Tiers-Monde et de ses problèmes. Il livre une caricature féroce, à peine déguisée, du dictateur africain Idi Amin Dada qu'il nomme Ami.

Eisner réalise, avec cet album, un véritable roman en bande-dessinée où il intercale, afin de relancer l'action, un récit d'espionnage qui, décrivant les coups fourrés fomentés par la CIA et le KGB dénonce la toute puissance de ces officines.

Il signe, au final, un magnifique ouvrage, d'un graphisme moderne et soigné, qui se referme sur un épilogue d'un pessimisme assez cynique mais pourtant tristement vraisemblable.
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L'appel de l'espace

C'est dense et ça file à 100 à l'heure.



Un cortège de personnages volontairement très clichés, parce qu'il ne faudrait pas gaspiller un temps précieux à faire des présentations quand on peut défiler des actions rocambolesques en vue de résoudre une histoire tout aussi abracadabrantesque.



C'est noir comme dans un bon polar, c'est sombre comme dans un bon roman d'espionnage, tous pourris et tous contre tous, mais ça sature par moment, aussi bien visuellement que textuellement.



Une BD à papa (ou du moins qu'on s'attend à trouver dans la bibliothèque de son père) avec un charme désuet de guerre froide, course à l'espace et fantasmes technologiques et idéologiques tout en bipolarité.



Plus divertissant qu'un James Bond, pour sûr.
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L'appel de l'espace

Cette histoire est parue pour la première fois en 1983, après Un pacte avec Dieu (1978) et avant Le rêveur (1985). Il s'agit d'une bande dessinée noir & blanc, de 128 pages, écrite et dessinée par Will Eisner (1917-2005).



Une page de texte rappelle la plaque apposée sur les sondes Pioneer 10 & 11, la mise en service de l'observatoire national de radioastronomie en 1950 à Greenbank, la mise en service d'autres radiotélescopes par les États-Unis, mais aussi par l'URSS, l'estimation probabiliste du nombre de planètes susceptibles d'abriter la vie, et les caractéristiques de déplacement de l'étoile de Barnard. Dans le Nouveau Mexique, à l'Observatoire Astronomique radio, un message s'inscrit sur le rouleau d'une imprimante à aiguille. Le professeur Mark Argano consulte les résultats et se dépêche d'aller prévenir son collègue le professeur Malley. Ils sont tous les deux d'accord pour dire qu'il s'agit d'une série de nombres premiers dans une séquence qui se répètent. Ils en concluent tous les deux qu'il s'agit d'un message d'une intelligence extraterrestre. Argano convainc Malley de ne pas alerter leurs supérieurs tout de suite, mais d'aller voir Cobbs pour savoir d'où vient le signal. Il leur répond, mais exige de savoir pourquoi ils posent la question. Aragno & Malley lâchent le morceau. Dès qu'ils sont partis, Cobbs appelle l'ambassade de l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, car il est un espion infiltré. Mais Argano & Cobbs ont tout entendu de l'autre côté de la fenêtre. Alors qu'ils se demandent comment faire, Cobbs sort une arme à feu à la main et les tient en joue. Argano ne se laisse pas faire, se jette sur Cobbs et lui fracasse le crâne avec une pierre.



N'ayant pas de nouvelles de leur agent à l'observatoire, l'ambassade de l'URSS se doute que quelque chose a dû lui arriver. Le message a été intercepté par la CIA qui charge James Bludd d'aller enquêter à l'observatoire pour se renseigner sur la nature de la découverte faite par les 2 professeurs. Deux semaines plus tard, Bludd se présente à l'Observatoire au Nouveau Mexique comme étant le remplaçant de Cobbs. Les 2 professeurs crachent le morceau, mais la secrétaire madame Bowen est également une espionne et rafle la mise avec 2 individus à sa solde, embarquant avec elle les 2 professeurs, et laissant Blubb inanimé dans le bâtiment auquel les 2 costauds mettent le feu. L'information sur l'existence d'une intelligence extraterrestre fuite et les journalistes en font écho au journal télévisé. Ailleurs, Marco, un alcoolique, se rend à son bar préféré où le barman refuse de le servir. Marco tombe par terre et a une illumination : il doit se rendre sur la planète dont parle les informations. Cela fait sens pour Cora, la serveuse qui décide de l'aider. Ils fondent une secte qu'ils appellent Star People. En comité, MacReady, PDG de l'entreprise Multinational, décide que l'entreprise doit investir dans cette course à l'espace pour rejoindre la planète habitée, afin de doubler les russes et de pouvoir en exploiter les ressources. Il décide également d'implanter une taupe (monsieur Grebe) au sein de la secte Star People, persuadé qu'il pourra la manipuler pour ses propres fins.



Après le succès d'Un pacte avec Dieu, Will Eisner sait qu'il peut poursuivre dans la même direction à savoir créer des histoires complètes équivalentes à un roman. L'appel de l'espace est sérialisé d'octobre 1978 à décembre 1980, dans un magazine publié par Kitchen Sink Press, puis regroupé en un seul tome en 1983. Pour ce deuxième roman graphique, l'auteur a relevé le défi de réaliser une histoire de science-fiction pour adultes, avec une fibre humaniste. Il s'agit de la seule histoire de science-fiction qu'il réalise dans cette période de sa vie, après avoir prouvé la viabilité du roman graphique. Très rapidement, le lecteur prend conscience de la densité narrative de cette histoire. Il lui faut deux fois plus de temps pour le lire qu'un comics de superhéros industriel, du fait du volume de phylactères qui servent à exposer une grande quantité d'informations. Will Eisner a qualifié son récit de science-fiction, mais à la lecture il s'avère qu'il relève plus de l'anticipation, les extraterrestres n'apparaissant pas dans l'ouvrage. L'auteur se sert de l'existence probable d'une forme de vie extraterrestre pour montrer comment différentes composantes de la société humaine réagissent à ce bouleversement majeur et historique. Il constitue immédiatement un enjeu politique et militaire entre les grandes puissances que sont les États-Unis et l'URSS, mais aussi un pays fictif d'Afrique (le Sidiami). La course au voyage spatial est enclenchée, nécessitant des fonds importants, ainsi qu'une volonté politique affirmée. Dans le même temps, la population réagit également à cette annonce : le lecteur retrouve l'humanisme non dénué de critique d'Eisner. En effet, la nouvelle suscite essentiellement une forme d'apathie et tout continue comme avant pour l'homme de la rue, ou peu s'en faut. Quelques individus se sentent plus concernés, à commencer par Marco qui voit là un signe du destin, lui indiquant personnellement qu'il doit former une association ayant pour but de se rendre sur la planète pour rencontrer les extraterrestres.



Être humaniste n'empêche pas Will Eisner d'être réaliste, et il sait très bien qu'une telle découverte va susciter la convoitise de des entrepreneurs qui verront là une occasion extraordinaire d'entreprendre justement, et de faire des affaires, de dégager des bénéfices, surtout s'ils peuvent se positionner en situation de monopole, état qu'ils peuvent créer en étant les premiers, y compris avant les états constitués. Le lecteur peut ainsi voir les opérations de lobbying, de corruption, de noyautage, d'intimidation, de sabotage et même d'assassinat menées par Multinational, entreprise mettant en œuvre les ordres de MacReady, individu rompu à l'utilisation de toutes ces pratiques pour être efficace. Will Eisner ajoute encore d'autres fils à sa trame narrative, dont des espions et des agents doubles pour le compte des grandes puissances, et même quelques individus idéalistes souhaitant empêcher que tout cela ne dégénère en un conflit armé. En narrateur aguerri, Eisner crée une dizaine de personnages dont les destins se croisent à plusieurs reprises tout au long du récit pour que les enjeux puissent s'incarner. Cela va de la jeune femme arriviste (Cora) utilisant chaque occasion pour progresser dans l'échelle sociale, au tueur à gages (Rocco) pour le compte d'une famille du crime organisé. Néanmoins tous ces individus se retrouvent vite à servir de dispositif narratif pour servir l'intrigue politique et sociale à l'échelle de la planète. Le scénariste écrit son récit comme un thriller politique, agrémenté d'espionnage, avec des retournements de situation, des opérations de manipulation à l'échelle de l'individu, à l'échelle d'un groupe, à l'échelle de la population d'un pays, ou de l'opinion publique. Il intègre des péripéties, ainsi que des références à des événements historiques, comme le coup du parapluie bulgare (assassinat de l'écrivain et dissident bulgare Georgi Markov le 11 septembre 1978, par le Komitet za Darzhavna Sigurnost, les services secrets de la République populaire de Bulgarie).



Le lecteur se passionne facilement pour cette description de l'organisme que forme l'humanité constituée en nations, mettant en pratique des mécanismes sociaux de masse qui n'ont rien de flatteur pour la race humaine. De la même manière que les personnages sont asservis à l'intrigue, la narration visuelle y est assujettie. Le lecteur retrouve bien l'art graphique de Will Eisner : expressivité des personnages par leur visage, par leurs mouvements, de nombreuses cases sans bordure pour augmenter la sensation d'espace ouvert, des mises en page variées et pensées en fonction de la séquence, une inventivité impressionnante. Tout au long de ces pages, le lecteur trouve des découpages de planche très divers, allant du dessin en pleine page pour profiter de la vue dégagée depuis un étage élevée d'un gratte-ciel, à une page de texte pour évoquer les réactions émotionnelles des plantes, en passant par des images enchevêtrées pour souligner les liens de cause à effet. La capacité de l'artiste à créer des personnages immédiatement mémorables est toujours aussi épatante, et indispensable au vu de leur nombre. Comme d'habitude, le lecteur n'a qu'à regarder un personnage pendant 2 cases pour en déduire sa condition sociale à partir de sa tenue vestimentaire et de ses postures : du poivrot sans le sou dans un bar, au riche PDG à la confiance en lui inaltérable, en passant par le politicien candidat à la Maison Blanche, habité par un fanatisme idéologique réactionnaire, en passant par le tueur à gage un peu rondouillard et habitué à se faire discret en toute circonstance. Eisner fait preuve d'une capacité tout aussi surnaturelle pour évoquer les environnements dans lesquels évoluent les personnages, soit en les représentant de manière détaillée, soit en les évoquant vaguement d'un trait délié : observatoire isolé au milieu du désert du Nouveau Mexique, un quartier de Washington à proximité de la Maison Blanche, bar enfumé avec des habitués, salle de réunion fonctionnelle d'une propreté clinique, locaux bon marché d'une association, appartement modeste, base isolée dans un désert africain, palais luxueux d'un dictateur africain, aéroport, etc. Le lecteur voyage beaucoup aux côtés des personnages.



Le lecteur ressort un peu sonné par sa lecture du fait de l'ampleur du récit, mené avec une grande habileté pour gérer la densité d'informations et la distribution de personnage. Il s'agit moins d'un récit d'anticipation que d'une fable sur les mécanismes de la société humaine. Will Eisner met toute sa science de la narration visuelle au service de son récit pour le rendre le plus digeste et divertissant possible, tout en faisant montre d'un humanisme dépourvu de naïveté. Au final, l'histoire est captivante et les thématiques développées de manière virtuose, avec un petit sentiment de frustration concernant les personnages qui n'ont pas assez de place pour exister réellement.
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L'esprit de Will Eisner

Ce splendide album est, surtout, un magnifique port-folio.

Le Spirit fit son apparition en 1940 et permit à Will Eisner d'acquérir une complexité, à la fois sur le plan du dessin et du scénario, telle qu'il n'avait jamais pu développer jusqu'alors avec ses autres créations.

L'humour, le mélodrame, "la tragédie" se mêlent à travers des planches quasiment cinématographiques, d'angles de vues pris à travers un vasistas, entre des stores vénitiens du fond d'une corbeille à papiers, à travers un abat-jour renversé, encadré par le coude du meurtrier, en plongées et contre-plongées.

"Les excès s'accumulent en un tour de force" qui ne se répète jamais.

Cet album ne contient que deux récits consacré aux aventures du Spirit, "Lorelei de la rue de l'Odyssée" et l'histoire sans titre d'un contact avorté des extra-terrestres avec la terre.

Le reste de l'album est une suite de couvertures et de port-folios consacrés au Spirit, mais aussi dans une dernière partie à la ville.

Cet ouvrage s'adresse essentiellement aux amateurs et aux collectionneurs, il est de toute beauté et fait preuve de l'immense talent de son auteur.
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L'esprit de Will Eisner

Je ne louerai jamais assez Greg, qui, au début des années 1970 introduisit le Spirit dans...l'hebdomadaire Tintin. J'y découvrai alors, non seulement un graphiste élégant; mais aussi un immense raconteur d'histoire dont le héro (ou le non-héro, parfois) était cet étrange redresseur de torts masqué.

Le Spirit était alors, je crois, inconnu en France; au contraire de l'armée des super-héros de Marvel.

Mais Will Eisner, le m'en suis aperçu dans les années qui suivirent, ce n'était pas que le Spirit et ses histoires de petit homme volant, de pistolet-qui-tire-tout-seul ou de sévères raclées...

L' Esprit de Will Eisner, nous offre l'incroyable richesse d'un des talents les plus singuliers et les plus complet de la bande dessinée du XXe siècle.
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La Valse des alliances

Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Dans la bibliographie de son auteur, il est paru entre Fagin le juif (2003) et Le Complot : L'histoire secrète des Protocoles des Sages de Sion (2005). La première édition date de 2003. Il a entièrement été réalisé par Will Eisner (1917-2005) : scénario et dessins, avec des nuances de gris. Cette histoire comporte 110 pages de bande dessinée.



L'histoire s'ouvre avec une lettre de 2 pages, adressée au lecteur, et rédigée par Abraham Kayn, évoquant l'importance d'un bon mariage, indiquant que son fils Aron a pu épouser une fille de bonne famille, et concluant que les bonnes alliances sont effectivement le but du jeu. Les 4 pages illustrées qui suivent évoquent l'émigration de la famille Arnheim aux États-Unis deux décennies avant la Guerre Civile. Le texte évoque l'émigration des juifs vers le Nouveau Monde : une première vague en provenance de l'Espagne et du Portugal en passant par le Brésil, une partie de la diaspora séfarade. Puis il est question de la dépression économique sévissant entre les années 1820 et 1840 en Allemagne et dans l'Empire Austro-Hongrois, de l'antisémitisme montant dans ces pays, et de la deuxième vague d'immigration, cette fois-ci des ashkénazes. La famille Arnheim s'installa aux États-Unis dans ces circonstances, et finit par développer et établir la plus importante usine de corsets. C'est ainsi qu'Isidore Arnheim hérita de l'entreprise nationale de son père, et d'un nom de famille établi parmi les hautes sphères de la société, et accepté par les gentils. Il épousa Alva Strauss, elle aussi issue d'une bonne famille, et ils eurent deux enfants : Conrad l'aîné, et Alex son petit frère.



Conrad Arnheim grandit comme un enfant gâté, sa mère lui passant tout, et son père faisant tout pour qu'il accède aux meilleures écoles, et qu'il puisse y rester malgré un comportement inadmissible. L'année de ses 20 ans, Isidore et Alva Arnheim reçoivent leur fils Conrad dans l'étude d'Isidore et lui indique l'importance de leur nom, le fait qu'il doit reprendre la tête de l'entreprise à court terme, et qu'il doit réussir à faire un bon mariage. La famille Ober émigra également d'Allemagne à la même époque, mais le patriarche décida de s'installer à Lavolier, une ville sur les bords de l'Ohio. Au fil des affaires, il finit par devenir un banquier, propriétaire de son propre établissement. Le couple ayant des ambitions sociales plus importantes, ils acceptèrent bien volontiers de faire l'objet d'un reportage dans le journal local. Un jour, la mère ouvre une lettre d'invitation dans le courrier, où les Himmelhauser transmettent une invitation des Arnheim pour séjourner à New York à l'automne suivant. Une fois la date arrivée, les Ober (père, mère et leur fille Lilli) se rendent à New York. C'est l'occasion pour Isidore Arnheim et Abner Ober d'avoir une conversation en tête à tête, et de constater qu'ils ont des intérêts convergeant à unir leurs deux familles, par le biais d'un mariage.



Il s'agit du dernier récit de fiction réalisé par Will Eisner (1917-2005), à l'âge de 83 ans, la bande dessinée suivante étant un reportage sur la supercherie des Protocoles des sages de Sion. Ici, il a choisi comme sujet la notion de valeur d'un nom de famille et d'alliance judicieuse par le mariage. Avant tout, ce récit se dévore comme un roman retraçant l'histoire d'une famille en se focalisant sur la génération de Conrad qui est le personnage présent pratiquement du début jusqu'à la fin. L'auteur sait développer l'envergure nécessaire, avec le texte de départ qui replace le contexte de l'émigration juive vers les États-Unis, en plusieurs phases, et en provenance de différents pays d'Europe, puis aux aléas économiques de la vie des différentes entreprises des familles impliquées. Dans un premier temps, le lecteur peut être un peu décontenancé par le fait que l'auteur ait inclus des pages avec des pavés de texte, accompagnés de 2 ou 3 illustrations. Au cours de la lecture, il y voit une preuve de l'honnêteté de l'auteur : ils apportent des informations d'ordre historique ou économique, ou forment une transition entre deux époques différentes. Ces passages se prêtent effectivement plus à une forme en texte qu'à une forme en bande dessinée. Ils apparaissent sur une quarantaine de page, réduit souvent à 2 lignes en début de page. Ils peuvent être accompagnés d'une ou plusieurs images, parfois servir d'en-tête à une page en bande dessinée. Le lecteur a tôt fait de s'y habituer et d'y trouver son compte, n'éprouvant pas la sensation de passer d'une BD à un livre.



Will Eisner a indiqué à plusieurs reprises qu'il assimilait ses bandes dessinées plutôt à des nouvelles qu'à des romans. En ce qui concerne celui-ci, la pagination en fait un véritable roman, copieux et ambitieux. Le lecteur a tout le temps nécessaire pour côtoyer les personnages et qu'ils deviennent palpables, qu'ils existent avec leur personnalité propre, sans jamais courir le risque d'en oublier un ou qu'il ne soit qu'une coquille vide, un artifice narratif sans âme. La magie de l'écriture de Will Eisner opère ses miracles habituels : il n'y a pas de petit personnage, il n'y a pas de méchant. Le lecteur finit par se rendre compte qu'il éprouve une forte empathie pour Conrad Arnheim, et également pour Eva Kraus. Pourtant il voit bien travers de leurs actions qu'il s'agit de deux individus qu'il souhaite à jamais n'avoir côtoyer. Conrad jouit pleinement de sa richesse acquise avec sa naissance, et sait esquiver les conséquences de ses actes avec un naturel immoral. Au travers des dessins, le lecteur peut voir un enfant qui fait des comédies, un jeune adulte qui court après les jupons, fume et picole, un homme imbu de sa personne qui considère que tout lui est dû, un homme d'affaires qui regarde ses associés avec dédain, sa classe sociale lui permettant de se comporter comme s'il ne leur doit rien, et il ne s'en prive pas. En tant qu'époux, son visage arbore une forme de lassitude teintée d'agacement quand sa femme lui demande de s'occuper d'elle, et son langage corporel ne laisse pas de place au doute quant au fait qu'il ne se retient pas quand il en retourne une à sa femme. Il en va d'ailleurs de même pour Eva sa deuxième épouse.



Il faut un peu de temps pour qu'Eva Krause s'installe dans sa nouvelle vie de mariée, épouse d'un homme d'une des plus importantes familles newyorkaises. Une fois sa position sociale assurée, elle remplit ses obligations sociales avec élégance et naturel : elle a atteint son objectif, à savoir sortir, appartenir à la haute, et profiter des bonnes choses, sans avoir à supporter de contrainte, en particulier de son mari. Le lecteur pourrait la plaindre : mari volage, obligations mondaines, pièce rapportée dans une famille, penchant pour la bouteille. Mais à nouveau, les dessins de Will Eisner font des merveilles pour rendre toute la complexité de cet être humain, pour rendre cette femme très humaine, simplement humaine. Comme à son habitude, l'artiste mêle des prises de vue cinématographiques, avec une mise en scène théâtrale pour une résultat saisissant de naturel et d'expressivité. Par exemple, en page 107, le lecteur voit Eva Arnheim danser : elle est représentée de plein pied, dans 8 positions différentes, la bouteille à la main, quelques notes de musique sur fond blanc, sans bordure de case. Le lecteur voit une actrice de théâtre en train de jouer une scène, exagérant un tant soit peu ses poses pour bien se faire comprendre, évoluant sur un fond vide. Le lecteur ressent le plaisir d'Eva à pouvoir ainsi danser libre de toute contrainte, sa volonté de s'étourdir avec la musique et l'alcool, un mélange inextricable de plaisir et d'insatisfaction inavouable à elle-même. C'est du grand art en termes de narration visuelle, une scène qui aurait nécessité de nombreuses pages de texte et un rare talent d'écrivain pour pouvoir susciter les mêmes émotions, faire passer les mêmes nuances.



Il suffit qu'il marque une pause dans le récit, pour que le lecteur s'aperçoive de la personnalité graphique de la narration, des caractéristiques contre intuitive des pages. Will Eisner préfère supprimer régulièrement les bordures de case pour conduire le cerveau du lecteur à combler par lui-même ses espaces blancs, par capillarité avec les dessins adjacents, mais aussi pour laisser plus de place à ses personnages. Il gère avec les décors avec ce qui peut s'apparenter à de l'économie, mais en fait il sait rendre compte de la continuité des lieux, soit par des fonds blancs, soit par des fonds noirs, soit par des traits parallèles verticaux, de la nature des lieux par quelques accessoires particuliers. Il sait aussi investir du temps pour représenter une façade, une pièce et son aménagement, avec un niveau de détail d'autant plus impressionnant que ses traits de contour restent d'une souplesse extraordinaire, donnant une sensation organique à tout ce qu'il dessine. Il est également un chef costumier de talent, en toute discrétion, et un directeur d'acteur capable de leur faire exprimer les plus fines nuances émotionnelles.



Le lecteur se retrouve donc immergé dans cette histoire familiale sans même s'en rendre compte. Il accorde son empathie à des personnages profiteurs, mesquins, égocentriques, alors même que leurs comportements détestables sont représentés de manière explicite. Il fait preuve d'un humour féroce s'exprimant avec gentillesse, et d'une cruauté raffinée dans le sort de ses personnages. Le lecteur peut voir comment chaque individu est prisonnier des exigences de son milieu socio-culturel, comment ses actions sont dictées par les habitudes et l'éducation, comment chaque personne fait de son mieux pour concilier les contraintes, les exigences, ses aspirations, et sa recherche du plaisir. Il est même étonnant de voir comment l'auteur met en avant tous ces paramètres concourant à une forme élevée de déterminisme, en opposition totale avec la soif de liberté inscrite dans la constitution des États-Unis. Il jette un regard pénétrant et critique sur le jeu social qui n'est pas que celui du mariage ou des alliances, mais aussi celui de l'apparence, de la manière dont la volonté de certains individus s'imposent à d'autres, de la manière dont les défauts des parents impactent la vie de leurs enfants, de la continuité des chaînes de conséquence, en particulier dans la transmission de la condition sociale.



Ce roman s'avère d'une richesse aussi incroyable que sa facilité de lecture, l'humanisme avec lequel l'auteur considère ses personnages, une forme de dérision très particulière modelant sur la condition humaine, une vision adulte, intelligente et sensible de l'individu.
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La Valse des alliances

BD en noir et blanc qui retrace l’ascension d’une famille juive aux Etats-Unis. Comment les bons mariages arrangent tout, quand le non dit et les apparences sont préservés.
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La Valse des alliances

Mais quelle histoire !

Écrit et dessiné quelques petites années avant Fagin le juif (et auquel il offre je trouve un bon enchaînement de lecture), Will Eisner s’attaque ici aux idées préconçues sur les familles juives prétendument « privilégiées » installées à la fin du 19ème siècle aux États-Unis, et qui ont continué d’attiser tellement de haine, de critiques et de convoitises au fil du siècle.

J’ai trouvé très intéressant le choix de son point de vue narratif, puisqu’il a choisi de dépeindre sans concession aucune trois générations successives au sein d’une même famille : on se met à haïr certains personnages clefs hautement détestables, tout en s’émouvant du bonheur sacrifié d’autres par leurs obligations familiales, voire de leurs destins tragiques. Un constat s’impose : certaines familles les plus en vue n’ont vraiment rien à envier. Vraiment très intelligent.
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La Valse des alliances

C'est la première fois que je lis une oeuvre de Will Eisner, inculte que je suis! Je suis très agréablement surpris par le style de l'auteur ainsi que par le dessin dans sa représentation des différents personnages. Cela me plaît bien et me donne envie de découvrir d'autres histoires.



En outre, j'ai aimé le sujet: les mariages arrangés dans les familles juives outre-atlantique. C'est une véritable saga que l'on suit et qui décortique les mécanismes de l'ascension ou de la régression sociale.



Mais je n'aime pas les erreurs aussi minime soit 'elle : Baden Baden est une jolie station balnéaire située en Allemagne non loin de chez moi et non en Suisse !



Parce que c'est une agréable découverte, 4 étoiles !



Note Dessin: 4/5 - Note Scénario: 4/5 - Note Globale: 4/5
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La Valse des alliances

Le rythme d’une valse serait presque trop lent pour décrire les combinaisons maritales qui relient les familles Arnheim, Ober et Kayn. Toutes immigrantes juives, la qualité de leur statut social dépend moins de caractéristiques intrinsèques que d’un contexte d’installation plus ou moins favorable. Les juifs allemands se considèrent d’élection plus noble que les juifs polonais et parmi les juifs allemands, ceux arrivés lors de la première vague, deux décennies avant la Guerre civile, ont généralement pu bénéficier d’opportunités que n’ont pas connues les émigrants de la deuxième vague.





Dans ce roman graphique qui mêle textes et planches classiques, Will Eisner semble vouloir nous démontrer que l’ascension sociale est clairement liée à la détention du capital. Et le capital ne s’acquière pas encore majoritairement par l’acharnement d’un self-made-man mais en réalisant de bons mariages –dans tout le sens lucratif du terme. Les contraintes de succession des lignées royales semblent s’être étendues à toute la petite bourgeoisie mais parce que le maintien du couple ne met pas en jeu l’avenir d’un royaume, les formations liées de gré ou de force au cours de ces valses ploient devant l’adultère, l’alcoolisme, la paresse ou l’égoïsme.





Le rythme ne faiblit pas une fois. Will Eisner choisit de mener sa saga familiale sur trois générations en avançant plusieurs contextes différents : la réussite, la déchéance, l’envie de faire mieux. Le processus ressemble méchamment aux balbutiements d’une humanité qui tantôt se repose, tantôt cherche à s’améliorer. Peut-on vraiment échapper à son déterminisme ? Il semblerait que non. D’une génération à l’autre, les évolutions sont plus imputables aux changements sociétaux qu’à une véritable libération des individus vis-à-vis de leur milieu d’extraction. La Valse des alliances aurait pu se poursuivre encore longtemps, mais on se délecte déjà de la représentativité de ces trois générations.
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Le building

Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il s'insère entre New York Trilogie, Tome 1 : La Ville (1986) et Jacob le cafard (1988). Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc, de 76 pages, avec une introduction de 2 pages rédigée par Will Eisner. Ce récit est paru pour la première fois en 1987. Il s'ouvre par une citation de John Ruskin (1819-1900).



Dans l'introduction, Will Eisner évoque l'acte brutal de destruction d'un building, la manière d'anéantir ainsi un lieu dont les murs sont chargés des rires et des pleurs de tous les êtres humains ayant vécu à l'intérieur. Pendant 80 ans, le building avait occupé l'angle de 2 importantes avenues, une accumulation invisible des de drames s'étant imprégnée dans sa base. Un jour ce building fut démoli, laissant une hideuse cavité résiduelle et un résidu de débris psychiques. Plusieurs mois plus tard, un nouveau building flambant neuf occupait cet espace, tout de verre et de métal. Ce jour-là, durant la matinée, quatre fantômes invisibles se tenaient à l'entrée : Monroe Mensh, Gilda Green, Antonio Tonatti, P.J. Hammond. Monroe Mensh était un enfant de la ville : il avait grandi anonyme au milieu de la cité, ayant maîtrisé l'art de la vie urbaine. Célibataire, il mène une existence routinière. Il sait se tenir à l'écart des accidents de la vie, et il a un emploi dans un magasin de chaussures pour femme, où sa discrétion lui permet de rester en dehors de tout tracas. Un après-midi, il attend pour traverser l'intersection devant le building. Une fois la rue passée, il s'arrête à côté de l'entrée du building, alors qu'éclate une série de coups de feu. Un enfant tombe mort, tué par une balle, juste à ses côtés.



Gila Greene était une véritable beauté, une jeune fille dorée du lycée East City High. À la surprise de tout le monde, alors qu'elle n'avait que l'embarras du choix, elle était tombée amoureuse du poète Benny. Leur amour perdura au-delà du baccalauréat, alors que Gilda Greene devint une assistante dentaire, et Benny continuait d'écrire des poèmes dans les bibliothèques municipales. Chaque jour, Benny et Gilda se retrouvent au bas du building, jusqu'à temps qu'un jour Gilda fasse une déclaration à Benny. Antonio Tonatti était un enfant doué en musique. Comme ses parents n'avaient pas assez d'argent pour lui offrir un piano, ils lui offrirent un violon. Antonio bénéficia de cours de violon pendant son enfance et son adolescence, jusqu'à ce que son professeur lui indique qu'il n'était pas assez bon pour en faire sa profession. Régulièrement, Antonio Tonatti joue du violon au pied du building, juste à côté de son entrée. P.J. Hammond est né dans une riche famille de promoteurs immobiliers. Après ses études, il a intégré l'entreprise de son père, et s'est rapidement rangé à ses méthodes. Après sa mort, il a repris les affaires et a décidé d'acquérir tout le pâté de maison, ou plutôt le bloc d'immeubles, contenant le building. Mais seul ce dernier n'est pas à vendre.



Dans son introduction, Will Eisner explicite son intention : montrer comment un immeuble peut s'imprégner de la vie des habitants. Au fil de l'histoire, le lecteur découvre qu'il ne s'agit pas des habitants ou des usagers de l'immeuble, mais de personnes qui se sont régulièrement tenues devant l'immeuble pour des motifs différents. Du coup, le récit se mue en l'histoire de 4 personnes (plus une, à savoir le poète) qui ont un lien plus particulièrement avec le morceau de trottoir, juste à côté de l'entrée du building. Comme à son habitude, l'auteur sait insuffler une vie étonnante à chacun de ses personnages. Impossible de les confondre : ils ont chacun une apparence différente, une vie différente, des aspirations différentes, une histoire personnelle différente. Monroe Mensh fait immédiatement penser à Pincus Pleatnik, un personnage qui apparaît dans Invisible People (1993), un citadin passé maître dans l'art d'être invisible aux yeux des autres ce qui lui assure une tranquillité précieuse. Ici, Monroe Mensh est un individu banal, sans histoire, à la gestuelle un peu protective de sa personne, indiquant une personnalité craintive et introvertie. Le lecteur ne peut pas s'empêcher de sourire en le voyant faire des efforts pour sortir de sa coquille, afin d'atteindre l'objectif qu'il s'est fixé.



Par la force des choses, Gilda Greene diffère fortement de Monroe Mensh, puisqu'elle n'est pas du même sexe. Elle est aussi plus solaire, et elle vit dans un milieu social plus aisé. Elle n'est pas introvertie, et elle sait exprimer ses sentiments, à commencer par l'affection et l'amour. En observant Benny, le lecteur voit qu'il porte des vêtements bon marché et qu'il ne prend pas grand soin de sa personne, qu'il parle en faisant des gestes plus amples, plus habités que Gilda, et encore plus que Monroe Mensh. En voyant l'ameublement des pièces de l'appartement des Greene, le lecteur voit également qu'il ne s'agit pas de la même gamme de prix que celui de l'appartement de Mensh. Le segment consacré à Antonio Tonatti est le plus court, avec 11 pages. À nouveau, le lecteur découvre un personnage à l'apparence bien différente, appartenant aussi à un milieu social modeste, vivant son art de musicien amateur d'une manière différente de celle de Benny, avec une posture déférente vis-à-vis des passants, mais pas effacée comme celle de Monroe Mensh, son état d'esprit n'étant pas d'être insignifiant au point d'en devenir invisible aux yeux des autres. Avec P.J. Hammond, le récit passe à nouveau dans un autre milieu social, plus aisé, le monde des affaires, avec un individu dont les postures montrent une habitude de donner des ordres, d'être obéi, de prendre des décisions lourdes de conséquences.



Ce récit est à nouveau l'occasion d'admirer l'art de conteur de Will Eisner. Il commence par une introduction sous forme de texte en gros caractère, avec une police de caractère mécanique. Puis le lecteur découvre un dessin en pleine page, ou plutôt en demi-page, avec une colonne de texte sur la partie gauche de la page, et le dessin tout en hauteur du building sur la moitié droite. Il découvre ou retrouve la police de caractère tracée à la main qui semble si chaleureuse, que ce soit pour les textes accolés à une image en pleine page, ou pour celle différentes, un peu plus irrégulière pour les phylactères. Il faut avoir lu une bande dessinée de cet auteur pour prendre la mesure dans laquelle ces polices participent de leur identité et de la sensation qui s'en dégage. Le lecteur retrouve également son usage de cases ouvertes, sans bordure, l'idée étant que le lecteur peut ainsi plus facilement y pénétrer. S'il y prête plus d'attention, il observe que ces cases ouvertes peuvent être se côtoyer, laissant les personnages passer librement de l'une à l'autre. Elles peuvent également être séparées par des cases rectangulaires avec une bordure qui viennent comme si elles étaient posées sur la planche. L'artiste peut également utiliser des traits parallèles irréguliers pour servir de trame de fond sur laquelle le fond blanc des cases ressort. Ces dispositions originales introduisent une sensation de liberté et de légèreté dans la narration. Will Eisner a régulièrement recours à des dessins avec un texte en dessous, évoquant la forme d'un conte illustré. À d'autres moments, la narration retrouve une forme de bande dessinée classique.



Tout du long, le lecteur voit des personnages incarnés par des acteurs adoptant un jeu naturaliste. Même quand Will Eisner passe en mode théâtral, ses personnages gesticulant de manière un peu appuyée, le lecteur continue de voir des gens normaux, expressifs, mais sans en devenir ridicules. Ils interagissent naturellement avec les décors qui sont des lieux plausibles et habités. Monroe Mensh se tasse sur une chaise qui tient à peine dans le minuscule bureau de l'association où il est reçu. Gilda Greene se couche dans le lit conjugal douillet et confortable, attestant d'un couple ayant une longue histoire commune apaisée. Antonio Tonatti se retrouve seul dans son tout petit appartement sombre et peu meublé. P.J. Hammond est bien calé dans son fauteuil confortable de président directeur général, dans une position de pouvoir assurée. Comme toujours dans les œuvres de Will Eisner, le lecteur éprouve un sentiment de sympathie immédiate et spontanée envers tous les personnages. Il n'y a pas de méchant, même pas P.J. Hammond qui pourtant abandonne très vite toute prétention d'action sociale, pour se concentrer sur une posture uniquement capitaliste. En fait, le lecteur éprouve de la compassion pour chaque personnage, car l'auteur ne se montre pas tendre avec eux. Il les fait souffrir : Monroe Mensh portant le fardeau d'une culpabilité de hasard, Gilda Greene ayant sacrifié ses aspirations romantiques pour la sécurité matérielle, Antonio Tonatti conscient de son talent limité de musicien, P.J. Hammond se heurtant lui aussi à ses limites. La fin de l'histoire vient apporter une forme de résolution à chacune de ces vies, libérant ces âmes de leur aspiration inassouvie.



Étrangement, cette histoire ne tient pas la promesse énoncée dans l'introduction. Le building ne devient pas un personnage à part entière, habité par les émotions de ses habitants. Il reste un élément de décor, un point focal pour la vie de 4 individus distincts, aussi différents qu'incarnés. Will Eisner fait preuve d'une maestria discrète de l'art de la narration visuelle, qui devient époustouflante pour peu que le lecteur y prête attention. Son amour des êtres humains est présent dans chaque vie de ces personnages de papier, à la fois dans leur unicité, dans leur présence, mais aussi dans les épreuves qu'ils traversent car l'auteur fait preuve d'un amour vache.
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Le Complot : L'histoire secrète des Protocole..

Pour ceux qui ont un doute sur ce que peut apporter une BD aux lecteurs (les infâmes sots !), je voudrais pouvoir leur montrer ceci en leur disant : "Voici ce qui devrait circuler dans les écoles."



Car cette BD est une véritable mine de ce que l'on pourrait appeler la zététique : l'art de l'esprit critique. Un document extrêmement bien illustré pour une œuvre se voulant avant tout documentaire, et qui est d'utilité publique. Car aujourd'hui encore, le complot juif est partout, sur internet, dans les médias et dans les livres. Oui, voici l'histoire du plus beau faux de toute l'histoire, celui qui est devenu vérité.



Will Eisner (dont je découvre ici ma première œuvre) est particulièrement attaché à vouloir démontrer toute les preuves de ce magnifique faux que sont "Les protocoles des Sages de Sion", dont j'avais déjà entendu et l'histoire et les idées avant de lire cette BD. Mais je n'avais pas idée de leur portée avant cette lecture. Et bon sang, ce que ça fait froid dans le dos !



Il y a là matière à dissertation philosophique, mais je me contenterais de dire que ce livre est une très belle mise en garde contre tout ce qu'on peut crier sur le péril juif (et sur d'autres périls aussi, mais bon ...). Une dénonciation de la bêtise humaine impeccable, faisant presque froid dans le dos tant on se rend compte que l'humain, bien souvent, veut juste croire. Sans même regarder les preuves. Et la fin n'est que plus horrible : "C'était peut-être faux, mais maintenant c'est devenu vrai". Laissez un mensonge pendant cent ans, il devient vérité ...



Une très bonne Bd, qui a le mérite de tenter (une fois de plus) de montrer au monde que rien n'est aussi simple que soixante juifs qui gouvernent le monde. C'est toujours un peu plus compliqué que ça, et cette BD tente de nous le montrer. Si vous voulez un peu de connaissance, et beaucoup de détails, lisez cette BD.
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Le Complot : L'histoire secrète des Protocole..

Une histoire saisissante que j'ignorais totalement. Une leçon d'histoire, un cours sur la connerie de l'Homme et sur les petites bassesses qui ont écrit l'Histoire avec un grand H. Et pas les meilleures pages de l'humanité...



Will Eisner retrace, dans cette BD depuis le XVIIIè siècle les différents et principaux épisodes et acteurs de la montée de l'antisémistisme. Au moins une page en tout cas, celle des protocoles des Sages de Sion, qui auraient été écrits à la fin du XVIIIè siècle par un groupe de juifs afin de mener la révolution. Les antisémites s'empressent d'exhiber cette preuve qui prouve une future révolte des Juifs et donc leur nuisance pour le monde entier.

Un seul détail, dont ils ne veulent pas tenir compte: ces protocoles n'ont jamais existé et sont des faux créés de toute pièce pour enflammer un antisémistisme déjà naissant. (...)


Lien : http://les-petitescapucines...
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Le Complot : L'histoire secrète des Protocole..

Lecture jeune, n°118 - Will Eisner a retracé peu avant sa mort l’histoire du complot juif, inventé au début du XXe siècle pour réveiller l’antisémitisme latent en Europe. Pourtant, dès 1921, un journaliste du Times avait dénoncé la supercherie en démontrant que Le Complot plagiait un pamphlet visant Napoléon III. Le dessinateur américain explique comment les courtisans du Tsar NicolasII ont fabriqué de toutes pièces les Protocoles pour enrayer les idées progressistes qui gagnaient la Russie. Malgré la preuve de l’imposture qu’il représentait, le texte n’a cessé de circuler, à l’époque nazie et aujourd’hui encore. Il est largement diffusé sur Internet, dans le monde arabe et aux Etats-Unis. Image frappante : Eisner se représente accablé, lorsque en 2001, sur le campus de l’Université de San Diego, il se heurte à des étudiants haineux, imperméables à son argumentation. Avec ce roman graphique, il a voulu s’adresser dans un langage accessible et didactique à un public qui ne serait pas composé que d’historiens. « J’ai passé ma vie à mettre le dessin au service de la narration » déclare-t-il dans son dernier combat. Comme la BD Maus d’Art Spiegelman (Flammarion, 1992), ce document historique touchera particulièrement les adolescents. Les médiateurs du livre (bibliothécaires ou enseignants) auront à coeur de le faire circuler. _ Cécile Robin-Lapeyre
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Le Complot : L'histoire secrète des Protocole..

Lettre E du challenge ABC en version BD.

Il faudrait que les gens qui ont des idées toute faites sur la BD, comme étant un médium vide de sens (c'est ce qu'il m'est arrivé de lire dans certaines critiques) lisent ce livre.

J'ai appris énormément de chose.... en fait j'ai tout appris. Tout d'abord je ne connaissais pas l'existence de ce "fameux" "protocoles des sages de sion"... alors évidemment je ne pouvais pas savoir qu'il s'agissait un faux, assez grossier au vu des exemples fournis dans cette BD. Et donc je ne connaissais pas son histoire de son apparition à aujourd'hui.

c'était une lecture très instructive que je ne regrette pas.
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