Plusieurs récits tranche de vie au milieu de la guerre avec des hauts et des bas. Mais utilisant plusieurs styles narratifs rendant le tout assez dynamique.
Immersion au cœur de la guerre avec la violence en fond sans être frontal. Montrant ainsi la bêtise et la légèreté de cette guerre du viet nam
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Ce recueil est paru pour la première fois en 2000, après Affaires de famille (1998) et avant Fajin le juif (2003). Il s'agit d'une bande dessinée noir & blanc, de 70 pages, écrite et dessinée par Will Eisner (1917-2005). Le tome commence avec une introduction de 3 pages rédigée par Matt Fraction en 2013, expliquant que Will Eisner continuait à se lancer des défis narratifs à 83 ans, âge auquel il a réalisé ces 6 histoires courtes. Suit une introduction de 2 pages rédigée par Wil Eisner en 2000, évoquant ses bandes dessinées pédagogiques sur la maintenance du matériel militaire réalisées pour l'armée (PS Magazine: The Best of the Preventive Maintenance Monthly), ainsi que son séjour en Corée puis au Vietnam pour réaliser ces bandes dessinées.
(1) Last day in Vietnam (28 pages) - Un dessinateur arrive au Vietnam : il est accueilli par un soldat qui va être son guide pour son séjour. Ils commencent par monter dans une Jeep pour emprunter une route défoncée qui va les mener jusqu'au camp où ils prendront un hélicoptère. Monté à l'arrière, le dessinateur est ballotté dans tous les sens. Ils arrivent enfin en vue de l'hélicoptère et le soldat continue de papoter en lui indiquant qu'il s'agit de son dernier jour de service et qu'après il rentre chez lui. C'est en partie la raison pour laquelle il a été affecté à cette mission de guide. Ils montent à bord de l'hélicoptère et s'attachent et c'est parti pour la visite. (2) The Periphery (4 pages) - Un guide vietnamien s'adresse directement au lecteur. Il attire son attention sur un groupe de journalistes en train de prendre le soleil à la terrasse d'un hôtel. Il s'excuse car en fait, ils ne se font pas dorer la pilule, mais ils évoquent les dernières rumeurs sur la guerre : un bombardement d'Hanoï, l'utilisation d'une bombe atomique. Ils s'interrompent en voyant arriver un autre groupe de reporters en provenance du front, certainement porteurs d'informations plus récentes. (3) The Casualty (6 pages, dépourvu de texte et de mots) - Un soldat est attablé seul à la terrasse d'un café. Il fume sa clope, avec un verre et une bouteille posés devant lui. Il a le bras gauche dans le plâtre, plusieurs pansements au visage, et une attelle à la jambe droite. Il repense à la jolie vietnamienne qu'il avait abordée au bar, et au fait qu'ils étaient repartis bras dessus, bras dessous pour se rendre dans sa chambre d'hôtel.
(4) A dull day in Korea (6 pages) - Un jeune soldat monte la garde, fusil à la main, jumelles autour du cou. Il est originaire de la Virginie Occidentale et il s'ennuie. Il trouve qu'il ne se passe rien. Il estime que la guerre touche à sa fin et qu'il n'y a rien à faire. L'armée occupe les positions fortes et il ne reste plus qu'à patrouiller alors que les affrontements sont maintenant plus au Nord. (5) Hard duty (4 pages) - Ce soldat est une véritable armoire à glace, un colosse. Il déplace les barils à main nue, plutôt que d'utiliser un chariot élévateur. De la même manière, il déplace les essieux de poids lourds à main nue. Il peste parce qu'il a été affecté à un poste de magasinier, alors qu'il estime être fait pour l'action, né pour le combat. (6) A Purple Heart for George (10 pages) - Comme tous les week-ends, George est bourré comme un coin. Tout en continuant à picoler à même le goulot, il braille à tue-tête dans le camp et les baraquements qu'ils sont tous des planqués, mais pas lui, que lui n'est pas un lâche. Lui il va faire sa demande de transfert pour rejoindre une affectation de combat.
Chaque récit s'ouvre avec 2 photographies d'époque, permettant au lecteur d'en avoir un aperçu : des hélicoptères s'élevant au-dessus de la jungle, des soldats avançant vers un baraquement, une vue d'une place de Saïgon prise depuis un étage élevé, 2 soldats aidant un troisième, blessé, à avancer, la circulation de vélos et de pousse-pousse à Hanoï, des soldats en train de charger un canon, une classe d'orphelinat, un peloton de soldats en train de courir à l'entraînement dans la cour de la caserne. Le premier récit est raconté en vue subjective et le personnage principal devient ce soldat qui guide le narrateur. Le lecteur est frappé par son sourire et sa jovialité, et sa perte de confiance progressive arrivé aux deux tiers de l'histoire. Alors qu'il est casqué tout du long, il dégage une vraie personnalité grâce à l'expressivité de ses postures et de son visage, sans que l'artiste ne les exagère. À ce moment de sa carrière, Will Eisner est un maître sans égal du langage corporel, ayant trouvé l'équilibre parfait entre naturalisme et pantomime. Rapidement, le lecteur ressent l'état d'esprit du guide, et il sait qu'une telle justesse est le reflet d'années passées à observer les autres, avec une forte empathie, et à les représenter. Passée la deuxième histoire où le personnage principal est plus convenu, le lecteur découvre le soldat blessé. Il se souvient de ce qui s'est passé et son maintien se modifie en fonction de ce à quoi il pense, à la fois de ce qu'il ressentait à ce moment-là, à la fois conscience après de savoir ce qui se passait vraiment. L'intensité de l'empathie est extraordinaire. Puis le lecteur découvre le soldat du quatrième récit dans un dessin en pleine page, en plan poitrine et il sourit tellement ce visage exprime la condescendance et l'ennui de ce jeune homme. Les soldats des 2 dernières histoires sont à l'opposé : un fort des halles à la forte carrure, avec une musculature assortie, prenant plaisir à l'exercer pour faire rayonner sa virilité, à comparer avec un gringalet éméché, avançant d'un pas mal assuré tout en déclamant bien fort sa décision.
Il suffit donc de quelques cases à l'auteur pour donner vie à des êtres humains tous différents et uniques. La qualité de la reconstitution historique est tout aussi impressionnante. Bien sûr, le lecteur regarde donc les uniformes militaires, le modèle de Jeep, les hélicoptères, les baraquements, les rues de Saïgon, les locaux administratifs de la base, mais aussi les rizières vues depuis l'hélicoptère, ou une terrasse de café, un hôtel de passe. Il peut se projeter dans chaque endroit, sans s'y sentir à l'étroit. Très tôt dans sa carrière, Will Eisner a réfléchi à comment donner la sensation au lecteur de lieux plus grands que la vision que n'en donne une case : il utilise des cases sans bordure ce qui évite l'effet de cadrage limitatif, et produit également une lecture plus fluide. Ce procédé produit des sensations remarquables, par exemple lorsque le jeune soldat de Virginie Occidentale regarde au loin : le lecteur se rend qu'il éprouve la sensation d'horizon lointain et qu'il projette même ce qu'il peut y a avoir au-delà de ce que montre la case. La narration visuelle est remarquable en tout point et suffit à elle seule à happer le lecteur quelles que soient les réticences qu'il puisse éprouver au départ envers les idiosyncrasies graphiques de Will Eisner.
Chaque histoire exsude un humanisme chaleureux à toutes les planches : Will Eisner porte un regard sympathique sur chaque individu, même ceux au comportement moralement discutable. Cela ne veut pas dire qu'il cautionne tout, ou qu'il gomme les aspects moins reluisants. Le guide perd toute contenance quand la base militaire subit une attaque ennemie et qu'il devient claire qu'il peut y laisser sa peau. Dans la deuxième histoire, le militaire est accablé de chagrin et de culpabilité. Dans la troisième, le soldat se paye une prostituée. Dans la quatrième, le lecteur voit un individu particulièrement obtus, aux valeurs étriquées. Dans la cinquième, il comprend que le malabar est un tueur des plus efficaces sur le champ de bataille, dépourvu de toute arrière-pensée pour les êtres humains qu'il tue. Le dernier est plus pathétique, trouvant son courage dans l'alcool, pour tout oublier une fois sobre. Mais aucun d'eux n'est un artifice narratif ou un méchant. Ils sont tous humain, un individu avec ses motivations, une histoire personnelle qui permet de comprendre le comportement décrit, de pouvoir se mettre à sa place. Il devient impossible de les juger. Il est normal de vouloir pouvoir rentrer chez soi quand on est à la veille de la quille. Il est impossible de ne pas compatir au traumatisme dramatique qui accable le militaire affalé à la terrasse. Le comportement borné du jeune de Virginie Occidentale ne fait que montrer en quoi son point de vue et sa façon de réagir sont façonnés par son milieu socio-culturel, et également imputables à sa jeunesse. Même le soldat doué pour tuer révèle une habitude qui empêche le lecteur de le condamner. En faisant le rapprochement avec celui du récit précédent, il se dit que celui-ci aussi a développé ses capacités meurtrières du fait de son environnement.
Encore un recueil d'histoires courtes de Will Eisner, encore des histoires sur la guerre. Oui c'est vrai. Mais aussi à nouveau une narration visuelle hors pair, dont l'expressivité est au service de l'humanisme, révélant la complexité de l'individu, son ambivalence, tout en conservant son capital sympathie. À nouveau, un regard pénétrant porté avec douceur et affection sur des êtres humains uniques dans des circonstances dramatiques qu'ils n'ont pas choisies. À nouveau un très grand cru de bande dessinée et un très grand millésime de Will Eisner.
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Superbe découverte d'un pionnier de la bande dessinée qui a développé cet art comme un mode d'écriture en soi et a été le premier à créer le "roman graphique".
Superbe album, plein de petites histoires sur la ville et les gens. Toutes les scènes, les croquis, les histoires se déroulent à New-York, mais sont universelles lorsque Will Eisner parle de la solitude, de l'indifférence, des phénomènes de foule mais également lorsqu'il décrit les rues comme un petit village, les relations de voisinage. Certaines histoires sont très pessimistes, d'autres avec plein d'humour. C'est un album à déguster petit à petit, à petite dose. Encore un grand nom et un grand dessinateur qu'il faut découvrir et qui nous amène à une saine réflexion sur notre relation aux autres en tendant un miroir sur nos vies de citadins.
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Un récit graphique raconté via le regard aiguisé d'un réel observateur. Belle fresque anthropologique. Superbe.
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Adossé à un réverbère au coeur de la ville, un vieil homme semble être absorbé par son carnet à dessin.
Will Eisner, lui-même, se met fugitivement en scène dans ce carnet de notes sur les gens de la ville.
New-York !
Will Eisner ressent la ville, à un point tel, qu'il parvient à redonner vie au plus invisible de son peuple.
Et, même si ce superbe roman graphique, par son universalité, pourrait se situer dans n'importe quelle autre grande cité ; l'âme de New-York porte en elle un relief et un pittoresque que seul le crayon d'Eisner a su saisir.
C'est bien de New-York dont il s'agit là !
Les portraits des personnages se mêlent aux décors.
Le gris est de mise, judicieux et indispensable.
Will Eisner raconte ici des histoires, des histoires qui s'attardent ou pas sur des destins croisés.
C'est parfois très courts, une planche ou deux.
C'est quelquefois plus long.
Le dessin est splendide.
Il est plein d'humanité, de mouvement.
Le tout est un petit chef d'oeuvre de croquis pris sur le vif, volés à l'imagination vagabonde de leur auteur.
Des mouvements de vie, des sensations, Will Eisner est un fin observateur, un poète apitoyé.
Mais pour autant la sensiblerie n'a pas ici sa place.
Et, même lorsqu'il use d'une touche de fantastique, en faisant par exemple resurgir dans son récit quelques fantômes du passé, c'est pour mieux saisir la réalité.
Eisner est un conteur. le dessin n'empêche pas les mots.
Les mots semblent ici même provenir du dessin.
Et du titre aussi, car Will Einer possède l'art du titre.
Déjà dans le Spirit, il s'en amusait.
Dans l'oeuvre d'Eisner, le terme de roman graphique prend tout son sens.
Le récit est est servi par un magnifique trait de crayon qui insuffle le mouvement, qui déchire l'invisibilité et l'anonymat dans lequel, avant lui, étaient plongés ses personnages.
Pincus Pleatnik en est le symbole même, lui qui croyait se protéger en n'étant personne.
Mais, malheureusement pour lui, un 4 novembre au matin, le journal, en annonçant son décès, fit prendre à son existence un tournant tragique.
Les personnages de Will Eisner sont attachants.
Cet album, paru chez Delcourt en 2018 est une réédition intégrale des trois albums : "la ville", "les gens" et "l'immeuble".
Elle est additionnée d'un carnet de notes sur les gens de la ville, d'une postface de Neil Gaiman, de quelques notes de l'éditeur et de deux histoires : "le pouvoir" et "combat mortel".
C'est une belle réédition, la mise en valeur réussie d'un petit chef d'oeuvre puissant et intemporel ...
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Pour Will Eisner, New York a été une source d’inspiration inépuisable. Sa ville de naissance a notamment été le théâtre de son recueil de nouvelles Un pacte avec Dieu, publié en 1978 et considéré par beaucoup comme un des albums de BD qui ont marqué le 20ème siècle. Entre 1981 et 1992, l’auteur du Spirit remet le couvert. Avec La Ville, L’immeuble et Les gens, il créé une trilogie New-Yorkaise qui fera date.
Le premier titre, La Ville, n’est pas à proprement parler un roman graphique. Il s’agit plutôt d’une série de « photographies » bâties autour d’éléments clé qui constituent sa vision d’une grande ville : les grilles d’aération, les perrons, le métro, les déchets, le bruit, les bouches d’incendie, les égouts, les murs, les fenêtres... Eisner y décline en une succession de saynètes brèves, souvent sans texte, des petites fictions censées selon lui représenter l’essence même de la grande ville telle qu’elle est vue par ses propres habitants.
Avec L’immeuble, l’auteur convoque les esprits de quatre personnes ayant vécu dans un immeuble aujourd’hui détruit. Il raconte ces vies « fantomatiques » dont le destin est resté intimement lié au lieu qu’elles ont habité.
Les trois nouvelles qui composent Les gens, dernier tome de la trilogie, sonnent comme un constat sombre et désespéré : aujourd’hui plus que jamais, la ville est peuplée de gens invisibles. Un univers kafkaien où le rythme de vie frénétique des citoyens ne laisse aucune place aux existences individuelles.
Si vous ne connaissez pas Will Eisner, un des plus grands maîtres de la BD mondiale, c’est l’occasion rêvée de le découvrir. En regroupant pour la 1ère fois cette trilogie dans une intégrale, les éditions Delcourt offrent à leurs lecteurs un magnifique cadeau. L’auteur propose une vraie leçon de BD. Un trait souple et doux d’une grande expressivité, un noir et blanc maîtrisé avec pour seule couleur une encre diluée qui offre différents ton de gris du plus bel effet. Et puis que dire de ce découpage ? Eisner possède un art consommé de l’ellipse, cet espace invisible entre deux cases permettant au lecteur de construire mentalement une réalité globale et continue qui constitue l’essence même de la bande dessinée. Mais au-delà des qualités purement techniques de cette trilogie, il y a dans les différentes nouvelles une force narrative absolument remarquable.
Ce pavé de 400 pages est plus qu’une simple intégrale regroupant trois titres distincts. C’est une œuvre cohérente offrant le regard porté par un artiste sur sa ville. Pour moi, une lecture indispensable si l’on souhaite parfaire sa culture bédéistique.
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Beau graphisme, un sujet que j'aime, mais un dernier tome vraiment sordide consacré plus aux humains qu'à la ville géante.
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Relativement partagé sur ce livre, qui raconte différents récits et saynètes en lien avec la vie dans une grande ville. D'ailleurs, comme l'auteur le dit lui-même dans l'introduction, son ouvrage ne parle pas tellement de New-York que de toutes les métropoles du monde.
J'ai beaucoup apprécié le style d'Eisner et ses dessins, que j'ai trouvé très bien réalisés. Plusieurs histoires sont plutôt drôles et illustrent bien la réalité de la vie urbaine (le métro, le rapport avec les gens, l'urbanisme, etc.).
Par contre, certains récits m'ont déplu. Eisner alterne parfois entre un ton "tarte à la crème" et une tonalité franchement glauque, surtout à la fin du livre. On peut y suivre une descente aux enfers d'un personnage, des morts horribles, etc. J'ai refermé le livre avec un drôle de goût pour cette raison.
Je pense qu'il faut garder de côté les histoires plutôt amusantes et mettre à part le reste. Dans ce cas, le livre est appréciable.
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L'un de ces livres qu'il faut avoir lu pour connaître la BD. On comprend certes la portée de l'œuvre quand on a une certaine culture BD, mais l'ouvrage restera un peu hermétique pour le lecteur lambda. Très ancré dans une époque et une culture, probablement pas très parlant pour les lecteurs français. Mais une œuvre forte néanmoins.
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J'avis repéré cette BD dans une anthologie sur le roman graphique. Le livre y était annoncé comme une étape dans l'apparition du genre. La composition de la planche prise en exemple, ses nuances de gris m'avaient donné envie d'aller plus loin.
Une fois la BD en main, j'y ai bien retrouvé ce brio pour assembler les cases, des lieux et personnages décrits avec un coup de crayon parfaitement maitrisé, mais aussi cette façon de nous amener à la chute des histoires parfois en seulement quelques mots, voire aucun.
On ressent la ville depuis ces éléments caractéristiques : les transports en commun, les bouches d'incendie, les feux de signalisation suspendus, les perrons des immeubles. Puis on zoome sur la population des quartiers populaire et on y est, on est dans la rue avec le voleur, le papy, les gamins dans la rue, la mégère à sa fenêtre etc...Presque un coup de cœur ! Mais j'ai trouvé les dernières pages moins prenantes, moins surprenantes !
A confirmer avec les prochains volumes ;-)
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Ce livre est à lire comme une succession de fenêtres sur le quotidien d'une ville. En l'occurrence il s'agit de New York, mais ce pourrait être n'importe quelle grande ville ou presque ! Le graphisme de Will Eisner fait passer beaucoup d'émotions.
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Dans le premier tome (La Ville), on découvre la ville par des éléments insignifiants au premier abord : les perrons, une grille d’aération, le métro, les bouches à incendie, les détritus, etc. Le second (L’Immeuble) raconte d’abord l’histoire de quatre personnes liées par un immeuble : un homme hanté par les regrets qui échoue à sauver des enfants, une femme qui renonce à son amour, un violoniste qui dépérit simultanément à la destruction de l’immeuble, un promoteur immobilier hanté par ce bâtiment. Suivent ensuite le Carnet de notes sur les gens de la ville qui traite du temps, de l’odeur, du rythme et de l’espace de la ville. Le troisième enfin (Les Gens) est composé de l’histoire de trois personnes, trois invisibles.
Will Eisner, considéré comme le père des romans graphiques, porte un regard extrêmement sensible et acéré sur la ville dans cette trilogie. Ce n’est pas un éloge un peu guimauve de la ville, non, mais il dégage un amour très fort pour cet environnement. Mais la pauvreté est là, la cruauté aussi : morts, vols, viols se déroulent sous les yeux des gens indifférents ou, du moins, qui prétendent l’être pour se protéger. Tous des anonymes, des inconnus. Une femme et son bébé se jettent par la fenêtre pour échapper à l’incendie ; la huitième page du second tome est marquée par la mort d’un enfant. La ville est brutale et Will Eisner le montre tout au long de ces trois tomes.
Will Eisner possède un véritable don d’observation – peut-être aiguisé par les années – pour noter et croquer toutes ses vies, toutes ses nuances, toute cette différence qui se côtoie en ville. Sans aimer la ville, je reconnais que c’est quelque chose de fascinant, cette multitude de gens, de caractères, de styles qui vivent ensemble sans se regarder. Black City Parade : une ville, c’est vivant, c’est multiple, c’est des histoires qui cohabitent. Des histoires tristes et des histoires gaies que Will Eisner dessine. Certaines se racontent sur une seule planche, d’autres sur quelques pages. Certaines sont extrêmement bruyantes et bavardes, d’autres muettes.
Will Eisner rend le son de la ville, on entend les voix, les voitures, les klaxons en lisant ces livres. Je me suis sentie oppressée parfois : par la promiscuité, par ces murs qui enferment et bouchent tous les horizons.
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remarquable observation de la société
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