Citations de William Boyd (606)
![](https://m.media-amazon.com/images/I/51KYfzKcgmL._SX95_.jpg)
Cashel affirma toujours que son premier souvenir était celui d’un homme en noir menant un cheval noir. Un inconnu dont il avait alors cru qu’il voulait le tuer pour une mystérieuse raison. Cette rencontre, qui remontait à ses quatre, cinq ou six ans, eut lieu par une fin d’après-midi hivernale alors qu’il traînassait dans le bosquet derrière le cottage où il vivait dans le comté de Cork, en Irlande. Il entendit au loin des trompes de chasse et des huées venant des champs, puis plus près, aux abords du bosquet mais hors de sa vue, des crissements et clappements de végétation foulée par une créature de grande taille se frayant un passage dans le sous-bois.
Cashel fut saisi par une peur qui le glaça tout entier. Alors émergea de derrière un gros fourré de houx un homme menant un immense étalon d’ébène musculeux qui renâclait et s’ébrouait, l’encolure et les épaules tapissées d’écume beige. L’air ambiant s’emplit d’une odeur de sellerie et de sueur animale, musquée, salée. L’homme de belle stature qui tenait les rênes portait une redingote noire à boutons d’argent et un chapeau noir à calotte haute qui le faisait paraître encore plus grand. Ses bottes d’équitation noires lustrées à la perfection étaient munies de petits éperons d’argent émoussés.
C’était la Mort venue le chercher ! songea Cashel. À moins que l’homme en noir ne fût le diable en personne !
Or ce n’était ni la Mort ni le diable, simplement un homme qui conduisait une monture épuisée à travers un bois. Un homme à la mâchoire carrée, avec une large moustache tabac.
(INCIPIT)
Nous possédons tous, qu'on le veuille ou pas, les gens que nous connaissons, et nous sommes en retour possédés par eux. Nous forgeons et possédons tous dans notre esprit une image des autres qui est inviolable et intime. C'est à nos risques et périls que nous rendons publiques ces images intimes. La révélation est un mouvement audacieux qui doit être longuement réfléchi. Malheureusement, cette impulsion se produit au moment où nous sommes le moins capables de la contrôler, quand nous sommes distraits par l'amour - ou la haine...
Dès qu'on est seul un peu de temps, on cultive un ennuyeux penchant à regarder les miroirs.
Sur la nature de l'amour. Les gens qu'on aime sont de deux sortes. Il y a les gens qu'on aime tranquillement, sans y penser : les gens dont vous savez qu'ils ne vous feronts jamais de mal. Et puis il y a les gens dont vous savez qu'ils peuvent vous faire mal et n'y manqueront pas.
Ennuyeux à souhait, rien à voir avec l'excellent Orages ordinaires.
Elle éprouvait une sensation étrange et néanmoins reconnaissable : l’inspiration. La sève créative recommençait à couler dans ses veines et à irriguer son imagination, comme une de ces séquences en accéléré dans les documentaires à la télévision quand une petite pluie humidifie le lit parcheminé d’une rivière asséchée : de la boue se forme, l’eau tombe goutte à goutte, puis dégouline et se fait torrent.
− Je vous ai posé toutes ces questions parce que j'ai quelque chose à vous dire.
− Non, Hamid, non, s'il vous plaît. Nous sommes amis : vous l'avez dit vous-même.
− Je suis amoureux de vous, Ruth.
− Non, vous ne l'êtes pas. Allez dormir. On se verra lundi.
Et nous perdîmes ce que nous possédions avant que je ne nous embarque dans ces quelques secondes irréfléchies. Ce baiser ne nous ouvrit aucune porte : il annula simplement les alternatives et nous laissa tous deux appauvris. Ce que j'envie le pus chez les gens, c'est leur capacité d'utiliser de manière positive la modération et le sacrifice. De vive et 'être heureux avec le négatif, la route non choisie. A l'échelle des gigantesques déceptions de ma vie, mes trois secondes d'étreinte avec Heather peuvent être considérées comme insignifiantes, mais elles se révélèrent un petit regret durable, comme un appendice grommelant, harcelant, harcelant.
Toute technique cinématographique, j'en suis convaincu (et comme beaucoup de mes théories, je suis probablement le seul), prend sa source dans le rêve. On rêvait en mouvement ralenti avant d'avoir inventé la caméra mobile. Déjà, dans nos songes, nous intercalions des actions parallèles, nous opérions des montages d'images bien avant qu'un m'as-tu-vu de Russe prétend nous montrer comment. C'est de là que le film dérive son pouvoir particulier. Il recrée sur l'écran ce qui s'est passé dans notre inconscient.
Georg m'affirma un jour, avec un sérieux passionné, que la seule chose importante dans la vie de tout Allemand mâle, c'était de pouvoir fumer en paix dans chaque coin de sa maison.
Peter avait été méchamment gazé à Arras et pouvait à peine prononcer une demi-douzaine de mots entre deux sifflements visqueux. Ses poumons faisaient un bruit de bottes de caoutchouc dans un marécage.
Toutes mes pensées avaient désormais trop servi - elles étaient molles, avachies, aussi diaphanes qu'une chemise trop lavée. Je voulais des pensées neuves, une stimulation nouvelle, je voulais quelque chose à lire. Je suppose que du papier et un crayon, de la musique, une conversation animée auraient été tout aussi bienvenus, mais, dans mon désespoir, je voyais mon salut dans un livre, n'importe quel livre. Je voulais être amusé, séduit, mais, avant tout, communiquer avec un autre esprit, une autre imagination que la mienne. J'avais cessé de rêver. J'avais cessé de me masturber. J'étais vide, une cosse. J'avais besoin d'un peu e fertilisation. Une goutte de carburant pour remettre la machine en marche.
Et en le regardant, brisé, ravagé je sentis une sorte de picotement dans mon cerveau, irrésistible, comme un éternuement cérébral en formation.
Faithfull possédait une certaine intelligence roublarde. Nelson était plus plaisant mais côté cervelle, il était - ainsi que l'aurait élégamment exprimé le sergent Tanqueray - "aussi épais que de la merde dans un bouteille".
Personnellement, je n'ai jamais perdu cette capacité juvénile de sentir à l'état brut. Dieu merci. C'est ce qui me situe à l'écart de la majorité des gens, paralysés par la bienséance et les conventions, étouffés par les notions de respect et de statut. Aujourd'hui encore, je peux revivre la jalousie de mes dix-sept ans, la sentir m'étreindre la gorge, me labourer les entrailles.
T.H.D. Todd, mon frère. Thompson Todd. Je crois que certains de ses amis lui donnent en fait du "Tommy", mais même dans ma plus tendre enfance, je le jure, je n'ai jamais pu l'appeler autrement que Thompson. Les noms sont importants pour moi, presque des talismans. Le prénom de Thompson semblait (et semble, car il vit toujours, ce misérable salaud) lui convenir parfaitement. La lourdeur, la solidité, les consonnes épaisses, l'impossibilité totale - de mon point de vue - de l'empreindre d'accents affectueux.
On devrait raser complètement ces endroits, pensa Jonjo, et les remplacer par des maisons construites pour une population convenable. Ramasser toute la racaille qui vit ici, l'abattre comme du bétail avec des produits adéquats, brûler les cadavres et jeter les cendres dans des décharges publiques. La criminalité diminuerait de 99%, les familles ne se feraient plus de souci, les gamins pourraient jouer à saute-mouton dans la rue, les fleurs fleuriraient de nouveau dans les jardins.
Il s'est tout à coup interrompu.
"Pourquoi me regardez-vous ainsi ? a-t-il demandé, un peu décontenancé.
- Vous voulez que je vous réponde sans détour ?
- Oui, je vous en prie.
- Je n'arrive pas à décider si ce sont les cheveux qui ne vont pas avec la barbe ou la barbe qui ne va pas avec les cheveux."
Son sourire était d'un blanc aussi immaculé que l'avait décrit ma mère, quoi qu'il y eût maintenant, dans les recoins de sa bouche, le reflet doré de bridges coûteux.
Mais je suppose que toutes les guerres se ressemblent. Terreur et ennui. Puissance et impuissance. Responsabilité et absence de responsabilité.
Si vous voulez savoir à quoi ressemblent vraiment les êtres humains, ce qui se passe dans leur tête derrière ce masque que nous portons tous, alors, lisez donc un roman !