Rencontre avec Florian Zeller, réalisateur de "The Son" : comment représenter la dépression d'un adolescent, comment adapter une pièce de théâtre à l'écran, ses choix de casting (Hugh Jackman, Laura Dern)...
"The Son", en salles depuis le 1er mars 2023.
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Moi, j’ai toujours eu l’impression que c’était vachement dangereux de trop rêver. Ca donne de faux espoirs. Et l’espoir, c’est ça qui tue. Même si la plupart des gens vous font croire que c’est ce qui les fait vivre.
Ce livre est une fiction : la plupart de ce qui y est dit est faux ; le reste, par définition, ne l'est pas non plus.
A trente ans, il y a théoriquement autant de choses à vivre que de choses vécues, autant devant que derrière soi- c'est-à-dire: autant d'espérances que de souvenirs. C'est un équilibre précaire qui ne durera pas. Peu à peu, la masse des souvenirs l'emportera sur celle de l'espérance. De ce point de vue, veillir, ce serait le transvasement invisible entre ces deux masses. Plus on avance, plus l'espérance se fait rare, tandis que la poche contenant les souvenirs devient extrèmement lourde. Si lourde, en vérité, qu'elle finit par se déchirer. La mémoire fuit alors de toutes parts. Elle fuit jusqu'à disparaître complètement.
PIERRE : A quoi tu joues, Nicolas ? Qu’est-ce que tu cherches ? (Un temps) Moi, à ton âge, ma mère était malade, je ne voyais plus mon père, j’avais des problèmes d’argent, mais je me battais. Je me battais, et crois-moi, ce n’était pas drôle tous les jours. Qu’est-ce qui t’arrive, à toi ? Qu’est-ce qu‘il y a eu de si dramatique dans ta vie pour que tu ne puisses pas aller en cours comme tout le monde ? Réponds-moi ! (Un temps) Réponds-moi, Nicolas !
NICOLAS : Je n’y arrive pas.
PIERRE : Tu n’y arrives pas ? Je ne comprends même pas ce que ça veut dire. Tu n’arrives pas à quoi ? A te lever le matin ? A te concentrer ? A faire des efforts ?
NICOLAS : A vivre (Un temps court.) Je n’arrive pas à vitre. Et c’est de ta faute.
PIERRE : Pardon ?
NICOLAS : Si je suis comme ça. C’est de faute.
PIERRE : De quoi tu parles ? (Un temps.) Qu’est ce qui est de ma faute ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Dis-moi.
NICOLAS : Tu me dégoûtes.
Le professeur leur montre alors ses propres paumes: " Vous voyez, ces lignes, celles dont on dit qu'elles révèlent l'avenir d'un individu...Vous savez d'où elles viennent? Ce sont les cicatrices des premières pulsations. Au moment où le coeur se met à battre, les mains du foetus se contractent, et les lignes se dessinent pour toujours.
LE PERE : Qu’est-ce que tu dis ?
LA MERE : (comme si rien n’avait été dit) Je dis que je ressens un grand vide
LE PERE : C’est de ta faute, aussi … Tu ne fais rien. Tu n’as développé aucune passion. Tu restes là, à ne rien faire. Alors forcément … Le monde te paraît …monotone
LA MERE : Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?
LE PERE : Je ne sais pas.
LE MERE : Tu vois.
Un temps.
LE PERE : Tu ne t’intéresses à rien. Depuis que les enfants ont quitté la maison, on dirait que … Enfin, il faut que tu te trouves des occupations. Des centres d’intérêt. Des …
LA MERE : Je me suis fait avoir. Voilà l’explication. Je me suis fait avoir. Sur tout la ligne.
LE PERE : De quoi tu parles ?
LA MERE : Il y a eu les enfants, oui. Je me suis occupée d’eux. Ca, on peut dire que je m’en suis occupée, des enfants. Deux enfants, ce n’est pas rien. Enfin, deux … Trois, avec toi. Parce que je me suis occupée de toi, aussi. Et je me suis occupée de cette maison.
LE PERE : C’est vrai.
LA MERE : Mais maintenant tout le monde est parti. Et je me retrouve toute seule. Dans cette grande maison. Plus personne n’a besoin de moi. Et pas un seul coup de fil …
- Ça se passe bien entre vous ?
- Pourquoi ?
- Non je te pose la question.
- Ça va.
- Parce que j’ai remarqué que la plupart des gens qui font un enfant se séparent dans l’année qui suit…
- Tu dis ça pour me remonter le moral ?
- Non, non, je te dis ça sérieusement. Tu n’as pas remarqué ? Moi, en tous cas, autour de moi, c’est flagrant. […] C’est quelque chose qui me frappe. Pas toi ? Il me semble qu’avant, le fait d’avoir un enfant avait plutôt tendance à consolider les liens entre les parents... Non ?
- Je ne sais pas. Moi, mes parents se sont séparés quand j’avais quinze ans. Les tiens aussi.
Des murs chutent, des tours s'effondrent, mais dans quelle mesure ces événements changent-ils nos vies? En revanche, à travers le rétrécissement des trottoirs, c'est notre relation à la rêverie qui est bouleversée en profondeur. Si nous ne flânons plus, nous ne pouvons plus contempler le monde de la même façon.
Soudain, au loin sur la plage, elle crut reconnaître le couple de tout à l'heure, et elle fut prise d'un vertige. Elle avança dans leur direction, et plus la distance qui la séparait d'eux se réduisait, plus son trouble augmentait. Elle avait l'étrange impression de les connaître sinon depuis toujours - du moins depuis très longtemps, tout en sachant très bien qu'elle ne les connaissait pas.
Ils se tenaient face à la mer. La mer montra du doigt l'horizon. Ils étaient, à cet instant, tous les amants du monde, ils étaient le bonheur d'être deux, l'espoir fiévreux et magnifiquement puéril de ne faire qu'un. En les regardant, Amélie fut envahie par une violente mélancolie. Elle n'osa pas s'approcher. Qui étaient-ils? Lui avait une silhouette élancée et portait un costume noir. Pourquoi était-il si élégant sur la plage? Et elle? Elle avait une robe courte et de longs cheveux blonds. Ils sont vraiment beaux ensemble, se dit Amélie. Ils ont l'air heureux. C'est alors que la ligne bleutée de l'horizon lui apparut comme une de ces lignes dont on ne revient pas.
Elle les dépassa. Pourquoi se sentait-elle aussi triste? Elle attendit de s'être suffisamment éloignée pour se retourner une dernière fois. Ils s'embrassaient, là-bas.
Elle était triste parce qu'il lui semblait que tout était destiné à disparaître, à faner, à pourrir. Un jour, il faudra bien se rendre, pensa-t-elle. Un jour, ils se détesteront. Les débuts ne veulent rien dire. Oui, les débuts mentent, et tout disparaît.
« A l’absurdité du monde, je voudrais répondre par sa beauté. A sa beauté correspond l’émerveillement permanent. »