Citations de Éric Chevillard (1146)
Les Japonais ne sourient que sur les photos. Raison pour laquelle sans doute ils se mitraillent de la sorte – c’est la condition de leur bonheur.
Tu repousses la balle parce que tu ne veux pas jouer… mon pauvre ami… c’est jouer déjà.
Je lui fous les boules, je l’enguirlande, je lui fais voir trente-six chandelles, bref, je décore gentiment mon sapin de Noël.
Dans l'Autofictif incendie Notre-Dame, à paraître en Janvier 2020.
Car il serait faux de penser que Prosper Brouillon ignore le doute et l'hésitation. Sa belle assurance s'émousse quelquefois. Il n'a pas peur du vide - quand comprendra-t-on que l'angoisse de la page blanche désigne l'émotion de la feuille elle-même lorsqu'un écrivain la menace de sa plume? Certaines préfèrent se rouler en boule et se laisser choir dans la corbeille.
Lorsque l'Européen pose le pied sur le sol africain, il est d'abord désemparé. L'appareil des cinq sens en surchauffe se détraque : est-ce beau, est-ce laid? Est-ce infect ou savoureux? Parfums ou miasmes? On ne sait pas.
Je lis Kierkegaard sous les cocotiers avec quelques scrupules tout de même car j’ai l’impression que son désespoir grandit à chaque fois que je vais me baigner.
Rétrospectivement, le destin d’un homme est fait de tout ce à quoi il a survécu.
Nulle mention de l’Amérique dans la Bible, ce qui est bien normal puisque Dieu, comme on sait, ne la créa qu’au XVe siècle.
Allez, oublions tout ça, tournons-nous résolument vers le passé !
L’homme sait qu’il va mourir un jour. Cette amertume ne lui suffisait pas. Il sait aussi maintenant qu’il va pleuvoir demain.
Il arrête de fumer quarante fois par jour, ce qui prouve selon lui une force de caractère hors du commun, quand on sait à quel point il est déjà difficile d’arrêter une fois.
On élève dans le parc zoologique de Guadeloupe un puma femelle déjà promis à un jeune puma mâle du parc zoologique de Guyane. Personnellement, je m’insurge contre ces mariages arrangés. Nous ne sommes plus au XIXe siècle !
– Pourquoi persistez-vous à écrire au crayon ?
– Avez-vous déjà essayé de vous gratter avec un ordinateur quand ça vous démange entre les omoplates ?
Craignant d’être reconnu dans cette librairie, je me collai sous le nez une paire de grosses moustaches – mais on me prit pour Flaubert ! Je les taillai – on me prit pour Proust ! Alors je m’affublai aussi de petites lunettes rondes et d’un chapeau – on me prit tantôt pour Pessoa tantôt pour Joyce ! Las de ces confusions, je me débarrassai de tous ces postiches et passai dès lors, il m’en coûte un peu de le dire, totalement inaperçu.
LUI – Vous êtes illisible.
MOI – Je dois reconnaître que vous n’êtes pas le premier analphabète à me dire ça.
Pour deux pizzas achetées, une pizza offerte. Un vrai marché de dupes, quand on sait que Pour deux pizzas mangées, une pizza rendue.
L’homme est assez fier du spectacle qu’il donne sur la Terre et, pourtant, à l’exception de quelques mouches, le public ne vient pas.
J’aime l’horizon dégagé de la mer : pas de rendez-vous.
Nous voudrions parvenir au bonheur par le jeu des équilibres et des compensations. Que les vides de notre vie soient comblés par les pleins et les creux de la dépression par les pics de l’euphorie, que nos réussites vengent nos échecs et nos victoires nos défaites, que nos qualités annulent nos défauts, que nos privilèges lissent nos handicaps. Mais ça ne marche pas comme ça. Tout cela coexiste. Tout s’additionne, l’actif et le passif : nous sommes simultanément riches et faillis.
Nos lèvres, nos paupières, nous existons entre ces parenthèses dans le grand récit du monde.