A mes yeux ce n'était pourtant pas le destin ou le hasard qui m'avait conduit chez Chao Lee mais quelque chose de plus subtil et de plus intime, quelque chose dont on ne peut parler explicitement sans s'exposer à de gros risques mais que moi, je ne peux définir avec un autre mot que celui qui lui revient légitimement, je veux dire le romanesque dont je respirais depuis toujours l'air fébrile et qui trouvais ici sa température la plus élevée.
Tout ce que l'on écrit existe quelque part... Ou simultanément avec l'écriture ou avant ou après... C'est pourquoi parfois on trouve des livres auxquels on s'identifie aussi profondément... L'écriture est un fait magique ou devrait l'être... Qui peut exclure que celui qui a écrit le livre que tu lis a au moins en rêve glissé du siècle passé jusqu'à toi en capturant cette parcelle du futur dont tu fais partie ?
Ne vous est-il jamais arrivé d'avoir le souffle coupé devant le visage d'une femme et de sentir votre désir monter tout d'un coup, votre sexe se gonfler et votre sang se mettre à courir dans vos veines simplement parce que le regard de cette femme s'est arrêté dans le vôtre un instant de plus que nécessaire ?
Mais moi, j'ai appris à mes dépens que la peur est l'instrument de connaissance le plus puissant qui soit. Plus que l'imagination, la peur libère des signaux lumineux, même dans l'obscurité, elle nous place face au mystère qu'il y a dans la vie de chacun ; elle est peut-être un animal féroce, mais un animal intelligent et fidèle à qui l'on doit le respect.
Il venait de regarder sa montre pour la enième fois quand, en déplaçant son regard, au pied du pont, du côté du musée, il vit une femme accomplir le même geste que lui puis laisser retomber son bras avec résignation. C'était une femme jeune grande et mince aux cheveux châtains qu'aussitôt, non sans émotion, il associa à la scène de la veille au soir quand, accoudé à sa fenêtre, il avait vu passer la femme grande et mince à laquelle il avait attribué le coup de téléphone.
J'étais parfaitement conscient de la frivolité de mes pensées et nullement disposé à les condamner. Car, je l'admets sans réticence, j'ai toujours eu le plus grand respect pour la frivolité, que je considère comme une sorte de dentelle tendue sur le vide,comme un dessin délicat sur fond de néant.
Il y avait beaucoup de silences derrière elle, une boule de silence probablement pleine de choses hurlantes.
César Novello alluma un cigare, puis dit sans attendre : « Avant que tu ne me le demandes, je te signale que ledit César n’entend plus prêter un rond à personne. »
Huston jeta un regard indigné à ses amis. « Quelle bande de minables ! Je ne m’assoirais plus à cette table même si vous deviez m’en prier à genoux. Belle façon de traiter un ami dans un moment… » Il s’interrompit comme s’il avait du mal à trouver les mots justes : « … d’insolvabilité passagère », conclut-il.
« Passagère mon cul, dit Novello. T’avais qu’à éviter de te marier trente-six fois. »
Il regardait autour de lui comme si, là il se trouvait, était tapie une fraction imprécise de ce temps où rien n'était jamais certain mais où tout semblait encore possible.
Puis – continua Valentin – il avait trouvé du boulot dans ce bar de Rio, L’Albatros, près du centre financier le plus équivoque de la ville. Et c’était là qu’était arrivé un événement qui avait fait prendre à sa vie un tournant définitif. Une nuit, elle était entrée. Il était très tard, il était resté seul et s’apprêtait à fermer lorsqu’elle était entrée avec un ami, un type en smoking blanc, grand, maigre, bronzé et ivre. La radio encore allumée répandait les notes d’une douce mélodie d’amour. « Une lente rumba, Huston, ce à quoi on s’attend dans un film quand quelque chose qui frappe au cœur est sur le point de se produire, une musique de fond, d’une beauté peut-être ridicule, mais qui doit être celle-là et non une autre, et qui fonctionne de façon mystérieuse… »