Ce tome comprend 3 miniséries indépendantes, chacune en 4 épisodes : (1) Gordon's law, (2) GCPD, et (3) Gordon of Gotham. Grâce soit rendue aux adaptations de comics au grand écran ou à la télévision : c'est certainement la série "Gotham city" sur le petit écran qui a incité les responsables éditoriaux à rééditer ces histoires dans un recueil, pour profiter d'un phénomène de synergie entre ces 2 médias.
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- Gordon's law (1996, scénariste :
Chuck Dixon, dessinateur & encreur :
Klaus Janson) - À Gotham, un groupe de voleurs bien organisés s'est attaqué à la réserve fédérale. James Gordon arrive pour négocier et faire libérer les otages. Les criminels réussissent à s'enfuir en emportant un beau pactole, et en laissant derrière eux 4 flics morts. Dans un service confidentiel de la police, le capitaine Hugh H. Danzizen recrute un policier fraîchement sorti de l'école de police pour l'infiltrer dans cette bande. Dans la cage d'escalier d'un immeuble,
Steve Smith (un flic désabusé) fait en sorte qu'un individu louche trébuche dans l'escalier. Quelques jours plus tard, un billet volé dans la réserve accompagne la découverte d'un cadavre.
Chuck Dixon a écrit les aventures de Batman de 1991 à 1999, en menant de front les 2 séries "Batman" et "Detective comics" pendant 6 ans. Sa familiarité avec les personnages secondaires de Batman se ressent dans ces 4 épisodes, qu'il s'agisse de James Gordon, de Sarah Essen-Gordon, d'Harvey Bullock, de Renée Montoya, de Billy Pettit, ou de Barbara Gordon (et même Pamela Bell, la nouvelle venue). Les personnages disposent de suffisamment d'épaisseur pour avoir ce qu'il faut de personnalité et de motivations. Gordon est crédible en flic intègre, tâchant de tenir Batman à l'écart pour laver son linge sale en famille, car il subodore que le coup a été fait par des individus disposant d'informations confidentielles (= des fonctionnaires de police).
Dixon a construit un thriller sur fond de procédure policière, avec un agent infiltré, très bien agencé. le lecteur essaye de devancer l'enquête sur la base des indices et des motivations, sans deviner l'issue du récit. le rythme est soutenu, et l'histoire est dense, avec ce qu'il faut de noirceur. S'il ne s'agit pas d'un polar révélateur des noirceurs de l'âme humaine, il s'agit d'un polar bien mené et divertissant.
Les responsables éditoriaux ont confié les dessins à un vétéran des comics :
Klaus Janson. La lecture permet de constater que cet artiste a disposé du temps nécessaire pour peaufiner ses dessins. Janson a fait un effort pour éviter les perspectives hasardeuses qui entachent parfois quelques cases. Il réalise des dessins présentant une solide densité d'informations visuelles, qu'il s'agisse des tenues vestimentaires, ou des arrières plans. Chaque personnage est habillé de manière plausible. Chaque séquence se déroule dans des endroits clairement définis, dans des décors fournis et en 3 dimensions. Comme à son habitude, Janson réalise un encrage lourd et abrasif, qui donne une densité à chaque image, ainsi que des rebords déchiquetés. Il en découle une atmosphère rugueuse et usée, en parfaite adéquation avec la tonalité du récit.
Sans être un polar révélateur de son milieu, cette histoire s'adresse à des adultes, pour un récit noir et plausible. 4 étoiles.
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- GCPD (1997, scénariste :
Chuck Dixon, dessinateur :
Jim Aparo, encreur : Bill Sienkiewicz) - L'histoire s'ouvre avec une séquence où Harvey Bullock brutalise un supercriminel de série Z (Abner Krill, alias Polka Dot Man), jusqu'à le blesser sérieusement. Renée Montoya est écoeurée par son comportement et accepte immédiatement la proposition de Sarah Essen-Gordon pour changer de service. Sa première mission est de servir de doublure à la femme d'un diplomate menacé par un groupe de rebelles. Bullock a les boeuf-carottes sur le dos parce que Krill a porté plainte. Pendant ce temps là, un groupe de bandits réalise des cambriolages de haut vol et négocie par la suite avec la compagnie d'assurances pour revendre leur butin.
Pour cette deuxième histoire mettant en scène les inspecteurs de Gotham,
Chuck Dixon n'a pas perdu la main. le lecteur a l'impression de côtoyer des collègues de travail qui se connaissent bien et qui s'apprécient, même si certains préfèrent s'éviter (Montoya & Bullock). Les 2 enquêtes se révèlent bien tordues et épineuses à souhait. À nouveau Dixon fait preuve d'une grande adresse et d'une vraie sensibilité dans la manière dont il fait émerger les personnalités de chacun.
Il introduit un nouveau partenaire pour Bullok : Kevin Soong. Les origines de ce dernier permettent à Bullock d'exprimer toute son indélicatesse, au travers de remarques discriminatoires sur les asiatiques. Il est à la fois insupportable d'idiotie et de préjugés bas du front, et très attachant dans son ignorance. le duo formé par Caz Salucci et le lieutenant Stanley Lawrence Kitch est tout aussi savoureux. Dixon ajoute une couche de sarcasme avec l'enquête sur les vols de fournitures de bureau au commissariat, tout aussi dérisoire qu'indispensable.
Cette fois-ci, c'est
Jim Aparo, grand spécialiste de Batman, qui assure les dessins. le lecteur familier de cet artiste reconnaît immédiatement sa façon de dessiner les personnages, ou de les représenter dans une posture et avec un angle de vue qui accentuent leur mouvement. Parfois cette approche des séquences confère un petit goût de superhéros, pas forcément en adéquation avec la nature du récit, mais il ne s'agit que de moments occasionnels. Aparo bénéficie de l'encrage très abrasif (et un peu pince-sans-rire pour certaines expressions de visage) de Bill Sienkiewicz. Cet apport est déterminant pour donner une apparence adulte aux personnages et aux décors, sans rien perdre de la personnalité graphique d'Aparo. le lecteur qui ne serait pas familier de ce dernier appréciera des dessins consistants, au fini râpeux, avec quelques postures étranges. le lecteur familier d'Aparo sera satisfait de ce fini adulte, mais parfois déconcerté par cette différence avec le style plus superhéros d'Aparo et le résultat plus mature.
Cette deuxième histoire est aussi bien construite que la première, avec des personnages tout aussi adultes et peut-être encore plus attachants, toujours avec des dessins bien adaptés à la tonalité adulte du récit. 4 étoiles.
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- Gordon's law (1998, scénariste : Dennis O'Neil, dessins & encrage : Dick Giordano &
Klaus Janson) - Sur un toit de Gotham, James Grdon raconte à Batman quelle boulette l'a contraint à partir de Chicago au début de sa carrière (comme mentionné dans Year one). Jeune officier de police à l'époque, il était en but à l'hostilité de la population devant ces porcs, représentant de l'autorité fascisante (évocation des années hippies). Gordon s'attire rapidement l'inimitié d'un collègue qui trempe dans des affaires louches avec le préfet de police. Sa femme (Barbara Eileen Gordon) lui reproche de ne pas être assez à la maison, et finit par partir chez sa soeur. Pour des raisons qu'il ne comprend pas, il bénéficie de l'aide d'un agent spécial, au nom de code de Cuchulain.
Changement de scénariste, changement de ton, Dennis O'Neil situe son récit dans le passé, les années 1960, même si elles ne sont pas nommées. La réaction des civils correspond au rejet de l'establishment de l'époque. Gordon est un jeune flic intègre qui doit faire face à un collègue réactionnaire au possible. L'intrigue en elle-même repose sur une fraude assez originale.
Par contre, le lecteur se rend vite compte qu'O'Neil a conservé des tics narratifs datant d'une époque révolue des aventures de Batman, personnage dont il a écrit les aventures de 1970 à 1975 (dont une partie dessinée par
Neal Adams). Il y a le dispositif de cadrage (Batman et Gordon discutant sur un toit), et cet agent spécial apparaissant toujours à point nommé pour sauver Gordon, sans parler de l'affrontement final. Sans être franchement mauvais, ces dispositifs sont un peu durs à accepter, après les récits naturalistes et fluides de Dixon.
Au vu des crédits, Janson et Giordano semblent se partager à part égale les dessins et l'encrage, l'un assurant plutôt les dessins dans un épisode et l'autre l'encrage, puis inversement. Là encore la comparaison avec la première minisérie du tome fait apparaître des dessins plus gauches, et moins acérés. Globalement le résultat est d'un niveau satisfaisant, avec une approche assez réaliste, mais des personnages moins bien définis évoluant dans des décors moins substantiels.
Cette dernière histoire est un peu plus faible que les 2 précédentes, même si le suspense perdure jusqu'à la fin. 3 étoiles.