Chose étrange ! Bien que le journal, ici, soit le pain quotidien de tous, et la seule lecture du plus grand nombre, les articles de fond qu'il renferme, quand encore on les lit, ont, en somme, peu d'influence. On est assez sceptique, ou mieux, indifférent à leur endroit. Le public sait que le journal peut tout dire, et on lui en passe de toutes les couleurs, sans attacher autrement d'importance à ses jugements. D'ailleurs, ses colonnes sont ouvertes à tous, et c'est une des particularités du journalisme américain de favoriser l'expression de toute opinion personnelle.
Un directeur-propriétaire de grand journal sourirait de pitié, ne comprendrait pas, si vous lui parliez de la mission éducatrice du journaliste, de l'éminence de son rôle social. L'éducation du peuple, l'influence idéale sur les foules, est-ce qu'il se préoccupe de cela, lui ? Est-ce que cela peut entrer dans ses calculs? Faire fortune par le moyen de cette affaire, piquer le plus possible la curiosité publique, de façon à l'exploiter de son mieux, voilà son but principal. Le reste,—se donner du nom, ou travailler à l'amélioration de la condition humaine, n'est que bien secondaire. Il importe avant tout de s'enrichir en flattant les goûts et les passions populaires, en se pliant à tous les caprices de l'opinion.
Le journalisme américain est d'abord une affaire, et une affaire colossale. Aux Etats-Unis, le mot business est le plus usité de tout le vocabulaire, celui qu'on entend le plus souvent retentir. Il revient à propos de tout. Il n'y a aucune exagération à affirmer qu'ici l'on envisage toute chose au point de vue affaire.