« Rien dans la vraie vie ne justifie notre raison d'être au monde, il faut la chercher ailleurs. »
Antonine Maillet a largement justifié sa raison d'être au monde en embrassant l'écriture... et dans cet essai sur le métier d'écrivain, elle subjugue le lecteur en démontrant le pouvoir incommensurable des mots. Les mots dits, les mots écrits.Son enfance ayant été bercée par les récits de ses aînés, la petite Antonine a vite découvert le chemin de la fiction, là où il croise celui de la réalité. C'est au carrefour de ces deux chemins qu'elle se tient toujours, racontant avec passion sa très chère Acadie qui refuse de mourir. Même si on n'a jamais reconnu cette nation, même si les Britanniques ont chassé ses enfants à tout vent.« Chaque fois qu'un Québécois engagé interroge son homologue acadien sur la réticence de son peuple à se défendre contre les injustices subies pendant des générations:
- Vous n'auriez pas pu comme nous mordre celui qui vous a mordus?- Pas nous autres, on n'a pas les dents pour ça. - Vous avez préféré vous faire dévorer?- Non plus, on est toujours là. -Alors?...-L'Acadien n'est pas un loup, mais un renard. »
L'écrivaine constate que nos grandes institutions éducatives n'ont jamais vraiment tenu pour valable l'oralité en tant que littérature. Pourtant, la langue des Acadiens ne manque pas de poésie... avec des termes tels que ragorner, calouetter, aveindure, avec des insultes telles que la godêche de sacordjé de forlaque...
L'ironie, ici, c'est qu'
Antonine Maillet a justement écrit une thèse de doctorat sur
Rabelais parce qu'elle appréciait son Patangruel, ce grand (!) classique de la littérature, à la fois pour la robustesse de ses farces souvent crues et la justesse de ses mots qui savaient « élever l'esprit du lecteur comme lui secouer les boyaux à force de rire».
Pour Antonine, sa raison d'être au monde pourrait bien être justement la mise au monde de tous ces personnages plus vrais que nature. Ainsi, Radi, en qui elle a déposé une bonne part d'elle-même et que j'ai découverte dans son merveilleux roman «
Le Chemin Saint-Jacques», ainsi
la Sagouine qui nous saisit au coeur par son franc-parler et sa lucidité face à la nature humaine, ainsi
madame Perfecta, sa femme de ménage qui fut surtout sa grande amie et qui lui disait souvent: «Mamozelle Tonine, on est en confiance.»C'est bien vrai qu'avec cette femme au grand coeur et cette écrivaine aux mots doux, vifs, fous et vrais, on est en confiance... «J'ai attendu trop longtemps, quatre cents ans, barricadée dans le silence d'un peuple qui n'avait droit de parole ni sur la place publique, ni à l'église, ni dans les écoles, je ne vais pas me priver! le mot pour moi gardera toujours la saveur des premiers aliments du premier repas d'un rapatrié. Je ne l'ai pas toujours su, mais maintenant je peux l'affirmer: je n'écris ni sous le regard terrorisant des critiques, ni sous la caution des postpoststructuralistes! Laissez-moi déballer en mille mots ce qui pourrait se dire en cent... au cas où dans les neuf cents autres se cacheraient les plus beaux.»