Georges Geffroy : 1905-1971

Costumes de bals, mobilier de théâtre, décorations de yachts : l'oeuvre de Georges Geffroy pourrait passer pour frivole. Or c'est précisément les ornementations les plus frivoles qui marquent leur époque et forgent les styles. Geffroy fut ainsi l'un des principaux acteurs de l'histoire des arts dits « décoratifs » des années 1940, qui trouvèrent leur plein épanouissement dans les années 1950. Il fut une des coqueluches du Tout-Paris de ces années, un des piliers des bals donnés par les Noailles, les Beistegui ou les Beaumont et l'inventeur aujourd'hui oublié
de la touche « Geffroy ».
Son parcours semble atypique, mais il fut celui de nombre d'artistes de sa génération : modéliste pour Poiret et Redfern, puis styliste chez Patou dans les années 1920, il commença dans la mode pour concevoir
très rapidement des meubles et des décors. En 1938, il imagine le salon privé du couturier Robert Piguet, puis dessine le mobilier de la pièce Sheridan, donnée au théâtre des Mathurins, en 1940. Dans une certaine mesure, l'art de Geffroy arrive à maturité pendant la guerre, au moment des commandes passées par Marcel et Hélène Rochas pour leur demeure. Héritier de la veine française « classique » des arts décoratifs des années 1920 et 1930, et notamment des inventions de Louis Süe, il met au point une manière à la fois tapageuse et raisonnée, fantaisiste et architecturée, à l'opulence toujours maîtrisée. Les formes du XVIIIe siècle l'inspirent : il s'impose comme l'un des instigateurs du retour au style Louis XV et Louis XVI de l'après-guerre, comme en témoigne la superbe bibliothèque imaginée en 1948 pour l'appartement du baron de Rédé, à l'hôtel Lambert. Grâce à sa collaboration avec la maison Decour, il crée des canapés restés fameux, recouverts de velours de soie léopard et de daim beige, rehaussés de glands, de festons à pampilles dorées, d'une qualité que l'on n'ose plus espérer dans l'ameublement contemporain. La carrière de Geffroy est ainsi une autre pierre apportée à l'histoire des décorateurs des années 1940, menée naguère par Bruno Foucart et Jean-Louis Gaillemin. Soucieuse de préserver le plaisir de l'ornement et comprise comme une revanche de l'esprit français, son oeuvre atteignit son apogée dans les années 1950. Elle fut un modèle pour les créateurs des années 1960 et 1970, qui imitèrent l'atmosphère de la lumineuse salle à manger de Philippe et Denyse Durand-Ruel de 1969, un des derniers chantiers de Geffroy.
L'auteur ne le dit pas, mais la réunion de toutes les pièces du dossier Geffroy ne fut certainement pas aisée, car le sujet est évanescent : beaucoup de décorations ont disparu, balayées par de nouvelles modes. Geffroy était lui-même un être mondain, mais secret. En ce sens, ce livre est aussi le résultat de nouvelles méthodes de recherche et de l'exploitation de fonds inédits : archives de maisons de couture, de maisons d'ameublement, photographies de presse... On apprécie d'autant plus la richesse de l'illustration et surtout les commentaires techniques de Pierre Arizzoli-Clémentel, dont la langue parfaite et sensible fait mouche.
Par Christine Gouzi, critique parue dans L'Objet d'Art 531, février 2017