Le professeur de la ville en réputation à Besançon, quand Gigoux et Laviron commencèrent, était Flajoulot, grand vieillard maigre et osseux, vivant sous le coup d'un enthousiasme chronique et se livrant avec des gestes d'énergumène, à des démonstrations passionnées en l'honneur de l'art. Dans son atelier était en permanence un chevalet portant un tableau ébauché, jamais fini, mais lui servant .à décrire les merveilles qu'il allait y faire éclore. Ce type de comédien a complètement disparu, parce qu'il ne serait pas pris au sérieux de nos jours comme il l'était alors. Flajoulot se disait élève de David. Pas de peintre qui, sous le premier empire, ne se prétendit le disciple de ce chef d'école. En réalité, il n'avait produit que de rares peintures, des tableaux religieux sans mérite, ce que démontrent trop quelques toiles égarées dans des églises à Besançon et dans les environs.
Reconnaissons d'ailleurs que, même aujourd'hui, la Mort de Léonard peut être placée dans les premiers rangs parmi les peintures remarquables de
notre temps. C'est le chef-d'oeuvre de l'artiste, qui jamais ne retrouvera les mêmes éminentes qualités d'aspect et de vérité. Le succès fut d'ailleurs de nature à satisfaire les plus exigeantes ambitions. Le tableau fut placé à l'exposition dans le grand salon carré ou est la Joconde à présent et fut acheté par l'Etat 4,000 fr. : c'était un prix à une époque où les toiles n'étaient pas encore couvertes d'or ; il fut envoyé au musée de Besançon ; Gigoux reçut en outre, la première médaille de peinture d'histoire.
Un jour il entreprend une lithographie d'une dimension exceptionnelle, et quand sa pierre est bien finie, il va la proposer à l'éditeur Dauty.
Celui-ci examine longuement son ouvrage et finit par lui dire :
« Cette pierre me convient beaucoup mais je ne puis vous la payer plus de trois cents francs.- »
Gigoux accepte; avec enthousiasme il aurait accepté trente francs.
J'ai à faire beaucoup de portraits, écrit-il, je n'aurais jamais pensé les réussir aussi bien. J'espère, d'ici à peu de temps, peindre un peu mieux qu'Hersent, Gros, Gérard, qui se font payer six mille francs. J'ai deux grands maîtres devant les yeux, Velasquez et Lawrence ; tant que je ne serai pas à leur niveau, je me regarderai comme un bambin en peinture.