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EAN : 9782213662367
360 pages
Fayard (13/11/2014)
4.5/5   2 notes
Résumé :
Au lendemain de la Commune de Paris, la France devient la deuxième puissance coloniale du monde. À la conquête succède l’exploitation des colonies, réputée profiter à la fois aux colons, à la métropole et aux « indigènes ». C’est dans ce contexte que se développent les sciences dites « coloniales », qui prospèrent comme des disciplines spécialisées au sein de la sociologie, de l’ethnologie, du droit, de la géographie, de l’histoire et de la médecine, en prenant pour... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Voilà donc un troisième (et dernier ?) volume de l'auteur sur les aspects peu connus ou esquivés de la colonisation française. Cette fois-ci, il s'appuie sur un corpus négligé : les ouvrages de médecine, les manuels universitaires, les débats politiques tout au long de la période… Un ouvrage, comme les précédents, qui prend et noue les tripes, car à travers tout ce qu'il présente comme faits et discours, comme références, sont les preuves irréfutables et monstrueuses de ce qu'ont subi comme souffrances les peuples colonisés.

Au départ, la France, deuxième puissance coloniale au lendemain de la Commune de Paris ! A la conquête succède l'exploitation des colonies… Les sciences dites «coloniales» prospèrent, sur fond de racisme (inégalités des races, caractères physiques et biologiques différents…). Une conception hiérarchisée du genre humain qui se traduit par la séparation stricte (ségrégation) entre Européens et «indigènes» en vertu de considérations hygiénistes : pratique courante du travail forcé, par des quartiers différents et éloignés les uns des autres, «séparés complètement» (recommandation, en 1905, de la section médicale du Congrès colonial français), maintien de l'esclavage domestique malgré son abolition en 1848, etc.

L'ouvrage embrasse presque toutes les colonies, ainsi d'ailleurs que d'autres pays colonisateurs (Belgique au Congo, Allemagne en Namibie, Grande-Bretagne en Inde, Afrique du Sud…) et presque partout, la médecine et l'hygiène (tropicales) sont des sciences pratiques au service de l' «empire», au service des «émigrés » et de leurs familles. L'arme sanitaire est d'emblée conçue par les praticiens comme une arme impériale «qui doit favoriser la pacification, la domination, puis l'exploitation des populations locales». Des exploités par millions, des morts au sein de la «masse d'exécution» par centaines de milliers dans des travaux presque pharaoniques sous surveillance (seulement) des Blancs. Par la suite, l' «assistance médicale indigène» vint… mais tardivement et au compte-gouttes avec, entre autres, Lyautey qui l'avait placée au coeur de sa stratégie et de ses pratiques. Il fallait bien entretenir et «conserver» en bon état, ladite «masse d'exécution»… dont la mort ne suscite aucune compassion. de «purs moyens et traités en conséquence», des êtres inférieurs dont l'exploitation est jugée nécessaire à la réalisation de l'«oeuvre coloniale», «pour une plus grande France».

L'Algérie n'est pas oubliée. le même calvaire ! Pis encore, des pratiques similaires à celles mises en oeuvre en colonie sont importées sur le territoire métropolitain (France) afin de «gérer «les «immigrés» (22.000 en 1946, près de 300.000 en 1954). Des «allochtones»… à la religion qui, déjà, dérange et est jugée menaçante pour l'ordre et la sécurité. Un «village arabe» (masures en bois recouvertes de papier goudronné) est signalé à Genevilliers en 1931 dans une thèse de droit. La tuberculose fait des ravages. du personnel français arrivé d'Algérie encadre et surveille cette main-d'oeuvre. En 1954, les Nord-Africains sont rangés au neuvième rang de sympathie parmi dix nationalités. Ils sont en France, mais pas de France.

L'Auteur : Né à Paris en septembre 1960. Universitaire (français), politologue, spécialiste des questions de citoyenneté et des questions ayant trait à l'histoire coloniale. Il a critiqué la loi de 2005 sur la colonisation et il a été également un militant engagé pour la régularisation des immigrés clandestins. Auteur de deux essais à succès : en 2005, «Coloniser, exterminer : sur la guerre et l'Etat colonial», et en 2009, «La République impériale. Politique et Racisme d'Etat», les deux édités en arabe en Algérie.

Certains historiens français (dont Gilbert Meynier et Pierre Vidal-Nacquet) lui ont reproché d'assimiler le système colonial au 3ème Reich.

Avis : Une oeuvre incontournable pour qui s'intéresse à l'histoire de la colonisation et à la naissance de l'impérialisme. Ainsi que pour tous ceux qui s'intéressent à la médecine et à l'hygiène
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L'extraordinaire violence ordinaire de l'exploitation coloniale
En introduction, Olivier le Cour Grandmaison revient sur la réthorique impériale-républicaine, la place de l'anthropologie et de la géographie médicale, l'écriture d'une « histoire édifiante », les récits apologiques des dirigeants de la Troisième République (et pas qu'eux) qui « ont fait disparaître ces événements, incompatibles avec le grand roman national et impérial qu'ils ont élaboré, puis diffusé avec constance ». Il s'agit bien d'un « passé reconstruit ».

L'auteur parle des savoirs médicaux, du conservatisme de la hiérarchie miliaire sourde aux interpellations des médecins, des morts de la conquête coloniale, « par la faute de ceux qui la conduisent »…

Il introduit sur cette « hygiène tropicale », science pratique au service de l'empire, des dispositions hygiénistes « à la hauteur » des ambitions coloniales, des médecins contribuant « à transformer les armées en campagne en force de protection ». Deux faces d'une même entreprise, « colonisation-conquête », « colonisation-civilisation ». L'auteur souligne les rôles importants du médecin à coté de ceux de l'instituteur dans la présence française et les discours sur l'amélioration du sort des « indigènes »…

Il parle de sexualité, de corruption des moeurs, de peur du métissage, de hantise de l'indigénisation, d'ordre moral et racial, de « politisation remarquable de la sexualité, des questions matrimoniales et familiales, qui subvertit les frontières entre l'intime et les affaires publiques », d'hygiénisme et de moralisme, d'hygiénisation de la vie quotidienne et des espaces… L'hygiène comme science pratique et totale, « Totale, elle l'est aussi en raison de ses finalités, puisqu'il s'agit d'étendre ses prescriptions à l'ensemble de la société coloniale, conçue comme un corps physique, sexuel, économique, social, urbain et politique ».

Olivier le Cour Grandmaison poursuit avec la ségrégation, « les autochtones doivent être physiquement séparés des Blancs afin que leurs relations avec eux soient limitées aux seules nécessités du travail », la défense de l'ordre public colonial, la politisation « remarquable » de l'urbanisme et de l'architecture, « Les villes, les villages et les maisons deviennent donc coloniaux », les conceptions hiérarchisées du genre humain…

Travail, travail forcé, corvées, violences extrêmes, châtiments corporels, brimades… « Jointes aux dispositions mentionnées, ces spécificités aident à saisir les singularités de l'exploitation coloniale, qu'aggravent les prérogatives exorbitantes des gouverneurs généraux et de leurs subordonnés sur le terrain, l'oppression particulière liée aux règlements autoritaires des pouvoirs publics (interdiction du droit de grève, des syndicats et des partis) et l'ampleur des bouleversements provoqués par la « mise en valeur » des colonies ».

Olivier le Cour Grandmaison souligne le lien avec deux de ces précédents ouvrages Coloniser Exterminer. Sur la guerre et l'État colonial et La République impériale. Politique et racisme d'État (voir en fin de note) : « Si ces trois ouvrages peuvent être lus isolément, ils n'en forment pas moins un triptyque. Leurs parties se complètent, s'éclairent mutuellement et composent un ensemble cohérent, quant bien même il ne saurait être exhaustif. Les violences des guerres de conquête et des opérations militaires destinées à rétablir l'ordre imposé par la métropole, celles de l'exploitation, le rôle des sciences coloniales, le statut des « indigènes », le droit appliqué outre-mer y sont étudiés sur la longue durée afin d'en suivre les évolutions, les transformations significatives ou, au contraire, la permanence. Je n'ignore pas les facteurs économiques, sociaux et politiques, qu'ils soient nationaux ou internationaux, ni l'influence prépondérante d'autres disciplines, comme la psychologie ethnique. Des pages nombreuses lui sont d'ailleurs consacrées, puisqu'elle a joué dans l'entre-deux-guerre et après 1945 un rôle majeur dans la définition de l'autochtone comme mineur soumis à la puissance de ses instincts et de son affectivité, rétif au travail et dangereux pour l'ordre et la moralité publics »

Sommaire :

Chapitre I : Pathologie exotique, médecine et hygiène coloniales

Chapitre II : Savoir vivre sous les tropiques

Chapitre III : Villes coloniales et races dangereuses

Chapitre IV : Hygiène coloniale, travail et « mentalité primitive »

Chapitre V : Exploitation coloniale : travail forcé et esclavage domestique

Olivier le Cour Grandmaison en conclusion revient, entre autres, sur l'extraordinaire violence ordinaire de l'exploitation coloniale, « Dramatique banalisation des violences et des comportements extrêmes, lesquels perdurent à cause de cette banalisation même », des massacres administratifs, des multiples obligations juridiques aux quelles sont soumis les « autochtones ». Il argumente autour du livre de Conrad Joseph « Coeur des ténèbres ». L'auteur indique que « la signification de la paix outre-mer se découvre : elle n'est que le nom avantageux donné à la stabilité de l'oppression et de l'exploitation » et termine par : « L'exploitation coloniale : le vrai visage du capitalisme ? Non, l'un des plus terribles »

Une livre prenant et nécessaire. le rôle des savants, ces scientifiques de l'ordre établi, ne sera jamais assez souligné, hier comme aujourd'hui. Leur prétention à dire la vérité doit en permanence être interrogé de manière critique, en particulier leur soit-disant neutralité politique. Si les expertises, des sciences dites sociales, peuvent donner des éclairages, souligner des points invisibilisés, ouvrir des perspectives élargies de compréhension, etc., elles ne sauraient cependant se substituer aux débats politiques…

Après la lecture de ces ouvrages, j'espère un autre livre restituant les paroles, les analyses des « autochtones » et les « rares » analyses anticolonialistes en phase avec les combats des populations colonisées.

Et peut être aussi, un ouvrage pluridisciplinaire, mettant en relation les constructions savantes de la soumission, de l'inégalité, de l'ordre établi, les universitaires édifices des incapacités des femmes, des ouvrier-e-s, des non-blanc-he-s, des autres…


Lien : https://entreleslignesentrel..
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Si ces trois ouvrages peuvent être lus isolément, ils n’en forment pas moins un triptyque. Leurs parties se complètent, s’éclairent mutuellement et composent un ensemble cohérent, quant bien même il ne saurait être exhaustif. Les violences des guerres de conquête et des opérations militaires destinées à rétablir l’ordre imposé par la métropole, celles de l’exploitation, le rôle des sciences coloniales, le statut des « indigènes », le droit appliqué outre-mer y sont étudiés sur la longue durée afin d’en suivre les évolutions, les transformations significatives ou, au contraire, la permanence. Je n’ignore pas les facteurs économiques, sociaux et politiques, qu’ils soient nationaux ou internationaux, ni l’influence prépondérante d’autres disciplines, comme la psychologie ethnique. Des pages nombreuses lui sont d’ailleurs consacrées, puisqu’elle a joué dans l’entre-deux-guerre et après 1945 un rôle majeur dans la définition de l’autochtone comme mineur soumis à la puissance de ses instincts et de son affectivité, rétif au travail et dangereux pour l’ordre et la moralité publics
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«L'objectif des Européens, en Afrique et ailleurs, demeure l'exploitation, et que la mort des travailleurs noirs en est un effet. Ce sont les nazis qui ont radicalement modifié les termes de cette équation en commençant à exploiter dans le but officiel d'exterminer, au moyen du travail, notamment, les déportés juifs et, parfois, les résistants» (p 324)
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Totale, elle l’est aussi en raison de ses finalités, puisqu’il s’agit d’étendre ses prescriptions à l’ensemble de la société coloniale, conçue comme un corps physique, sexuel, économique, social, urbain et politique
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Dramatique banalisation des violences et des comportements extrêmes, lesquels perdurent à cause de cette banalisation même
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"Ennemis mortels": représentation de l'Islam.
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