Dans ces lumières et ces couleurs, rien de réel ; les effets ne sont pas observés; les couleurs ont une crudité, une vivacité acide qui n'est point celle des corps vus dans l'espace, mais que possèdent seules les substances simples isolées par les chimistes ou les couleurs encore pures de tout mélange sur la palette ; les lumières ne sont point des reflets naturels du soleil ; les choses ne sont pas éclairées, mais rayonnantes par elles-mêmes, d'un éclat éblouissant, imprévu, suivant les fantaisies du peintre. Cette œuvre, d'un style si peu réaliste, dune expression si intense, est conforme à l'idéal germanique qui emprunte seulement au monde physique ce qui peut signifier le monde moral. Grlïnewald est d'une époque trop avancée pour créer du fantastique avec des images irréelles ; comme les autres artistes du Nord, lorsqu'il peint un désert pour anachorètes où les monstres acharnés contre saint Antoine, c'est avec des fragments du monde vrai qu'il compose des fictions ; mais comme son imagination colore ces emprunts ! Aucun peintre ne nous adonné de vision plus poétique que cet étrange lointain de rocs abrupts et de végétations déchiquetées devant lequel conversent saint Antoine et saint Paul ; une lumière étrange, transparente et voilée lui donne le mystère d'une nature sous-marine. Enfin, parmi les innombrables peintres qui nous ont amusés avec la tentation de saint Antoine, il n'en est pas un qui ait su, comme Grûnewald, effrayer un peu avec un mélange tumultueux de griffes, de becs, des chairs molles et blafardes de batraciens.