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Anna Gibson (Traducteur)
EAN : 9782494289307
288 pages
Les Argonautes (05/01/2024)
3.62/5   13 notes
Résumé :
Une jeune femme scandinave s’installe à Florence où tout lui semble étranger et écrasant : les toits de tuiles, les tours des églises, l’homme qu’elle a rencontré. Elle se dit qu’elle vient d’une région trop froide, et qu’il pourrait être celui qui réchauffera la terre gelée en elle.

La Prise du diable est l’histoire de cette femme, de son corps et de son esprit. Du pouvoir qu’elle a sur l’homme qu’elle tente de changer, et du pouvoir de plus en plus ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
«L'amour, ce pauvre mot, si galvaudé, si maltraité»

Lina Wolff, en retraçant l'histoire d'une relation toxique entre une Suédoise et son amant florentin, réussit un roman puissant sur l'emprise. Construit comme une mécanique implacable, il est aussi troublant que révoltant, fascinant que dérangeant.

Lorsqu'elle arrive à Florence, la jeune femme scandinave voit partout des amants. La grande ville toscane respire l'amour. Aussi n'a-t-elle pris qu'un billet aller pour rejoindre l'homme qu'elle aime. Il a beau être laid, au point où les gens qui les croisent se demandent ce qu'ils font ensemble, leur relation s'installe dans la durée. Elle change sa garde-robe, le rase, l'entraîne au club de sport. Désormais, il a dû sex-appeal et commence à attirer les femmes. Et à mentir. La vidéo qu'il lui présente en train de soulever de la fonte ne peut qu'avoir été tournés par une femme. Son intuition le la trompe pas, il n'y a qu'à regarder la façon dont il jette son regard sur la personne qui le filme.
«Tout s'accélère maintenant. Ça commence par des inflexions ou des insinuations qui dégénèrent en disputes, qui dégénèrent à leur tour en querelles spectaculaires. À quelques reprises, les voisins cognent au mur en criant Ho, vous allez vous calmer, oui?, Ce n'est pas possible, pense-t-elle. Ceci n'est pas la réalité. Je ne suis pas quelqu'un dont le comportement pousse les voisins à cogner aux murs. Je suis une personne réfléchie, calme, qui se maîtrise. Mais quand elle s'entend hurler, elle comprend qu'elle se trompe. Son image d'elle-même est déformée, pas besoin d'être anorexique pour se voir autrement qu'on n'est.»
Alors la jalousie s'installe. Et va tourner à la paranoïa. Minnie, comme la surnomme cet homme qui la veut aussi silencieuse et discrète que la souris, va bien tenter d'oublier son Mickey, d'abord en se jetant dans d'autres bras puis en prenant la fuite jusqu'à la Nouvelle-Orléans, mais là-bas aussi les choses ne se passent pas comme prévu et la Louisiane d'après Katrina devient un enfer.
Ce qu'il y a de fascinant dans ce roman, c'est sa mécanique. Comme une montre mécanique de haute précision, Lina Wolff insère un rouage après l'autre. Entraîné par le précédent, il forme un ensemble inextricable dont il impossible de sortir. La chronologie des faits semble inéluctable, l'issue programmée. Jamais peut-être n'a-t-on mieux décrit l'emprise, cette dépendance dans laquelle on s'enfonce comme dans un marais puant.
La prise du diable est tellement forte qu'il est impossible de fuir. À moins d'entrer à son tour dans la danse, de se rapprocher du démon et de son manège plutôt que fuir. C'est à la fois palpitant et révoltant, comme si la domination masculine était inscrite dans la relation. L'ironie, voire la poésie, venant en contrepoint de la violence, de l'horreur des situations.
Comme dans ses précédents romans parus chez Gallimard – Les Amants polyglottes (2018) et Bret Easton Ellis et les autres chiens (2019) – Lina Wolff explore la force magnétique du désir face à la et rationalité des faits. Quand on voit le piège se refermer, mais qu'on se laisse quand même prendre.
Non, il n'y a pas d'amour heureux.
((Babelio – Lecteurs.com – Livraddict))
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. En vous y abonnant, vous serez par ailleurs informé de la parution de toutes mes chroniques.

Lien : https://collectiondelivres.w..
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Adrénaline fois mille !
L'emprise dans toute sa noirceur.
Psychologique, dans une langue sans distance, « La prise du diable » est l'empreinte même d'une relation toxique entre un homme et une femme. Une lutte quotidienne, sournoise et risquée.
Un roman au scalpel, subtil et d'une lucidité indépassable.
Un page-turner frénétique et envoûtant.
Fascinant, habile, c'est le tissage véritable des dominations.
Une jeune femme scandinave, lunaire, lasse de l'atmosphère glacée et du décorum figé de son bureau, où elle travaille, décide sur un coup de tête de démissionner.
Traductrice de formation, dans un pays nordique où les rais de lumière ne s'infiltrent que trop peu. Elle prend alors un billet aller simple, en direction de Florence la sensuelle, en Italie.
L'opposée, « une ville du deuxième chakra, celui du bas-ventre. »
Elle ressent l'apaisement d'une destination dont elle pense maîtriser les codes. Assoiffée de désir et d'aventure. Sauf que.
Elle va rencontrer un homme quelque peu négligé. Sale, les cheveux longs, indésirable, une proie parfaite. Elle va subrepticement bâtir un plan. Se glisser chez lui, lui refaire une garde-robe et surtout passer son temps à ne rien faire, ne plus travailler, vivre sur ses réserves financières. Elle ressent l'exigence de son insertion. Prouver sa nouvelle présence au monde. Soumettre le Propre-sur-Lui, à ses volontés secrètes. Névrosée, elle est le balancier entre la chaleur et le froid d'avant. Tomber amoureuse de cet homme. Elle tire l'as de pique, prise à son propre piège. Elle ne le sait pas, pas encore. le Propre-sur-Lui va inverser les rôles insidieusement. « la prise se resserre encore un peu, il a la main un peu plus dure sur elle, mais reste à peu près correct : - Ne me dis pas ce que je dois faire ou non. Tu n'as aucun pouvoir sur moi. Tout ce que tu as besoin de savoir, c'est que tu dois t'en remettre à moi. »
Les fondations tremblent. Les draps sont trempés de méprise et de doute. Surnommée Minnie, elle devient, « une pouffiasse patentée, une pure dingue délirante du Nord. Minnie qui espère que Mickey la croit mourante, qui veut que Mickey s'occupe d'elle. »
D'une fureur destructrice, le mental de le Propre-sur-Lui devient et vite la prise du diable.
Le récit est une porte qui grince. La démonstration minutieuse des carcans d'oppressions. Elle se soumet : elle l'aime. Dans cette autorité virile, la domination prégnante et l'influence sur elle, qui ne quête que le désir, l'attrait et le regard, elle devient un feu orange clignotant, le langage du corps qui se retourne à contre-sens. le huis-clos est une cage qui vrille. le summum d'une violence sourde. le Propre-sur-Lui, est puissant, misogyne, une bombe à retardement. On ressent un étau qui enserre cette jeune femme. Faible, soumise, elle ne veut encore que le bonheur de ce monstre glaçant, machiavélique. Un bourreau pervers et sadique.
« Que fera-t-elle alors, quand il ne voudra plus d'elle ? Elle se dit qu'elle pourra toujours se suicider. À cette idée, un grand soulagement l'envahit. »
Vulnérable, une porcelaine brisée, les gestes étouffés, bâillonnée, Minnie perd ses plumes. Son esprit s'égare, elle perd pied, elle se noie. Elle devient mutique, apeurée. le paroxysme de l'influence est l'amour qu'elle ressent encore pour le Propre-sur-Lui. Nous sommes en plongée dans un drame acide, implacable, vertigineusement vrai. Un grand tourbillon, le trou noir, d'angoisse, de peur et de colère. L'estime de soi est un parfum qui s'évapore. Florence, ville mythique, perd son aura. L'odeur de la mort règne. le néant et l'hostilité aux abois. La chute de Minnie dans l'ultime tragédie. Les coups comme des éclairs. La griffe du diable qui défigure le symbole des passions faussées. le Propre-sur-Lui est un pervers narcissique. Comment Minnie pourra-t-elle s'évader de cet enfer ? La trame est un tsunami. Superbement dressée, elle démonte les mécanismes implacables. On ne quitte pas des yeux le Propre-sur-Lui. Sardonique, paranoïaque, l'emblème même du non retour pour Minnie. Lina Wolff est surdouée. Elle pousse ses protagonistes dans les extrêmes entendements. L'exploration minutieuse des comportements dominateurs. le macrocosme d'une folie dont l'arborescence fait froid dans le dos. « La prise du diable » dans son idiosyncrasie la plus réelle. Ce livre qui excelle de contemporanéité, clairvoyant, intuitif, efficace. Il est l'injonction de la prudence. « Apprendre à toujours se méfier », à l'instar de Prosper Mérimée. Caustique, acide, implacable, stupéfiant, il devient un outil précieux, sociétal sur les embrigadements, et ce qui peut, et très vite, mettre en danger une femme ou un homme. Crissant, superbe de maîtrise, ce livre est le piédestal d'une littérature engagée. Un livre qui ne laisse pas indemne et c'est tant mieux. Traduit à merveille du suédois par Anna Gibson. Publié par les majeures Éditions Les Argonautes éditeur.


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Quel roman époustouflant, magistral, captivant et dérangeant sur l'emprise et ses mécanismes !
Une jeune femme suédoise et polyglotte a pris un aller simple pour Florence. Elle a récemment démissionné d'un emploi de bureau, laissant tout derrière elle pour se réinventer dans la chaleur estivale de la belle ville ocre. Elle s'est installée chez son amant originaire des Pouilles, un homme moins instruit et qu'elle juge inoffensif et qu'elle transforme physiquement en une version plus attrayante, plus proche de l'image de l'homme qu'elle recherche, ce qui le rend également plus séduisant aux yeux des autres femmes. Et lui donne ainsi assurance et pouvoir, libérant le potentiel obscur et qui l'habite. Elle ne se sent pas supérieure bien longtemps, peu à peu, le pouvoir change de mains. Cet homme narcissique prend l'ascendant sur elle.
Leur relation toxique devient de plus en plus malsaine et destructrice. Mais alors qu'on pense savoir comment l'histoire va se terminer, le roman prend une tournure inattendue…

Lina Wolff nous plonge avec brio au coeur d'une relation toxique où manipulation, soumission et violence sont des armes de pouvoir. Elle nous entraîne dans une spirale de violence sans issue. Observant cette relation au microscope, elle réussit à décrire parfaitement l'ambivalence des sentiments et émotions de la jeune femme, à nous faire ressentir son isolement, sa solitude et le malaise grandissant.
« La prise du diable » est un récit ensorcelant impossible à lâcher sur une tragédie qui concerne de trop nombreuses femmes. Une lecture qui vous hante longtemps après l'avoir terminée.
Je n'ai pas lu ses deux romans précédents traduits en français et celui-ci me le fait regretter. Je vais évidemment me les procurer (j'ai été étonnée de constater qu'ils n'étaient pas disponibles en Poche…).
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Ce livre sur l'emprise qu'un homme, un vrai, peut avoir sur une femme a ceci de particulier que, tandis que l'on descend une à une les marches de l'enfer, la narratrice préserve une distance ironique, grinçante, et parfois drôle, sur la déchéance morale qui la conduit à accepter l'inacceptable. La femme est une trentenaire suédoise sans passé précis mais on la sait littéraire, elle est polyglotte et interprète de métier. Elle rencontre un homme et s'installe avec lui, à Florence. Il est originaire de Bari, viril, cadre moyen dans l'industrie, costaud, plus âgé et laid. Elle croit qu'il s'agit d'un "petit gros inoffensif", elle le méprise vaguement, mais il n'y a pas de petit gros inoffensif, comme le prouvera la suite. Ils tombent amoureux, ou plutôt tombent en relation. Tandis qu'il s'autorise à voir d'autres femmes, elle tente de le garder en le manipulant mais à ce jeu, il s'avère beaucoup plus fort. de provocations mutuelles en disputes spectaculaires, il finit par la battre et elle voit dans sa possessivité une preuve d'amour... Elle rejette comme celui d'une vieille conne le conseil d'une psy qui lui dit que s'il la frappe, elle doit le quitter immédiatement, point. On se demande comment tout cela finira : mal, mais comment ?
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Les ressorts de la manipulation, la folie d'une société qui partout étend son emprise, la fragilité aussi d'une femme qui cherche des traductions, des normalisations, de ce qu'elle est et de ce qu'elle sent. Dans une langue un peu plate, toujours ancrée à ras du quotidien et de ses résignations, Lina Wolff entraîne son lecteur dans une manière de thriller pour interroger jusqu'où peut aller la manipulation, dans quelle horreur peut faire sombrer une apparente acceptation dont l'autrice montre les méandres et la complexité. La prise du diable : une plongée inquiétante dans la domination masculine, l'enfer solitaire du couple.
Lien : https://viduite.wordpress.co..
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critiques presse (2)
LeMonde
22 février 2024
Avec l’impassibilité d’une entomologiste observant la lutte à mort de deux araignées dans un bocal, Lina Wolff relate les phases d’une relation de plus en plus malsaine et sans issue.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Bibliobs
12 janvier 2024
Avec un humour glaçant qu’elle manie comme une arme de torture, Lina Wolff raconte ici la tragédie banale de l’emprise.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (3) Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
En arrivant à Florence, la première chose qu’elle remarque et qui la stupéfie, ce sont les couples. Ils sont partout, sous les arcades voûtées du centre-ville, et un entrelacs de solives noires court au-dessus de leur tête. Tout est brûlant et grandiose, aux antipodes de ce qu’elle avait imaginé autrefois, quand son train avait marqué un long arrêt en gare de Florence. De larges flocons de neige tombaient doucement sur ce qui lui était apparu alors comme une ville frêle, froide, endormie. Or à présent, donc : des amants partout dans la chaleur. On les entend par les fenêtres ouvertes et même à travers les murs de l’appartement. Des cris de femmes suivis un peu plus tard de murmures et de rires.
– Est-ce que tout le monde baise comme ça tout le temps ?
– Oui. Tu trouves ça bizarre ?
– Non, dit-elle. Pas du tout.

Elle pense qu’elle est pour sa part issue d’un coin particulièrement aride, qu’elle a beaucoup à apprendre, et que cet homme est peut-être celui qui l’aidera à pénétrer cette réalité nouvelle. Les tuiles couleur ocre se déploient devant eux depuis le toit-terrasse de l’appartement. Vue d’en haut, Florence est la ville du deuxième chakra, celui du bas-ventre, dont la couleur est l’orange. L’ocre orangé est l’une des couleurs dominantes de cette ville. Tout coïncide, se dit-elle. Ça y est, tout coïncide, enfin.
La sueur se dépose sur leur peau telle une pellicule permanente. Elle aime l’odeur de sa sueur. Elle aime tout chez cet homme, bien qu’il soit si terriblement laid. Ses cheveux sont longs, noirs, mal peignés, et il les ramène sans cesse vers ses tempes et ses joues comme s’il voulait se cacher. Mais un tel visage n’est pas dissimulable et elle approche ses mains pour repousser la tignasse de l’homme jusque derrière ses oreilles. Il dit qu’il a honte. Elle dit qu’il a tort : son visage donne une dimension supplémentaire à sa virilité. De plus, il contraste délicieusement avec la grâce féminine de la ville. Il esquisse un sourire incrédule, presque timide. Les gens qu’ils croisent dans la rue le dévisagent, avant de tourner leur regard vers elle, puis de nouveau vers lui. Il dit que c’est la première fois que ça lui arrive.
– Ils nous regardent ainsi parce qu’ils ne comprennent pas comment quelqu’un comme toi peut être avec quelqu’un comme moi, dit-il.

Mais certaines femmes le comprennent. Elles le comprennent même très bien. Et manifestent leur intérêt de la manière propre à certaines femmes latines. Un jour au parc, alors qu’ils sont assis sur un banc, une femme s’approche pour boire à la fontaine voisine. Se plaçant juste à côté de lui, elle se penche de telle façon que son cul se retrouve à moins de cinquante centimètres de son visage. Il sourit avec satisfaction.
– C’est parce que je suis avec toi, chuchote-t-il. D’habitude, elles ne me voient même pas.
Naturellement, elle envisage la possibilité qu’il soit déjà en train de lui mentir. Mais elle ne s’y attarde pas. Il est là, après tout, à côté d’elle, détendu, les bras écartés et posés sur le dossier du banc, avec l’odeur de sa sueur qui monte de ses aisselles. Il n’y a aucune raison de s’inquiéter. Il est inoffensif ; il rebute toutes les femmes sauf elle. Il n’est rien de plus qu’un petit gros inoffensif. Plus tard, elle songera (amèrement) que les petits gros inoffensifs, ça n’existe pas.

Rapidement, les femmes se prennent à le remarquer de plus en plus. Cela le ravit, elle le voit bien, et au début elle ne peut s’empêcher d’en sourire. Cette transformation, après tout, c’est à elle qu’il la doit. C’est elle qui est aux manettes. Elle qui ramasse tous ses t-shirts gris délavés et les jette. Elle qui fait en sorte qu’il s’achète des chemises en lin de couleur claire, un déodorant, un nouveau jean.
– Un jean, explique-t-elle, peut créer un corps ou le ravager, au choix.
Par exemple, on ne peut pas porter un jean délavé avec des chaussures noires, étroites et brillantes, dont le talon claque contre les pavés à chaque pas.
– À moins de vouloir passer pour un vendeur de guidages pour poids lourds, ajoute-t-elle.
– Mais c’est à peu près ce que je suis, non ?
Elle rit, gênée.
– Oui, c’est vrai. Mais ça ne devrait pas t’empêcher de garder tes belles chaussures noires pour les enterrements et porter plutôt des baskets au quotidien.
Il absorbe et apprend. Il la suit dans le centre commercial et achète docilement tout ce qui, d’après elle, pourra lui aller. Lorsqu’elle lui suggère de se raser entièrement la tête, ou de ne laisser qu’un millimètre de tapis noir, comme Shane dans la série The Walking Dead, il va voir sur Internet et acquiesce.
– Mais mon visage alors ? s’inquiète-t-il l’instant d’après. Les gens vont avoir peur !
– Je crois que tu auras l’air différent. Comme si tu ne cherchais pas à dissimuler quelque chose. Comme si tu étais fier de ton côté effrayant.
Il obéit. Tôt le matin, avant que la chaleur ne dépose une membrane poisseuse sur la ville, elle court avec lui dans les parcs. Peu à peu, le gras du bide s’estompe. Elle l’emmène à la salle de sport ; pendant qu’elle fait des abdos sur le tapis, il exerce ses biceps devant le miroir.
– J’ai l’air d’un cazzone, constate-t-il. Une bite géante occupée à faire des tractions. C’est parce que je n’ai plus de cheveux.
Elle rit. Elle adore l’entendre parler ainsi, prononcer des gros mots en transpirant, elle l’écoute telle une affamée. Là d’où elle vient, il y a si peu de place pour l’auto-ironie.
La transformation continue. Salade tous les soirs, fruits au petit déjeuner et, en guise de garniture, des tonnes de sexe pour que la virilité s’exhale par chacun de ses pores lorsqu’il quitte l’appartement. Elle se tient à la fenêtre. Satisfaite (mais naïve), elle contemple son œuvre, son miracle, faire sa sortie dans le monde.

Les aspects pratiques doivent être définis et réglés le plus tôt possible, pour qu’ils sachent tous deux à quoi s’en tenir.
– Bien sûr, dit-il. Vas-y.
Tout d’abord : quand elle a acheté son billet de train, elle a pris un aller simple, oui, il a bien entendu. Pas de billet de retour. Après tout, elle n’avait aucune idée de ce qui allait se passer une fois sur place. Mais son boulot alors ? Elle doit bien avoir un boulot, là-bas, chez elle ? Non, elle a donné sa démission. Elle n’avait plus la force de continuer. Elle haïssait cet emploi, il la dévorait, une petite bouchée d’elle était engloutie chaque jour, et à la fin elle en a eu marre.
– Tu as démissionné ?
– C’est ça.
Un matin elle s’est décidée. Elle est allée voir le chef, lui a expliqué qu’elle en avait assez de la vie de bureau, de la moquette couleur chair et des encadrements de fenêtres marron, et qu’elle avait en conséquence décidé de quitter son travail.
Il s’inquiète.
– Mais de quoi vas-tu vivre ?
– De toi, dit-elle.
L’espace d’un instant il a l’air exactement aussi effaré qu’elle l’espérait.
– Quoi ?
– Pourquoi, tu n’as pas assez d’argent ? Moi qui te prenais pour le genre d’homme sur lequel on pouvait compter.
La terreur semble s’être agrippée à ses traits.
– Oui, bien sûr, mais…
Elle rit et ajoute qu’il n’a pas de raison de flipper. Elle a de quoi vivre.
– Combien ?
– Assez pour ne pas devoir te faire payer pour le sexe.
Il toussote nerveusement. Elle dit que c’était une blague. Que c’est plutôt lui qui pourra se reposer sur elle le cas échéant. Il dit qu’il n’a jamais fait cela. Jamais profité d’une femme, jamais abandonné un poste, jamais eu de l’argent « comme ça » sur son compte en banque. Elle hausse les épaules. On est tous différents. Il dit qu’il vient d’une famille d’agriculteurs. Chez lui, dès lors qu’on choisissait de quitter la terre, il n’était pas question de démissionner d’un boulot sans en avoir auparavant décroché un autre. Elle hausse à nouveau les épaules. Comme je le disais, on est tous différents. Si elle reste longtemps à Florence, il faudra qu’elle s’active à un moment donné, qu’elle suive une formation et prenne un job, peut-être dans l’industrie, peut-être traduire des modes d’emploi. De plus, elle a toujours voulu apprendre l’interprétation simultanée et, à Florence, il existe deux écoles. OK, dit-il. C’est possible. Elle peut habiter chez lui quelque temps, comme ça elle n’aura pas à payer de loyer. Si elle a envie de rester un moment en Italie, chez lui, c’est OK. Elle pourra faire à dîner le soir. Comme ça ils seront quittes.
Elle fait le tour de l’appartement sous les toits, qui lui apparaît comme un royaume céleste. Deux salles de bains avec une douche dans chacune d’elles. Les toits de tuile, la coupole de Santa Maria del Fiore dominant tout le reste. Quelqu’un fredonne en bas dans la cour. Les jardinières du voisin débordent de fleurs. Le frigo contient du vin blanc bien froid. Les couronnes des pins se détachent sur le fond du ciel et, au crépuscule, une odeur acidulée de sève brûlée entre par la fenêtre de la chambre à coucher.

Les premiers temps, elle éprouve un contentement intense qui ne la quitte pratiquement pas. Dieu a créé la femme, et elle est pour sa part en train de créer l’homme. Peut-être est-ce pour cette raison que ça va déraper dans les grandes largeurs. Car le récit où elle croit vivre n’a au fond jamais existé. La femme ne crée pas l’homme. Aucune légende ou représentation historique n’en témoigne. Cependant, il apparaît bien vite que cette transformation qu’il lui doit lui ouvre sans cesse de nouvelles portes. Au dîner, il parle joyeusement des femmes qui lui ont signifié leur approbation pendant la journée. L’une est venue chercher son café à la machine qui se trouve pile devant son bureau, et pendant tout le temps que le café coulait, elle a gardé son fantastique cul tourné vers lui, comment donc est-il censé travailler dans ces conditions ? Il rit, non sans timidité, car il est encore suffisamment rondouillard pour ça. Elle sent qu’il veut qu’elle rie avec lui. Elle ne le fait pas. Il poursuit son histoire. Il aimerait tellement qu’elle puisse se réjouir, elle aussi, de l
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Tout s'accélère maintenant. Ça commence par des inflexions ou des insinuations qui dégénèrent en disputes, qui dégénèrent à leur tour en querelles spectaculaires. À quelques reprises, les voisins cognent au mur en criant Ho, vous allez vous calmer, oui?, Ce n'est pas possible, pense-t-elle. Ceci n’est pas la réalité. Je ne suis pas quelqu'un dont le comportement pousse les voisins à cogner aux murs. Je suis une personne réfléchie, calme, qui se maîtrise. Mais quand elle s'entend hurler, elle comprend qu’elle se trompe. Son image d'elle-même est déformée, pas besoin d’être anorexique pour se voir autrement qu'on n'est. p. 45
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Un autre défaut est la phobie sociale qui la submerge parfois. Cette peur des autres est mal vue dans son pays natal, mais bien plus encore dans un pays latin tel que celui-ci, où la vie sociale constitue l’arène même de l’existence. Où l’on doit oser faire sa place, parler d’une voix forte, occuper la scène, laisser la pièce de théâtre se déployer autour de soi sans lâcher son propre rôle, qui est un rôle central par définition. Le Propre-sur-Lui ne serait pas content s’il découvrait toute l’ampleur de la faculté qu’elle a de se dérober au monde et de se réfugier au fond d’elle-même. Dans son pays, il lui arrive de ne pas quitter son appartement pendant des jours parce qu’elle n’en a tout simplement pas le courage, et si elle le fait quand même, elle choisit les horaires où personne ne sera dehors. Pourquoi ? Elle n’en sait rien.
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