Le chemin qui mène au monde libre passe forcément par Rome pour les juifs qui fuient l'URSS à la fin des années soixante-dix. A la faveur de la politique d'ouverture de Brejnev, la famille Krasnansky, comme nombre de juifs lettons, saisit l'opportunité, en prenant le train pour la ville éternelle, de quitter Riga pour rejoindre les États-Unis. Seulement, semée d'embûches, encombrée de leur passé communiste et des incertitudes quant à leur avenir, cette route se révèle chaotique pour les trois générations de cette famille.
Prisonniers de formalités administratives qui s'éternisent, de la solitude et du désarroi qui entourent le migrant, ils découvrent une libération du joug communiste bien douloureuse…elle bouscule chacun dans ses convictions intimes, fragilise l'unité de la famille jusque-là affichée.
Car avec cette marche vers la liberté c'est avant tout la procession vers la connaissance de soi, chacun découvrant la nécessité d'abandonner leurs « vieux habits d'apparat » portés sous le régime stalinien. Pour certains, la rupture avec le passé est plus difficile que pour d'autres. Si les anciens qui ont connu les pogroms du début du siècle ne peuvent se défaire de leur attachement au Parti, les plus jeunes se montrent plus souples face aux promesses d'avenir.
Avec un récit polyphonique,
David Bezmozgis orchestre un roman tendre et profond sur le déracinement des exilés, le tiraillement entre promesses d'exil et attachement au pays d'origine. L'auteur a su restituer ce sentiment d'errance, cette vulnérabilité qui assaille parfois celui qui arrive dans un pays sans repères, sans projections tangibles dans le futur.
Pas de rêves utopiques ni d'ambition démesurée, le ton est toujours d'une sincérité sans cloison rassurante. A une écriture rudimentaire et monotone susceptible d'affecter l'intérêt pour ce roman, succède un style maîtrisé qui entraîne le lecteur dans les méandres du doute. On peut toutefois regretter que ce que le récit gagne en résonance, il le perd en nuance et subtilité.
Ce n'est pas seulement l'histoire d'une famille que raconte
David Bezmozgis, mais une part de la mémoire collective longtemps ignorée.