Raisonner comme un meurtrier revenait à voir les gens à travers un prisme qui révélait leurs faiblesses, leurs secrets, leurs peurs les plus sombres, les horreurs dont ils pouvaient être capables. Cela lui imposait de ne faire confiance à personne, de voir le soupçon partout. Et le pire, c'était ce sentiment de devoir toujours être sur ses gardes, d'entrer dans son appartement tous les soirs l'arme au poing et de regarder dans tous les placards, derrière le rideau de la baignoire et sous le lit avant de pouvoir se détendre (d'essayer, du moins) ; de considérer le moindre ustensile de cuisine comme une arme potentielle, même une bête nappe ; de dormir
avec une veilleuse à trente-deux ans.
Faux, tout comme la justice pour laquelle il œuvrait, les lois qu'il avait pour mission de faire respecter. Procès annulés pour vice de forme, salauds battant leurs gamins relâchés parce que les enfants avaient trop peur pour témoigner, assassins se voyant accorder une liberté conditionnelle pour récidiver aussi
sec, voilà ce que lui avaient appris deux années de service.
La synesthésie, un trouble rare de la perception sensorielle qui provoquait un chevauchement de plusieurs sensations. Alors que la majorité des gens sentaient des odeurs, voyaient des images et entendaient des sons, dans son cerveau à elle, les images, sons et odeurs se traduisaient par des goûts.
Imogen Page était douée d'une capacité de compréhension qui frôlait l'absurde. Tout saisir, donner un sens à ce que personne d'autre n'arrivait à expliquer, telle était sa mission. Mais devant ce médecin, la belle mécanique s'était soudain brisée.
Ce qui est on ne peut plus faux. Ce que vous aimez dans votre métier, c'est le défi que constitue la capture d'un meurtrier. Le meurtrier, lui, aime tuer. Vous pensez peut-être de la même façon, mais à des fins contraires. La différence est énorme.