Pour débuter cette nouvelle rentrée scolaire, j'ai décidé de prendre une joyeuse résolution : me rappeler tous les jours la première des quatre fins dernières dont il faut toujours se souvenir – la Mort. Cette idée m'a été inspirée par l'un des personnages de
Memento Mori après l'avoir lu dire :
«- Il est difficile, […] pour les personnes d'un âge avancé, de commencer à se rappeler qu'elles doivent mourir. Il vaut mieux prendre cette habitude dès la jeunesse. »
Peut-être ne deviendrais-je jamais « vieille » (et après avoir lu
Memento Mori, on le souhaiterais presque), mais dans le doute, je préfère m'habituer à l'idée de ma mort dès à présent.
Est-ce que cela fonctionnera ? L'idée de la mort, en tant que mort personnelle, non conceptuelle et vécue dans l'instant de la réalité, semble ne jamais pouvoir s'implanter réellement dans une conscience. Un joyeux petit plaisantin en a fait l'expérience. Il ne cesse de passer des coups de téléphone à Charmian, Godfrey et leurs autres congénères du troisième âge, déambulateurs en mains et dentiers en mâchoires, pour leur rappeler quotidiennement cette vérité : « Rappelez-vous qu'il faut mourir ».
Plus que le message en lui-même, ce sont la régularité de ces appels, l'anonymat de l'interlocuteur et l'incompréhension de ses motivations qui perturbent ces seniors de la meilleure société londonienne. Pourtant, la menace proférée dans le message s'exécute bientôt, et les uns à la suite des autres, les victimes de ces appels téléphoniques meurent. Actes criminels, ou morts naturelles ? A quatre-vingts ans passés et parfois même largement révolus, cela n'a rien d'étonnant. Se met alors en branle la formidable valse des testaments. Les légataires se livrent des batailles silencieuses pendant que les vieux passent leurs derniers jours à se triturer la cervelle pour savoir qui de leur entourage mérite la plus grosse part du gâteau.
Aucun personnage de ce livre ne semble oublier la mort. Elle fait office de conversation quotidienne, et on place le sujet au milieu de deux évocations évasives, autour d'une tasse de thé. La mort, complètement décomplexée, donne tout d'abord un ton burlesque au livre de
Muriel Spark, mais son intérêt s'effrite rapidement lorsque le lecteur finit par comprendre que ce qu'il avait pris pour la transgression absolue d'un tabou n'est en fait qu'une confusion : les seniors de
Memento Mori n'ont pas conscience que la mort les fera véritablement mourir. Leurs échanges réguliers autour de la question ne sont qu'une façon de dédramatiser cet évènement, et ils le font si efficacement que l'ennui de la question ne tarde pas à se propager entre les pages du livre. La mort, oui ? Et alors ?
Les vivants sont beaucoup plus drôles, surtout lorsqu'ils passent à travers le scalpel descriptif de
Muriel Spark. Intransigeante, elle ne se pare ni de tendresse, ni de condescendance pour dresser le portrait d'un troisième âge qui semble défini par le caprice et l'irrationalité. Devant ces tableaux de pensionnaires de maisons de retraite, le credo du «
Memento Mori » ne semble plus vraiment effrayant. N'est-il pas beaucoup plus contraignant d'arriver à un âge où folie et sénilité se confondent ? C'est à ce moment-là qu'on comprend que le petit plaisantin à l'origine des appels téléphoniques anonymes n'était pas un contempteur de l'humanité, mais bien au contraire un philanthrope désireux de libérer les plus vieux spécimens de l'espèce humaine de leur condition dégradante.
Pas tendre du tout sans être particulièrement drôle,
Memento Mori laisse une impression terne de lassitude, projeté à l'arrière-plan d'une banalité éternelle.
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