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Editions de l'Aire (15/01/2012)
5/5   1 notes
Résumé :
Caroline Zimmermann est née le 22 août 1874 à Sainte-Croix. Elle avait treize frères et sœurs. Comme beaucoup de femmes de son temps, elle rêvait d'une vie élégante, semblable à celle des étrangères qu'elle croisait dans son village et qui étaient venues en Suisse romande pour apprendre le français.
En 1894, commence donc une longue errance qui la conduit dans la Russie du dernier Tsar. Plus tard on la trouve en Angleterre. Sans jamais perdre son courage et s... >Voir plus
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Un jour, alors que Louis jouait aux billes avec ses amis devant le portail du jardin, elle installa Amélie et Jämes près de lui. Elle leur apporta des plots et des quartiers de pommes sur une assiette et se mit à lire en cachette, comme elle avait pris l'habitude de le faire. C'était jour de lessive. Catherine, dans la maisonnette du coulage, avait fait du feu. Le linge cuisait à gros bouillons. Elle disparaissait presque dans la vapeur et la fumée. Un fichu sur la tête, chaussée de lourds sabots, elle s'acharnait depuis l'aube. C'était au bout de la place comme un volcan. Par la porte ouverte on entendait siffler la chaudière, on voyait les flammes danser sous la lessiveuse, son couvercle se soulevait par instants, crachant des nuages effrayants.
Caroline était bien loin de là. Assise devant la maison, le dos au mur, elle lisait. Soudain elle entendit un hurlement srident. Elle revint brusquement à la Charmille, vit son père sortir en courant de la cordonnerie. Jämes jouait toujours avec ses plots, mais Amélie et Louis avaient disparu.
Elle est debout immédiatement. Ses jambes tremblent de peur, le souffle lui manque.
- Où sont-ils, où sont-ils ? implore-t-elle, en oubliant que Jämes ne sait pas parler.
Il la regarde, devine qu'elle est fâchée et se met à pleurer. Elle s'élance un instant sur la place, se précipite sans savoir où, erre dans le désordre, affolée comme une girouette, elle crie, elle appelle. Des enfants à l'entrée de la ruelle se lèvent et la regarde courir, étonnés. De la voir si agitée, ils ont envie de rire. Elle revient sur ses pas, prend Jämes dans ses bras. A ce moment Philippe sort du coulage, il porte Amélie inanimée, il court en direction de la maison. Catherine le suit, ils passent devant le jardin et ne voient pas les deux enfants.
Caroline alors se rue vers le coulage, l'inspecte, tourne autour de la lessiveuse, regarde derrière la maisonnette. Louis n'est pas là. Elle s'adresse aux enfants de la ruelle. Ils n'ont pas vu Louis. Ils ne savent pas. Ils ont l'air éberlués, ne comprennent pas ce qui se passe.
- Aidez-moi à trouver Louis.
Mais ils restent immobiles et indifférents. Elle pose Jämes par terre et le traîne. Il sait faire quelques pas quand on le tient par la main. Devant la cordonnerie, elle croise un camarade de Louis.
- Où est Louis ?
Il ne sait pas, il hausse les épaules, ne devine pas l'urgence de la situation.
- Il est peut-être à la forge, on est en train de ferrer un cheval.
Caroline est tout de suite soulagée. Bien sûr Louis, que les métaux fascinent, est allé regarder le forgeron battre l'enclume et le fer incandescent. Elle va le trouver là. Mais Louis n'est pas à la forge, le forgeron ne l'a pas vu. Un affolement brutal fuse dans ses veines. Elle se souvient que Louis a un ami, Oscar, au hameau de Vers chez Jaccard, situé plus bas. C'est là qu'il est probablement. Elle prend Jämes dans les bras et se remet à courir. Très vite pourtant, le souffle lui manque, elle halète, les jambes se dérobent sous elle, elle voit des points noirs partout, des coups de lance lui labourent les côtes.
- S'il te plaît, Jämes, allons vite, il faut trouver Louis.
Mais Jämes ne veut pas, il pleurniche assis au bord de la route. Il veut être porté. Et Caroline le reprend en gémissant de fatigue et de peur. Elle avance encore. Les premières maisons du hameau apparaissent de l'autre côté de la rue. Elle pose de nouveau l'enfant et le tire de toutes ses forces. Le coeur cogne dans la poitrine, elle est hors d'haleine.
Et voilà, c'est comme un miracle, la mère d'Oscar remonte le chemin devant chez elle. Caroline laisse son frère dans le talus et court à sa rencontre.
- Louis, où est Louis ?
- Non, il n'est pas chez nous. Qu'est-ce qui se passe ?
Pêle-mêle, tout en hoquetant d'angoisse, en reniflant, incapable d'arriver au bout des mots, elle raconte confusément. Amélie, le coulage, le feu, Louis. Elle pleure de plus en plus fort, s'essuie le nez du revers de la main. Son visage est chiffonné de douleur, de grosses mèches collent à ses joues. Elle n'en peut plus. Elle va tomber. C'est un cauchemar intolérable. La mère d'Oscar passe un bras autour de la taille de la fillette et l'accompagne.
- Je vais porter ton petit frère, il est trop lourd pour toi. Allons chez vous. Louis est peut-être rentré tout seul.
La brave paysanne porte le petit jusque dans la chambre de Caroline, elle le pose sur l'oreiller à la tête du lit. A l'autre bout, Louis dort. La femme sourit à Caroline et se retire sur la pointe des pieds. Dans la pièce voisine, on entend la voix du médecin.
Caroline, près des deux enfants, reprend lentement son souffle et continue de pleurer doucement. Elle écoute ce qui se passe à côté. Ce sont des voix très graves, entrecoupées de longs silences. Caroline discerne par moments les plaintes de Catherine, elle tend l'oreille. Un mot, même un cri d'Amélie la rempliraient de reconnaissance. Elle écoute en vain, elle se colle à la paroi. Elle veut dire aux hommes de se taire, elle veut entendre le souffle d'Amélie. Mais c'est encore le médecin qui parle. Il prend congé. Caroline se terre dans sa chambre. Elle n'ose pas sortir. Voilà son père qui s'adresse à Catherine, il est sans doute dans le corridor.
- Reste ici, je vais finir la lessive. Dis-moi ce que je peux faire. Je ferme la cordonnerie.
Catherine en hésitant beaucoup, cherchant à retrouver où elle en était restée, perdue, ne sachant plus, bredouillant, donne à Philippe quelques lambeaux de conseils.
- Ne t'inquiète pas, lui dit-il pour la rassurer, je me débrouille.
Il sort et la maison tombe dans le silence. Caroline, le coeur navré, les cheveux en désordre, les mains mouillées de larmes, s'essuie à son tablier et se lève pour aller mettre la table.
Le lendemain, au sortir de l'école, Caroline ne se dépêchait pas, contrairement à ses habitudes. Elle avait attendu Louis devant la classe des petits et lui avait dit de s'habiller, sans le brusquer, comme elle le faisait depuis quelque temps. Maintenant elle le laissait flâner dans la rue Centrale, bavarder avec les autres garçons, jouer devant la fontaine. Lui, parfois, jetait un regard inquiet à sa soeur, surpris de cette patience inattendue. Puis il reprenait ses jeux.
[ . . . ]
Caroline les avait suivis des yeux. Elle s'aperçut que Louis avait continué de marcher et se hâta. Elle le vit descendre la rue du Jura en se laissant glisser, un bras tendu, l'autre tenant son bonnet pour l'empêcher de tomber. Elle le rejoignit et ils entrèrent ensemble dans la maison. Elle était absolument silencieuse, rien ne laissait présager qu'on allait passer à table. Caroline aida son frère à enlever son mantelet, lui ordonna en chuchotant de se déchausser, le prit par la main et ils pénétrèrent ensemble dans la chambre des parents, sur la pointe des pieds.
Ce qu'elle redoutait confusément était arrivé. Elle le comprit tout de suite. La petite soeur reposait sur le grand lit, les mains croisées sur la poitrine. Philippe et Catherine étaient assis à son chevet, les trois garçons étaient debouts devant le lit. Charles tordait sa casquette, Adophe passait d'un pied sur l'autre, gêné ou impatient, on ne savait pas.
Caroline et Louis avancèrent à petit pas, se tinrent immobiles et silencieux très longtemps. On aurait aimé entendre un bruit, un mot, ou le miaulement d'un chat, un cri dans la rue ou un sifflement, n'importe quel bruit qui viendrait déchirer ce silence insupportable. Soudain Louis se mit à pleurer, Catherine tendit la main dans sa direction pour l'attirer à elle. Philippe se leva et quitta la pièce sans un mot. Les trois frères le suivirent, Catherine et Louis sortirent à leur tour. En passant près de Caroline, elle effleura la tête de sa fille et lui dit doucement :
- Viens.
Mais Caroline ne bougea pas. Elle allait être punie. Elle le savait.
C'était inévitable, elle serait punie. Dans les heures qui suivirent, quand elle était seule un moment avec sa mère, elle se préparait à un interrogatoire. Des questions allaient surgir, suivies de réprimandes acerbes et taraudantes. Ou bien les parents la feraient comparaître devant leur tribunal. Mais rien ne vint. Elle pensa qu'ils méditaient un châtiment si terrible qu'il leur fallait du temps pour y réfléchir. Cependant les jours passaient et personne ne reparlait du drame. Un gêne sournoise s'empara d'elle. Ce silence lui pesait. Un équilibre était rompu. Elle savait bien que la mort d'Amélie était irréparable ; il lui semblait pourtant que quelque chose devait être entrepris pour satisfaire à la justice.
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