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EAN : 9789500410847
252 pages
Emecé Editores, Argentina (01/06/1991)
4/5   1 notes
Résumé :
Clarke, un naturaliste anglais, se rend en Argentine pour étudier un lièvre singulier de la pampa, rapide comme une rumeur, mais que personne n'a jamais vu. Comme on est au XIXe siècle, il est guidé par un gaucho qui semble souvent désorienté et prend également, à la demande expresse du dictateur Rosas, un jeune aquarelliste sentimental qui touche rarement un pinceau. Apparemment plus au mérite des chevaux que de son baqueano, Clarke finit par rencontrer les Indiens... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
« le Lièvre » est un roman de César Aira, actuellement non encore traduit en Français. On peut en trouver l'édition originale « La Liebre » (1991, Emece Editores,254 p.) ou sa traduction en anglais par Nick Castor « The Hare » (2013, New Directions, 218 p.).
Pourquoi ce titre et ce roman. En fait, il fait partie de ce que les critiques littéraires appellent « la tétralogie du lièvre » qui comprend les quatre titres publiés en 4 ans chez le même éditeur, soit « La liebre » (1991, Emece Editores, 254 p.), « Embalse » (1992, Emece Editores, 222 p.), « La guerra de los gimnasios » (1993, Emece Editores, 168 p.) et « Los misterios de Rosario » (1994, Emece Editores, 224 p.). Pourquoi cette tétralogie ? A l'origine un rêve apocalyptique ou plutôt un cauchemar de César Aira. Dans ce rêve le « lièvre légibrérien » marque la fin des temps.
Un entretien entre César Aira et Guillermo Saaverda, poète et écrivain argentin, né en 1960 apporte plus d'explication. Il raconte un rêve qui a donné naissance à ces romans, après une discussion avec Rodolfo Fogwill, sociologue et écrivain argentin dont le livre le plus connu est « Muchacha Punk », traduit par Isabelle Gugnon (2006, Passage du Nord-Ouest, 244 p.). Ouvrage au coeur de la violence et de la barbarie, celles d'une Argentine taraudée par les guerres et les dictatures successives. Donc, à propos de la genèse du « Lièvre » « le thème m'a été donné par Rodolfo Fogwill, non pas en personne mais dans un rêve. […]. J'ai rêvé que nous marchions dans la rue avec nos enfants et Fogwill me disait : « Maintenant, une chose catastrophique arrive, c'est la fin de tout. Ils sont sur le point de réaliser, par manipulation génétique, un spécimen du lièvre légibrérien ». Selon Fogwill, dans le rêve, il s'agissait d'un petit lièvre dont le territoire écologique se composait de la Patagonie, des îles Falkland et de la Sibérie. Ces trois domaines géologiques n'étaient pas encore réunis ; mais en réalisant le lièvre légibrérien par génie génétique, ils allaient être réunis ; par conséquent, l'Argentine allait être annexée à l'Union Soviétique. de ce rêve, j'ai écrit deux romans. Dans « le Lièvre » proprement dit, j'ai fait une généalogie de l'animal ». Dans le second roman auquel Aira fait allusion, soit « Embalse » (Embalse), il développe le contenu manifeste du rêve, c'est-à-dire le récit qu'en fait le sujet sous forme de roman. Puis César Aira reprend ce thème de fin du monde dans « La guerra de los gimnasios » (la Guerre des Gymnases), où l'on retrouve le lièvre lébrigérien en fin de roman, mythe « dont la naissance doit coïncider avec la fin de l'Argentine ». Pendant ce temps, ou une apparition en forme de cerveau rose intervient. « le cerveau s'était mis à diffuser une lumière bleue ; d'un rose vénéneux » « elle avait pris la forme que l'on commençait à reconnaître vaguement…Des pattes, un visage ensommeillé aux lèvres fendues, des oreilles. C'était de toute évidence un lièvre ». Cette apparition suggérait irrésistiblement l'apparition du Lièvre légibrérien, mythe « dont la naissance doit coïncider avec la fin de l'Argentine ».
Enfin, dans « Los misterios de Rosario », le lièvre disparait sporadiquement, mais son message apocalyptique est toujours au centre de la fiction.

En fait tout part d'un naturaliste anglais, Clarke. Il arrive dans la pampa à la recherche d'un spécimen rare : le « lièvre légibrérien ». Il demande l'aide de Rosas pour partir à la recherche de la bête. Ce dernier lui prête son cheval, lui octroie un guide, Gauna. Il lui demande aussi d'emmener avec lui un jeune aquarelliste Carlos Alzaga Prior. le groupe arrive très vite chez les indiens Huiliches avec Cafulcurá leur chef.
Au cours de la chasse au lièvre, ce dernier disparaît en laissant son peuple plongé dans le chaos le plus total. Les trois aventuriers se lancent à la recherche du roi. Mais il apparait que chacun a un intérêt personnel différent dans l'affaire.
Le guide Gauna recherche en fait sa demi-soeur pour lui réclamer un héritage. C'est un peu l'histoire de « Martin Fierro » modifiée en histoire de famille. le peintre Carlos a l'espoir de retrouver une amoureuse, dont il a perdu la trace le jour même de la chasse. Enfin, Clarke , semble être plus curieux que savant.
Au cours de leur expédition, ils découvrent d'autres tribus indiennes, chacune avec ses légendes et ses mythes. Mais aussi chacune avec sa propre théorie sur la disparition de Cafulcurá. Après de nombreuses péripéties, y compris la guerre, ils arrivent à la Sierra de la Ventana. C'est alors que la trame du roman, qui semblait être une suite d'histoires sans lien entre elles, prend une forme logique lorsque toutes les vérités sont révélées. le fameux lièvre ne fait jamais son apparition physique, mais il est présent tout au long du récit sous d'innombrables formes.
Il n'est pas seulement question de la fin de toutes choses, mais d'un retour à une situation initiale. En effet, il s'agit de la continuité des territoires, conséquence de l'apparition du spécimen dont la généalogie est racontée. le thème de la continuité des territoires fait allusion à la masse continentale qui existait avant la séparation en cinq continents : la Pangée. le concept de cycle sera au centre de l'analyse de ce roman, et aussi de toute l'oeuvre de Aira.
En effet, il s'agit de la continuité des territoires, conséquence de l'apparition du spécimen du lièvre, dont la généalogie est racontée. le thème de la continuité des territoires fait allusion à la masse continentale qui existait avant la séparation en cinq continents : la Pangée. le concept de cycle est au centre de l'analyse de ce roman, et aussi de toute l'oeuvre de Aira. En ce sens, le roman, ou la tétralogie, fait partie du cycle des léporidés, mais on peut aussi le considérer comme faisant partie du cycle « Darwinien » ou encore du cycle des voyages dans la Pampa.
Il faut bien entendu expliquer et comprendre le pourquoi et le comment de ce lièvre. La continuité de l'espèce tout d'abord, entre la Patagonie et la Sibérie. Cela expliquera le facteur temps et donc la chute de l'Argentine. César Aira se replace dans le système de la tectonique des plaques, ces morceaux de continents qui se déplacent à la surface du globe, dont un bon exemple est celui de la juxtaposition de l'Amérique du Sud et de l'Afrique qui lui fait face de l'autre côté de l'Atlantique Sud. Entre les deux le rift océanique, vaste zone volcanique d'où s'échappe le magma du manteau sous-jacent qui fait s'écarter les deux sous-continents depuis 150 millions d'années. A cette époque la Patagonie et le plateau des Malouines (Malvinas, Falkland) était rattaché au plateau des Aiguilles (Agulhas), au large de l'Afrique du Sud. Au Nord, l'Atlantique s'ouvre un peu plus tard, vers 80 millions d'années, séparant l'Amérique du Nord de l'Europe à laquelle est attachée la Sibérie et tout l'est asiatique. Cela explique la notion de continuité de la Patagonie à la Sibérie, par laquelle le fameux lièvre pouvait tranquillement se balader.
Le facteur temps, maintenant. On voit que la continuité commence à se détériorer avec la dislocation du grand supercontinent Pangée, vers 150 millions d'années et devient effective après la séparation de l'Atlantique Nord soit bien après 80 millions d'années. Pour que l'Atlantique se referme, reformant ainsi un supercontinent, il faudra encore attendre entre 150 millions d'années. Il n'y a pas le feu.
La réunion entre l'Argentine et l'URSS qui fait si peur à l'auteur. Là c'est plus surprenant car le livre est écrit et publié en 1992. A cette date, l'URSS a déjà implosé en CEI, et les influences staliniennes ont pris fins bien avant. L'ours soviétique n'est plus ce qu'il était et la guerre froide est en voie d'apaisement. Remplacée par une rivalité entre l'Ouest et la Chine. Entre les deux, la destinée du lièvre a aussi bien changé, si l'on considère ce qui est arrivé aux léporidés et cousins lagomorphes d'Australie, victimes de la mixomatose vers 1950, tout comme les lapins de garenne d'Amérique du Sud dans les années 1920-1930.
La situation politique en Argentine dans les années 90 est celle la fin du péronisme avec les gouvernements des Kirchner, Nestor, puis Cristina. Les années de dictature militaire sont loin. Bien que la crise, ou plutôt les crises économiques vont fortement affliger le pays, avec ses concerts de « Cacerolazos » vont bientôt contester le régime en place.
Le cycle « Darwinien » maintenant, facile à définir dans la mesure où Clarke se définit lui-même comme le beau-frère de Darwin. Sauf que…. Clarke n'est pas, et n'a jamais été, marié. Il est le seul enfant, adopté il est vrai, d'un couple anglais. Mais il est vrai que « il n'a jamais beaucoup réfléchi à la question ». C'est un naturaliste, et il se propose de parcourir l'intérieur de la province pour observer certains animaux. « Je suis naturaliste. Je fais des recherches sur le terrain ». Il est donc en cela dans la continuité de Darwin. Ce dernier commence son tour du monde par les iles du Cap Vert, puis la forêt amazonienne. Il descend ensuite au Brésil et en Uruguay, avant d'aborder la pampa et de découvrir les gauchos et l'impression de vie libre qu'ils mènent. Il ira jusqu'en Terre de Feu. le « Beagle » va affronter des grosses tempêtes qui le force à s'abriter à Wigwam Cove près du Cap Horn. Il remontera ensuite le long des côtes du Chili avant d'aller aux Galapagos. C'est après qu'il conceptualisera sa théorie de l'évolution, causées par mutations successives.
Mais surtout « le Lièvre » « raconte des histoires déjà racontées ». le lièvre légibrérien n'est qu'un prétexte. En ce sens, c'est avec « Ema la Captive » un livre sur la Pampa, et surtout sur la naissance de la « Nacion Argentina ». Déjà par la composition de l'équipe qui par explorer la pampa. Il y a Gauna, le gaucho qui sert de guide, qui « devait être à moitié indien, bien que son visage jaunâtre et ridé ressemblait à un Chinois ». Il y a aussi Coliqueo « maigre, dégingandé, noir comme un Africain, avec le visage d'un criminel chinois et de très longues mèches éclaircies par la camomille ». Il y a aussi Alzaga Prior, apprenti aquarelliste. « Il pensait avoir devant lui un emblème de sa propre vie, et cela lui faisait peur. C'était l'horreur d'être anglais, poli, réservé, de ne pas savoir pleurer en public (ou en privé), de vivre dans une bulle et de ne pas sentir les émotions ».

Ils vont faire connaissance avec les Indiens dans leurs manières sociales, leur organisation politique et leurs notions linguistiques particulières « la chuza dans une main, les boules dans un moulinet dans l'autre, le corps nu couvert de graisse, les mèches au vent, le visage déformé dans un cri féroce ». Tout ce monde est impliqué dans divers conflits dont la Confédération Mapuche est le protagoniste. « Vous voyez, M. Clarke. À ce stade, il y a deux aspects à considérer. le premier est le rapport que nous entretenons avec la vérité, ou plus précisément avec le sens. Que vous nous considérez comme primitifs (non, ne vous inquiétez pas, je ne le prends pas mal) ne peut que dériver du fait que nous n'utilisons pas, comme vous, un dieu, ou un monothéisme, pour soutenir notre sens en général. Nous, Indiens, sommes « encore » au stade de la disposition : le signe est garanti non par sa référence à un sens, mais par sa place par rapport à un réseau. Il est vrai aussi, et ici je crois que la clé de leur perplexité réside, que puisque les étoiles sont une pure perception, le purement visible sans aucune implication de tangibilité, elles exigent une réalisation, si possible chaque nuit. C'est le cas paradoxal d'un imaginaire qui a besoin d'être réel pour canaliser toutes les images ».
Et puis il y a les révélations inattendues, comme dans un vrai mélodrame. Clarke, le beau-frère de Darwin. Mais il est lui aussi Indien, car il découvre qu'il est le fils du chef Cafulcurá. D'ailleurs tous ces personnages appartiennent à une famille tronquée : il manque un fils à Cafulcura, il manque une soeur à Gauna, Clarke, Carlos et Iniuy sont adoptés, il manque une fille et un fils à Rosanna. Lorsque l'histoire redémarre, et que le lièvre recherché est enfin retrouvé, on découvre que Clarke est le fils de Cafulcura, Gauna le frère de Juana Pitiley, Cafulcura et Juana Pitiley les parents de Clarke et Rosanna et Clarke les parents de Carlos et Iniuy. Personne n'est exclu d'une fratrie dans laquelle Mapuche, Gauchos, Créoles et Anglais sont jumelés. On pourrait alors résumer le livre comme l'histoire d'un Anglais qui après un long voyage découvre qu'il est Indien, ou d'une autre façon, c'est l'histoire d'un Indien qui voyage d'Angleterre en Argentine pour se retrouver.
La découverte du lièvre Légibrérien, c'est aussi cette marque familiale que les personnages portent inscrite sur le corps. Cette marque permet de reconstituer les différentes familles, toutes amputées d'au moins un membre. On les replace en une seule famille, effaçant du coup les stéréotypes « N'était-ce pas que si tu trouvais ta mère, tu irais te jeter dans ses bras, et tout le reste ? Carlos avait timidement évité le regard de Rosanna (sa mère nouvellement découverte), qui lui sourit ».

Enfin, tout comme pour le « Martin Fierro », « le Lièvre » peut être considéré comme une réécriture de deux textes du XIXéme siècle ou « cycle pampéen », tous deux accessibles dans des réimpressions récentes. le premier « Une excursion chez les Indiens Ranqueles » de Lucio V. Mansilla (1870), traduit en français par Carlos Garavaglia, Odile Begué (2008, Christian Bourgois, 650 p.) et « Callvucurá, y la Dinastía de los Piedra » (2018, Forgotten Book, 386 p.) de Estanislao Zeballos (1884). Ce texte fait suite à « La Conquista de quince mil leguas » (1878). Les textes de ces deux auteurs sont ambigus dans leurs conclusions quelque peu opposées. En effet, Mansilla appelle à la conversion des Indiens à la civilisation et les propose comme « Argentins » alors que Zeballos considère l'extermination des Indiens comme la seule solution pour la constitution de l'État argentin. En effet la dynastie Piedra, l'une des castes les plus importantes des caciques indigènes, fait le pari d'un modèle national exclusif, construit à partir d'ethnies et de groupes culturels qui marqueraient une sorte de frontière pour la nation. Dans cette optique, chacun des deux modèles et leurs limites sont à l'envers ou en négatif l'un de l'autre. Pour Mansilla, la proposition d'intégration et d'assimilation des Indiens fonctionne est une forme d'opposition à l'immigration européenne. En contraste, pour Zeballos, son rejet de l'inclusion des Indiens est soutenu par la nécessité d'ouvrir des terres pour l'immigration.
Ce « cycle pampéen » est initié avec « Ema la Captive », puis est repris avec la dichotomie mutinerie/barbarie, mais sans la charge idéologique qui va avec, comme dans Zeballos avec la notion de frontières entre le monde indigène et le territoire « blanc ».
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Vous voyez, M. Clarke. À ce stade, il y a deux aspects à considérer. Le premier est le rapport que nous entretenons avec la vérité, ou plus précisément avec le sens. Que vous nous considérez comme primitifs (non, ne vous inquiétez pas, je ne le prends pas mal) ne peut que dériver du fait que nous n'utilisons pas, comme vous, un dieu, ou un monothéisme, pour soutenir notre sens en général. Nous, Indiens, sommes « encore » au stade de la disposition : le signe est garanti non par sa référence à un sens, mais par sa place par rapport à un réseau. Il est vrai aussi, et ici je crois que la clé de leur perplexité réside, que puisque les étoiles sont une pure perception, le purement visible sans aucune implication de tangibilité, elles exigent une réalisation, si possible chaque nuit. C'est le cas paradoxal d'un imaginaire qui a besoin d'être réel pour canaliser toutes les images
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Le thème m'a été donné par Rodolfo Fogwill, non pas en personne mais dans un rêve. […]. J'ai rêvé que nous marchions dans la rue avec nos enfants et Fogwill me disait : « Maintenant, une chose catastrophique arrive, c'est la fin de tout. Ils sont sur le point de réaliser, par manipulation génétique, un spécimen du lièvre légibrérien
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le cerveau s’était mis à diffuser une lumière bleue ; d’un rose vénéneux » « elle avait pris la forme que l’on commençait à reconnaître vaguement…Des pattes, un visage ensommeillé aux lèvres fendues, des oreilles. C’était de toute évidence un lièvre
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lièvre lébrigérien est un mythe « dont la naissance doit coïncider avec la fin de l’Argentine »
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