Je ne sais par quel bout prendre cette note de lecture. Je ne savais pas si c'était une lecture ou une relecture. Maintenant que j'ai terminé, je pense que c'est bien la première fois que je lis
le Grand Meaulnes, mais j'en avais bien sûr beaucoup entendu parler avant. Je ne crois pas être friande de ces livres qui font une telle part au rêve et à la fantaisie, je me retrouve donc ici un peu loin de mes lectures et de mes préoccupations habituelles et cela s'en ressent dans mes impressions de lecture.
Car finalement, je crois que ce livre m'a un peu mise mal à l'aise. C'est bien ce que l'on en dit, le livre du passage à l'âge adulte, le livre des rêves de l'adolescence, mais aussi le livre de la façon dont ces rêves se fracassent sur la réalité du monde adulte.
Le livre est découpé en trois parties et, bien qu'elles n'aient pas de titre, elles structurent l'oeuvre en trois actes distincts. La première, dont l'apothéose est la fête étrange dans le Domaine perdu. Rêve de l'adolescence, vision fugace, j'ai pensé à des nouvelles de
Tolkien, à des contes de Grimm ou de Perrault. La sensation que l'on peut passer de l'autre côté du miroir, que la vie sera telle un merveilleux rêve fait de fantaisie toujours renouvelée et d'un amour plus pur que la plus cristalline des eaux.
Puis le réveil vient, le paradis est perdu et la deuxième partie décrit la quête éperdue, porteuse à la fois d'espoir et de tristesse. Alternance de moments de recherche fébrile et d'attentisme, alternance d'espoirs et de déconvenues.
Puis vient la troisième partie, celle de la réalité. Les adolescents fougueux ont grandi, les plus sages prennent leurs responsabilités, les moins sages se perdent dans une errance qui n'a que l'apparence de l'aventure et des rêves évanouis.
C'est beau, c'est triste, c'est sans espoir. Savoir que tout ce livre a été inspiré par un amour impossible né dans le coeur d'
Alain-Fournier à la seule vue d'une jeune fille dans les rues de Paris rend le livre encore plus pathétique.
Pourtant, je ne peux me départir d'un certain malaise, qui a commencé dès la deuxième partie du livre, mais qui surtout ne m'a pas quittée dans la troisième et dernière partie. le malaise a commencé avec l'attitude de Meaulnes et Seurel dans la deuxième partie. Ils cherchent le Domaine perdu mais restent englués dans ce que l'on attend d'eux : ils ne pourront partir en expédition que le jeudi, ils acceptent de passer de longues semaines sans rien faire alors même que la question occupe toutes les pensées de Meaulnes et, de façon un peu parasite, celles de Seurel. Mais je crois que je peux comprendre cela, suspendre partiellement le principe de plausibilité et comprendre comment ces deux adolescents se débattent entre leurs rêves et les attentes du monde qui les entoure. Cette partie est finalement une métaphore de la difficulté à être adolescent et à réconcilier l'irréconciliable.
Mais dans la troisième partie, le malaise est plus profond, et il est lié notamment à la façon dont les frontières entre les trois personnages masculins se brouillent, et cela devient un peu malsain à mon goût.
Je ne crois pas qu'il soit exagéré de dire que François Seurel tombe amoureux d'Yvonne de Galais, la muse de Meaulnes, tandis que ce dernier, Augustin Meaulnes, finit par envisager de se marier avec Valentine, la fiancée perdue de Frantz de Galais. Tout cela ne peut que mal finir... Faut-il comprendre que ces trois hommes sont en réalité les trois facettes d'une même personne, l'auteur lui-même peut-être. Je me suis laissée aller à cette déduction, d'autant que chacun de ces personnages emprunte à l'auteur des aspects de sa vie. Pourtant, je ne suis pas tout à fait convaincue et je n'ai donc pu sortir de ce malaise persistant.
En conclusion, pour moi
le Grand Meaulnes est un livre éclaté, dont il n'est pas facile de faire un tout. Les différents aspects m'ont différemment plu et je me demande surtout ce que cet écrivain naissant aurait pu produire après cette première oeuvre étrange et si ambiguiement autobiographique. La mort tragique d'
Alain-Fournier dans les premières semaines de la Première Guerre Mondiale n'est probablement pas pour rien dans le succès posthume de ce livre qui demeure celui d'un grand adolescent qui n'a pas eu le temps de goûter pleinement les fruits de la vie même s'il en avait déjà entrevu l'amertume. Mais cet attrait un peu romantique pour l'oeuvre n'explique pas tout : le style en est agréable, simple et d'une belle poésie dans les descriptions des paysages, en particulier les paysages mouillés de pluie, de brume ou de rosée de cette région de France entre Sologne et Berry (j'ai d'ailleurs trouvé des similitudes avec les oeuvres de
Maurice Genevoix, un autre de nos écrivains de cette région qui est passé par les traumatismes de la Première Guerre Mondiale, mais qui lui en est revenu), et l'histoire dit, avec délicatesse et onirisme, ce que peuvent être les aspirations folles et les rêves insensés de l'adolescence.