Parfois, on imagine un roman. Avant même de l'avoir lu, avant le premier mot de la première phrase du paragraphe ouvrant le premier chapitre...
On imagine mal.
Je ne sais pas pourquoi, je me suis toujours fait cette fausse idée du Grand Meaulnes : un roman initiatique au sein d'une école d'avant
Jules Ferry. Un certain élitisme. Une critique sociale. Bien évidemment, tout doit finir mal : amitié trahie, peut-être même suicide...
Le tout baignant dans une ambiance « Cercle des Poètes Disparus » ou encore « Cage aux Rossignols » (les Choristes en noir & blanc).
En réalité, Meaulnes est un pur roman à l'eau de rose. Enfin, aurait put n'être que cela, sans le talent d'
Alain-Fournier. Cette fameuse écriture en noir & blanc, justement, qui lorgne parfois vers
Proust.
Le décor, d'abord. Cette morne plaine du centre, le Cher campagnard, fait de petits villages, de domaines à l'écart des chemins, si difficiles non d'accès mais de simple découverte.
La pluie, omni-présente, même au coeur de l'été.
Enfin, le héros de l'histoire... dont on ne sait finalement pas grand chose, excepté son inconstance. Est-ce seulement de l'incertitude, de la versatilité ? N'y a-t-il point un secret caché derrière ? Ainsi, pourquoi se met-il dans la tête d'aller chercher les grands-parents à la gare d'une bourgade suffisamment éloignée pour parvenir à s'égarer et démarrer toute l'histoire.
A peine un modèle (comme je pouvais me le représenter dans mes illusions préconçues), Meaulnes possède une aura, propre aux grands rêveurs, aux idéalistes, aux entremetteurs.
Car il s'agit bien de former des couples, comme dans un vulgaire roman pour midinettes un peu godiches.
Mais le thème central du roman n'est pas dans ces épisodes sentimentaux ou matrimoniaux. Rien de charnel ici. Les corps n'existent pas, seuls les élans du coeur importent. Et encore. Ce n'est pas de l'amour, juste l'idée de l'amour. Les personnages ne tombent pas amoureux, ils aiment l'amour, ce sentiment évaporé porté à son plus haut point, inaccessible.
Non, ce qui apparaît quasiment à toutes les pages, c'est cette lutte des regrets contre les remords, cette culpabilité nostalgique de n'avoir pas réussi, ne pas être parvenu à prendre la bonne décision. Ah, si j'avais su !
Ces erreurs que l'on commet, parfois même en s'en rendant compte au moment même où l'on prend la mauvaise décision, ajoutent au sentiment du passé irrémédiablement perdu, les heures et les jours heureux qui ne reviendront plus.
Les souvenirs perdus (titre alternatif).
Meaulnes m'a fait penser à ces films d'après guerre, plus particulièrement aux acteurs et actrices très « rive gauche ».
Des Pierrots lunaires : Pierre Blanchar (cet étrange Monsieur Victor ou l'amour de
Michèle Morgan dans la Symphonie Pastorale),
Jean Louis Barrault ou, mieux encore,
Raymond Rouleau (le couturier de « Falbalas ») dans le rôle de Frantz, le frère d'Yvonne – dont on aurait aimé en savoir plus, peut-être même lui consacrer un roman entier.
Michel Auclair ou Gérard Philippe pour incarner Meaulnes. Beau, assurément ; ténébreux, forcément.
Les demoiselles, Yvonne et Valentine, elles devaient être ces blondes au charme éthéré. A
Michèle Morgan, trop connue, on lui préfère son sosie, Madeleine Sologne ou encore Edith Scob, Isabelle Pia (Marianne de ma Jeunesse), Suzanne Cloutier, Micheline Francey.
Pour orchestrer ce ballet de jeunes gens trop rêveurs, trop idéalistes,
Marcel Carné évidemment. Mais
Jean Cocteau aurait amené une touche de poésie qui rythme chaque page de ce beau roman désuet, empreint d'une nostalgie que l'on retrouve en croquant dans une madeleine...
Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve...