Accusée de vol par ses maîtres, Măria Nichifor, fière Olténienne aux airs de grande dame, fut jetée en prison alors qu’elle était enceinte.
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Le baptême eut lieu après la messe dans la chapelle de la prison et les malfaiteurs, au grand complet, donnèrent les répons, chantèrent l’Axion et l’Hymne au Seigneur, puis entonnèrent, d’une voix toute veloutée, le « Très Sainte Vierge, Mère de Dieu, ayez pitié de nous ». Seul, le prêtre qui était venu officier, un pope du faubourg, était citoyen libre : tout le reste, chœur, chantres, sacristains, diacres et fidèles avaient à purger des peines allant d’un an de réclusion aux travaux forcés à perpétuité. Toute la gamme du Code pénal était là.
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Sur le seuil du grand portail de la prison, Măria Nichifor chancela, le visage défait, impuissante à achever le pas ébauché. Elle était immobile devant l’enceinte aux miradors garnis de sentinelles, au-dessus de laquelle se dressaient les coupoles de l’église et, plus haut encore, la vaste coupole du ciel blanc d’automne. En face, à quelque distance, on apercevait le cimetière. Et sur la droite, en contre-bas, la route qui descendait vers la ville… vers la capitale.
[extraits de « Măria Nichifor » , p. 195-198, traduits en français par Aurel George Boeșteanu]
Nous avions autrefois, dans un vieux carton à chapeaux, un ours en peluche. S’il n’avait été d’un jaune d’héliotrope, il aurait été terrifiant et tout le grenier en aurait tremblé. Il y avait encore sous les combles deux moutons pelés, trois vaches expropriées et un étalon qui habitait là parce qu’il était en bois.
Notre ours, donc, était jaune et cette couleur enlève aux choses de leur sérieux et n’effraye personne. C’est bien pourquoi les fleurs l’ont choisi.
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Or donc, notre ours avait pris la mauvaise habitude de voler ; mais il ne volait que des bonbons, du chocolat, de la confiture, des fruits et du loukoum. Sitôt que papa venait à la maison avec quelques boîtes de friandises, l’ours la flairait et s’empressait de la vider, sans que personne le vît.
– Qui a mangé le chocolat ?
– C’est l’nounours, répondait le petit garçon, en haussant les épaules. Y en a plus.
– Et la boîte de bonbons anglais ?
– C’est l’nounours, s’écriaient en chœur la fillette et le garçon.
[...]
Papa, lui, ne corrige ni l’ours, ni l’agneau, ni les balles, car il sait bien qu’ils doivent grandir. Aussi les placards ne sont-ils pas fermés à clé ; les boîtes de bonbons ont leur couvercle légèrement soulevé et la cellophane des pots de confiture n’est pas ficelée : car les balles, n’est-ce pas, ça n’a pas de doigts pour dénouer la ficelle et ouvrir les placards. Et pourtant, un beau jour, papa se mettra sûrement aux aguets, dans le placard même. Et quand l’ours et l’agneau viendront, tout doucement, pour se régaler, une petite cuillère dans leur petite patte, ils tomberont sur papa, caché entre les pots de confiture. Et je ne sais alors lequel des trois aura le plus peur et prendra la poudre d’escampette : l’agneau, l’ours ou papa.
Je vous écrirai alors.
[extraits de « Scrisoare familială » (Lettre familiale), p. 107-109, traduits en français par Aurel George Boeșteanu]
Un syndicat, avec votre programme de travail et d'indépendance, rend notre société superflue. Il est vrai qu'elle n'est pas capable de quoi que ce soit : nous venons de nous en rendre compte et nous vous donnons raison. Nous savons ce que vous voulez : une maison d'édition appartenant aux écrivains eux-mêmes, servie par le personnel lui-même, avec une division du travail et qui offre au public des livres pas chers. Vous voulez que cesse toute exploitation des écrivains par les éditeurs. Vous dites que les écrivains ne peuvent même pas payer la laitière. Soit ! Vous voulez aussi un contrôle strict des tirages. Fort bien ! Vous souhaitez que les écrivains ne traitent plus, intimidés, directement avec les éditeurs, mais passent par le secrétariat de votre syndicat.
[Un sindicat cu programul dumitale de lucru și de independență, face societatea noastră inutilă. E adevărat că ea nu-i în stare de nimic: ne-am sezisat și ai perfectă dreptate. Știm ce vrei dumneata: o editură a scriitorilor, servită de echipe de membri, pe categorii de îndeletniciri și care să dea publicului cărțile ieftin. Vrei să înceteze exploatarea scriitorilor de către editori. Zici că scriitori n-au cu ce plăti nici lăptăreasa. Bine ! Vrei un control sever al tirajelor. Foarte bine ! Dorești ca scriitorii să nu mai trateze, intimidați, cu editorii direct, ci prin secretariatul sindicatului dumitale.]
p.253, „Un congres al scriitorilor”
Il est entré dans la maison il y a deux mois, avec aisance et simplicité. Il y venait pour la première fois et pourtant on aurait dit qu’il connaissait les lieux et que quelque chose de cette maison lui avait un jour appartenu, à en juger par l’extrême familiarité dans son regard jaune, et par la sûreté du pas feutré et glissant dont il promenait à travers les pièces le velours de sa silhouette. La reine des reines ne saurait avoir plus fine cheville, plus aristocratique aisance et plus suave allure que notre chat fourvoyé.
– D’où viens-tu, chat noir comme les plus noires ténèbres et souple comme une nuée montant des sombres abîmes, et comment se fait-il que tu aies choisi notre foyer pour gîte ? As-tu jamais été chez nous en notre absence, pendant notre sommeil ou durant nos voyages sur les lacs perdus parmi les roseaux ? Comment as-tu échoué ici ? Quelqu’un t’aurait-il envoyé, que nous ne connaissons pas et qui veille sur nous ?
[début du texte « Pisica » (Le Chat), p. 136, traduit en français par Aurel George Boeșteanu]
– Pourquoi le chat fait-il entendre ce ronron ?
– Il file comme le fuseau, murmure comme la mer, chante comme le vent, siffle comme les blés. C'est ainsi que se lamente la forêt, que coule l'eau, que gémit le saule et que gronde l'orage. Dans son sommeil, oreille contre terre, le chat écoute le luth du monde dont la voix chante dans toutes choses, dans celles d'en haut comme d’en bas, dans les précipices comme sur les pics et la crête des espaces… et son rêve se fait entendre, comme un écho des violons des eaux.
[fin du texte « Pisica » (Le Chat), p. 137-138, traduit en français par Aurel George Boeșteanu]