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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
« Si les murs pouvaient parler …. Ils suintent, murmurent, hurlent parfois mais ne parlent pas. A Lutetia, la musique de fond est faite de chuchotements, ceux de leur colloque ininterrompu depuis un demi-siècle. Car si tout grand hôtel est un lieu hanté, celui-ci l'est plus que d'autres. »

Pierre Assouline a choisi de nous convier à un huis-clos prestigieux, mi-historique, mi-romancé, d'un des plus grands palaces parisiens, Lutetia, nom dérivé de Lutèce dont les armes et la devise figurent aux quatre coins du palace. Lutetia, hôtel de légende dont l'histoire se confond avec la Grande Histoire de la seconde guerre mondiale. Mais il est évident que c'est le patrimoine immatériel de ce grand palace, son âme que le temps qui passe retient. Pour tout passionné d'Histoire, le Lutetia est synonyme de « retour des déportés », une période mal connue, peu racontée même dans les familles concernées ce qui est mon cas.

J'apprécie beaucoup l'auteur, ses livres sont, pour moi, toujours un excellent moment de lecture détente tout en restant instructif. C'est ce qui m'a incitée à suivre Edouard Kieffer, notre chroniqueur, Alsacien, germanophone, ancien flic des Renseignements Généraux, reconverti en responsable de la sécurité d'un des plus beaux palaces parisiens, le seul de la rive gauche « Lutetia ». de sa position privilégiée, cherchant à rester en accord avec lui-même dans une posture neutre – quoique - Edouard nous entraîne avec lui dans l'Histoire douloureuse de Paris de 1938 à 1945. Nous découvrons le Palace dès 1938 qui devient un concentré de l'ambiance du quotidien et des drames qui se jouent à Paris. On ressent à la fois la fébrilité des clients et l'atmosphère tendue entre son cortège d'interrogations, d'angoisses devant l'inéluctable qui s'annonce. On y rencontre d'illustres personnages tels que James Joyce ou Albert Cohen. C'est toute cette première partie bien qu'intéressante, qui m'a parue la moins captivante, hormis le passage dédié au Général de Gaulle.

La deuxième partie du livre évoque l'Exode pour se consacrer surtout à la réquisition du Palace par l'Abwehr (services secrets de l'état major allemand), aux rafles, aux déportations. Après la culture, l'élégance, le savoir-vivre, nous passons à l'Occupation. C'est toujours sous le regard d'Edouard Kiefer que nous participons au quotidien d'un grand hôtel mobilisé pour héberger, nourrir et divertir les troupes d'occupation. Les couloirs du Palace résonnent dorénavant des pas des dignitaires allemands. Nous y retrouvons du « beau monde » tels que Bonny et Lafont, bien connu pour leur grand humanisme et leur moralité irréprochable, les collabos, les lâches. le récit agissant, on se transforme vite en petite souris curieuse d'en découvrir un peu plus. A aucun moment, le récit ne devient indigeste, c'est toujours extrêmement fluide et vivant.

La troisième partie est la plus émouvante bien qu'elle soit écrite avec beaucoup de délicatesse mais émotionnellement intense. Elle est consacrée à la Libération de Paris et au retour des déportés.

Sous la plume érudite de Pierre Assouline, nous assistons au retour des rapatriés qui sont pris en charge par des bénévoles dévoués, des cuisinières, des assistantes sociales, du personnel soignant et des médecins généreux, des militaires, des scouts, mais aussi parfois, des individus plus ou moins à l'écoute de la détresse humaine. Toutes ces personnes vont résider à Lutetia, pendant cinq mois, 24/24 h. Cette impressionnante organisation se fera sous l'égide d'Elizabeth Bidault, Dirigeante du COSOR, le Comité des oeuvres sociales de la Résistance et de Sabine Zlatine, Responsable de la Maison des Enfants d'Izieu avec l'accord du Général de Gaulle. On imagine aisément les barrières extérieures qui forment un étrange couloir, l'arrivée des bus avec toute cette misère humaine qui en descend, les personnes stationnées sur le trottoir, maintenant au-dessus de leur tête, leur panneau indiquant le nom de la personne attendue désespérément, tous les drames et les joies qui vont se jouer entre ces murs mais aussi l'action de tous ces bénévoles qui permettra à ces « matricules » de redevenir des êtres humains.

Il y a comme un mouvement de balancier entre l'Abwher et le retour des déportés, ce dernier épisode redonnant ses lettres de noblesse à Lutetia.

L'auteur possède une très belle plume dont la qualité lui a permis d'obtenir le Prix de la langue française. A la fois journaliste et historien, les exigences de ses métiers transparaissent dans son écriture. Lutetia est un roman historique précis doublé d'une fiction romanesque. Les trois quarts des personnages sont historiques, les lieux sont d'une description minutieuse et authentique, le couple Edouard et son amour de jeunesse Nathalie sont fictifs. L'auteur s'est appuyé sur un long travail de recherches dans les Archives du Lutetia, sur l'étendue de ses acquits sur la seconde guerre mondiale, sur le témoignage de plusieurs rescapés afin de nous offrir ce récit percutant, addictif. La citation que j'ai mise sur la cache destinée aux grands millésimes est authentique.

« Tout en avalant leur repas de midi, les enfants (de retour des camps) écoutaient Maximilien dans une quiétude monacale lire à voix haute « le trésor de Rackham le Rouge » - en allemand – Quand je pense que neuf mois avant, ces mêmes voûtes résonnaient de ces intonations et que neuf mois après cela continuait au même endroit. Les traqués avaient succédé aux traqueurs. Mais dans la même langue. de l'entendre articulée dans la bouche de cet enfant-là et d'en mesurer l'effet immédiat, dans le regard de ces enfants-là, me donnait le frisson. Rarement la langue allemande m'avait paru aussi remarquablement appropriée à ce qu'elle exprimait. Ce qu'il peut y avoir de raideur en elle avait disparu au profit de sa sensibilité ».
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Voilà, je viens de terminer : Hôtel Lutetia et comme toujours avec Pierre Assouline, on apprend beaucoup sur l'histoire humaine à travers la Grande Histoire.
Son talent de conteur nous entraîne ici dans l'histoire, presque une odyssée de l'hôtel Lutetia.
Palace très impressionnant, une architecture grandiose situé au carrefour de Sèvres-Babylonne.
Comment alors imaginer les fastes de la vie de cet hôtel hors pair ayant vu avant guerre toute la fine fleur de la littérature comme Joyce ou Roger Martin du Gard, puis l'occupation pendant la guerre par les services secrets allemands pour finir par devenir l'hôtel des camps de la mort pour accueillir les déportés ayant échappé à l'abomination ?
C'est le grand talent de Pierre Assouline de pouvoir ainsi nous faire vivre de façon très convaincante la vie de ce palace.
À travers le personnage d'Édouard Kiefer, alsacien qui parle très bien allemand, ancien policier des renseignements généraux deviendra
détective au Lutetia. Ce personnage n'est pas choisi au hasard me semble-t-il ?
En effet, par quelques phrases très pertinentes, Pierre Assouline fait dire et vivre à son personnage un aspect fondamental de l'être humain.
Que signifie l'intégrité ? Quelles sont les limites à ne pas franchir pour la conserver ?Jusqu'où peut-on aller sans trahir sa conscience ?
Évidemment, la période de l'occupation de l'hôtel s'y prête admirablement.
La dernière partie du livre est elle aussi bouleversante avec la décision qui fut prise de transformer l'hôtel Lutetia en centre d'accueil et de transit pour les déportés revenant des camps de la mort.
Je dois dire qu'à chaque fois que je passe devant le Lutetia, j'y pense mais cela reste très dur à imaginer, une cohorte d'hommes et de femmes sortant de bus dans des tenues rayées, entrant dans ce palace. Sans compter cette tension et émotion de toutes ces familles venues dans l'espoir de retrouver les leurs.
Un après midi de soleil radieux, on se rend compte que c'est impossible d'imaginer ces scènes. Tout comme, quand on marche sur l'herbe à Birkenau, on a du mal à imaginer l'innomable.
C'est en ce sens, à mon avis que le livre de Pierre Assouline est incontournable, il donne la mémoire d'un lieu et c'est essentiel à mes yeux.
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L'histoire se déroule en trois parties bien distinctes bien que liées puisque en Europe la seconde guerre mondiale se prépare.Edouard Kiefer, ex flic est devenu responsable de la sécurité du Lutétia. Solitaire, incorruptible, il va être le témoin des trois périodes, avec une question récurrente quelles sont les limites de sa discrétion lié à son poste. le grand hôtel parisien va connaitre les profonds bouleversements de cette époque tragique. Pierre Assouline se fait le biographe du Lutétia avec une précision méticuleuse. Et à travers le portrait de Kiefer nous interroge sur nos consciences, se contenter d'obéir ou choisir la voix de la résistance. La troisième partie est bien évidemment la plus tochante alors que l'hôtel accueillent les déportés des camps et elle ler famille qui errent en espérant un improbable retour. Un roman tout en nuance, qui réussit sa mission, témoigner à travers le Lutetia sur une période
crépusculaire du vingtième siècle.
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Ce livre m'a emporté dans le tourbillon de la vie d'un palace. Et quel palace ! le Lutetia ! Je ne connaissais jusque là que la troisième partie de ce livre, celle qui relate la mue de l'hôtel en centre d'accueil des déportés revenant des camps. La vision historique que j'en avais s'est complété de l'émotion que l'auteur a su communiquer et qui transpira de la lecture de ces paroles de personnages réels en transit entre l'innommable et un semblant de normalité. En ces temps agités où s'amplifie à nouveau en Europe la voix des idéologies qui ont conduit à l'horreur absolue, organisée méthodiquement à l'échelle industrielle, ces tranches de vie m'ont rappelé les dangers du silence, de l'accommodement, du refus mou face à tout ce qui stigmatise l'autre en raison de sa race, de sa religion ou de je ne sais quelle différence. La première partie plonge dans l'ambiance d'avant-guerre tandis que la seconde évoque l'Occupation ; les deux captivent et entraînent le lecteur à belle allure, dans un style agréable, vers le dénouement. Bref, j'ai aimé au point d'avoir envie d'aller visiter le palace, peut-être y rencontrerais-je le fantôme de l'un ou l'autre personnage du roman de Pierre Assouline !
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Lorsqu'on découvre en fin de livre les références consultées par l'auteur, on mesure à quel point Pierre Assouline s'est documenté pour construire une fiction dominée par des faits vrais, des femmes et des hommes bien réels, un lieu et ses époques successives.

L'hôtel Lutetia, rive gauche, revit sous la plume de l'écrivain.
Trois périodes avec leurs caractéristiques, les êtres qui les fréquentèrent.

Un fil conducteur en la personne d'Édouard Kiefer, ancien flic des Renseignement Généraux devenu détective en cet hôtel.
Observateur établissant des fiches sur les clients, écoutant les conversations, il sera le témoin de la société mourante d'avant-guerre puis de l'occupation où sa fonction à Lutetia demandera une neutralité dérangeante.
Cette période, Pierre Assouline nous en conte l'horreur, la peur, l'antisémitisme, la torture, la déportation, etc…
Puis l'après-guerre et le retour des hommes et des femmes qui portent en eux « la Nuit et le Brouillard ».
Des familles aux abois qui espèrent ou tentent de retrouver l'un des leurs.
La reconstruction sera difficile voire impossible.
Ces pages sont les plus terribles à lire et éclairent sur les circonstances de ces moments hors temps.

Entre roman et Histoire, le livre a une densité forte et drue qui bouscule et remue.
L'homme dans toute sa perversité et sa créativité dans le mal y est dépeint.
Toutefois quelques êtres sauvent la mise par leur engagement, leur humanité où les actes posés effacent un peu l'horreur.











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Quand on entre dans le salon d'un fan de Johnny, on sait tout de suite à qui on a affaire. Les posters, les modèles réduits de Harley, le cendrier Sylvie, le sous-verre Laura, la serviette Laetitia, le repose-couteau Jean-Claude Camus. le monsieur n'a pas besoin de vous faire un speech, salut, je suis un fan hardcore de Jean-Philippe, pour qu'on établisse un diagnostic. On sait qu'on peut venir avec un carton de bière sous les bras et du cambouis sous les yeux. Et on sait qu'il ne faudra pas prononcer les mots "Docteur Delajoux" entre le fromage et le dessert.



Avec Pierre Assouline, c'est pareil, on sait très vite où on met les pieds. Sur les patins d'abord, parce que je viens de cirer le parquet. Et ensuite, dans le boudoir, où on se fera servir un thé chinois ou un café turc en croquant un morceau de chocolat, avec le même air digne que si on participait à une réunion d'écrivains diplomates. Oui, c'est ça, plissez les yeux, ça vous donnera un air plus pénétré.

Passou tient un blog littéraire, pas mauvais. Un type qui m'a fait découvrir Kurt Vonnegut, ça vaut reconnaissance éternelle. Ce n'est pas moi qui l'appelle Passou, ce sont les gens qui commentent le blog. Des gens qui ont cette faculté, toujours fascinante, d'atteindre le point de Godwin à une vitesse qui rendrait depressif un accélérateur de particules. Et en ce moment, on en est au stade où on ne comprend plus rien aux commentaires si on ne les a pas lus dans leur intégralité depuis 2006. Se contenter du blog.

Chez Passou, il y a un petit air Bernard Rapp, vous vous souvenez, Bernard Rapp, Bernard Rapp, Bernard Rapp, l'Assiette Anglaise, l'émission qui passait le samedi à l'heure du déjeuner et qu'on regardait, ado, sans comprendre tout, mais dont on aimait bien l'ambiance, les fauteuils clubs, les boiseries, le petit doigt en l'air, mais toujours avec l'oeil qui pétille et le coin de la bouche en forme d'insolence. Chez Passou, c'est ça, une ambiance mi-old england, mi-années 30, de la frise aux murs et de la rosace au plafond. Un doigt de Kirsch ?

Il est comme ça, Passou, un vieux garçon désuet mais charmant, il a des goûts d'un autre siècle et quand on le lit, on oublie qu'on vit à la même époque que Cormac McCarthy, Edgar Hilsenrath et Régis Jauffret.

Regardez dans La cliente, un beau livre, l'enquête d'un homme qui pense avoir mis la main sur la vieille bique qui a dénoncé ses voisins juifs pendant l'Occupation. Il y a une scène assez forte dans un bus parisien. On est au milieu des années 90. Esclandre entre 2 hommes. Un troisième intervient : "Allons, Messieurs, entre français..." Very third republic, non ?

Nous voilà à l'hôtel Lutetia, en 1938, dans la peau du détective du palace. Les clients, le personnel, les histoires de vol, d'adultère, les petites manies des uns et des autres et surtout le lieu lui-même, pas comme les autres, un monde en soi. D'ailleurs, on ne dit pas "je dors ce soir au Lutetia", mais "je dors ce soir à Lutetia", comme pour une ville. Ah, que c'est élégant, que c'est raffiné ! On s'y bat en duel à l'épée devant le drapeau français. On y tient salon littéraire. On y admire la marqueterie et les imparfaits du subjonctifs. C'est beau, c'est cosy, c'est la fin des années 30. le printemps 1789. le paradis. Et Passou qui nous brode sa dentelle comme personne : "Que cela relevât d'un esprit sophiste, d'une morale élastique, voire d'une déontologie à géométrie variable, je n'en disconvenais pas. Mais j'attendais avec intérêt celui qui me jetterait la première pierre, puis une autre et une autre encore, qui me permettraient de construire une maison où les inviter au grand banquet des hypocrites. Car rien n'est suspect comme les donneurs de leçon." Osons le mot : c'est bath !

Parmi les clients, quelques excentriques et des personnages célèbres, des écrivains surtout. Passou ménage ses effets : on décrit d'abord, on portraiture au physique et au moral sur un long passage, et ensuite seulement, on révèle le nom. C'est beau comme une charade. Evocation réussie, émouvante, et trempée dans une légère tasse d'humour, de James Joyce.

"- Monsieur Joyce ? Monsieur James Joyce ?
- Eventuellement.
- Je voulais juste vous remercier.
- Ah... Pour mon oeuvre ?
- Non, je ne l'ai pas lue... Pour avoir sauvé notre ami Hermann Broch.

Inutile de dire que Juin 40 vient quelque peu plomber l'ambiance. le vert de gris jure un peu sur l'acajou. Encore que tous les goûts sont dans la nature. Passés les premiers moments de consternation, Il se trouve toujours des gens qui ne trouvent rien à redire aux claquages de talon allemands au pays de la charentaise. À Lutetia, c'est l'Abwehr qui s'installe. Services de contre-espionnage de la Wehrmacht. Ca pouvait être pire. Au moins, ce sont des militaires, pas les abrutis dégénérés de la SS ou de la Gestapo. La tendance y est plutôt antinazie. Beaucoup d'officiers prussiens, des types instruits, polyglottes, raffinés, parfois francophiles. Mais tout de même au service de la racaille nazie.
Forcément, la clientèle change : on troque M. Joyce contre Joanovici et Skolnikov, deux trafiquants juifs (oui), parvenus et richissimes. On troque le couple Saint-Exupéry contre Bonny et Laffont, les deux flics français ripoux qui se sont conduits ignoblement, magouillant, torturant, exécutant, allant jusqu'à porter l'uniforme allemand. On troque les exilés allemands contre Mohammed El Maadi, un algérien qui veut mettre ses prêches contre les colons au service de la cause hitlérienne. Comme ça, il y en a pour tout le monde. Pour la crapule, tous les râteliers ont la même odeur.

Et dans ce merdier, Edouard Kiefer, le flic de l'hôtel, ni résistant ni collabo, ni résigné ni engagé, écoeuré, désabusé, ni dedans ni à côté ni en dessous, mais au-dessus de tout ça, perché sur son poste d'observation comme sur le toit terrasse de l'hôtel où il aime parfois jouer de la trompe de chasse. le narrateur, notre guide, notre oeil. Au-dessus : le meilleur point de vue pour observer et décrire. Un malin, ce Passou.

Fin 44, l'hôtel est à nouveau réquisitionné, par le Gouvernement Provisoire, cette fois. On accueillera les prisonniers de guerre, les déportés politiques, les résistants, les déportés raciaux, les rescapés des camps. On dit "Rapatriés". L'administration a toujours été championne olympique de l'euphémisme. On met en place des mesures prophylactiques, désinfecter, épouiller, réalimenter. On explique au personnel, aux volontaires, comment s'adresser aux rescapés, on édite un petit manuel psychologique du déporté. On organise des interrogatoires pour détecter les faux rapatriés, les SS en fuite et les collabos traqués. Et puis, ils arrivent.

Le ton change. le récit s'accélère : il y a mille anecdotes et destins à raconter, des tragédies pour la plupart mais aussi des joies, peut-être quelques épisodes comiques. Ça ne sert à rien de les raconter, il faut lire cette troisième partie, elle est humaine. On pourrait dire "magnifique", "sublime", mais qu'est-ce que ça veut dire ? Comment on écrit et comment on lit, c'est ça qui nous intéresse, tout le reste ne nous regarde pas.

Quand je dis que le récit s'accélère, je veux dire que Passou s'attarde moins, qu'il a baissé le petit doigt et reposé sa tasse de Darjeeling. Que les phrases perdent de leur ampleur, que les adjectifs ne sont plus là pour faire beau dans le décor, que celui qui regarde est bouffé par ce qu'il a devant les yeux. Illusion, cape noire, habit de magicien, littérature. On vient de changer de livre sans s'en apercevoir, on vient aussi de changer de monde.
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un tres beau témoignage du Paris avant, pendant et après la seconde guerre mondiale, porté par une parfaite maîtrise emotionnelle, un ton juste et sobre.
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Aujourd'hui, l'hôtel de luxe (de) Lutetia est fermé pour au moins trois ans. de gros travaux de rénovation et de transformation sont engagés.
Edouard Kiefer se retrouve au chômage de longue durée ! ou tout simplement à la retraite !
Il dispose donc du temps nécessaire pour nous confier, par l'entremise de Pierre Assouline, ses souvenirs. En effet, il y sévissait comme « détective en charge de la sécurité ».
Après avoir été inspecteur principal de police, il a démissionné et a été embauché dans cet hôtel prestigieux, pour dit-il « creuser sans fin sous la peau des apparences », et, c'est effectivement ce qu'il fait tout au long de son quotidien professionnel quand il côtoie un monde cosmopolite composé de célébrités ( Roger Martin du Gard, Saint Exupéry et Consuelo, Blaise Cendrars James Joyce qui lui avoue « pour donner du travail aux universitaires pour les trois siècles à venir, au moins »… , d'inconnus , d'exilés fuyant le nazisme, d'étrangers interlopes. Clients et employés, chacun est répertorié, par ses soins, sur un bristol.
Une démission, certes, mais conditionnée plus prosaïquement par une sanction infligée pour avoir rédigé un rapport sur le suicide d'un magistrat lié à l'affaire Stavisky…
Kiefer nous raconte, dans une première partie, les habitudes, les manies, les excentricités de la clientèle.
Puis, en France comme partout en Europe, les écoutes téléphoniques se multiplient, le courrier est piraté, les surveillances se renforcent, à l'extérieur, et dans l'hôtel, prémices à la guerre …
L'hôtel, réquisitionné, comme bien d'autres, il va devenir le siège de l'abwehr - le service de renseignements de l'état-major allemand-
Kiefer conserve son poste, il est désormais au service de ces hôtes très particuliers et va côtoyer Canaris et d'anciens collègues passés dans le camp allemand, notamment Henri Chamberlin-Lafont, chef de la Carlingue autrement dit la gestapo française.
Il retrouvera aussi d'anciens camarades qui, eux, désormais, oeuvrent dans la clandestinité.
Puis l'hôtel va à nouveau être réquisitionné et devenir le lieu d'accueil des déportés.
Nous conservons en tête ces images terribles…
Et la vie reprend peu à peu son cours et le Lutetia, son statut de grand hôtel parisien.

Lutetia est un roman particulièrement bien documenté (travail de journaliste !), les faits qui y sont relatés respectent l'Histoire, et donnent envie de creuser un peu plus certains aspects concernant ce lieu, la clientèle qui le fréquenta aux différentes époques évoquées par notre témoin, Edouard Kiefer.
Et ironie de l'histoire (ou pas !) l'hôtel appartient désormais à un groupe de financiers israéliens…

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Magnifique galerie de portraits, le principal étant Lutetia, premier palace de la rive gauche...

Pierre Assouline, dont c'est le premier livre que je lis mais certainement pas le dernier, a très bien su rendre l'ambiance de l'hôtel suivant les époques, clairemetn identifiées comme avant, pendnt et après : la vie facile de l'entre deux guerres, l'humiliation de l'occupation par les services du renseignement allemand, la claque du retour des prisonniers.

Il a également su rendre les questionnements de son narrateur, pas un héros, pas un lâche, mais un homme qui s'est beaucoup interrogé pour savoir jusqu'où on pouvait aller sans trahir sa conscience...
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Il fallait c'est certain qu'un jour soit raconté le destin, pendant la seconde guerre mondiale, du magnifique palace boulevard Raspail à deux pas du Bon Marché . L'histoire croise L Histoire pendant cette période où officiers et dignitaires nazis puis déportés de retour des camps d'extermination bouleversent la vocation de l'hôtel. le regard du détective de l'hôtel, ancien policier, est souvent surprenant, toujours affuté, il constitue à la fois l'architecture et le sel de ce récit original et passionnant. le Lutetia n'est pas la France et pourtant il est tout au long de ces années un terrain d'observation hors norme d'un pays paralysé par les peurs. Entre ces peurs, les compromissions, la survie et l'incompréhension de tous ces destins meurtris, l'ouvrage de Pierre Assouline appartient à cette catégorie de bouquins qui vous rend impatient de les retrouver dès que vous les avez posés.
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