Il ne s'agit pas ici d'une découverte de l'ouvrage : cette review est faite suite à ma troisième lecture de "
Captive" de
Margaret Atwood, lu pour la première fois à l'occasion de la sortie de la mini-série Netflix. L'ouvrage avait été presque un coup de coeur à l'époque, ce qui explique ses relectures depuis lors. Je l'ai relu ici à l'occasion d'un projet d'écriture sur lequel je planche, car j'ai pensé qu'il pouvait m'amener des réflexions intéressantes.
Ce fût le cas, mais je vais d'abord tenter de résumer ce dont traite le livre : l'intrigue est inspirée de faits réels, on peut d'ailleurs trouver de nombreux extraits de documentation tout le long de la lecture. Elle se concentre autour du procès de Grâce Marks, une jeune femme ayant servi en tant que domestique près de Toronto au XIX ème siècle. Elle et un autre employé, James McDermott, comparent au tribunal pour le double meurtre de Mr. Kinnear, un homme fortuné, et de sa gouvernante Nancy Montgomery avec qui il avait sans doute une liaison (il fut découvert lors de l'autopsie qu'elle était enceinte). James McDermott fût pendu, et Grâce manqua de partager la même sanction ; elle fût condamnée au dernier moment à la prison à perpétuité. Ce qui lui sauva la vie fût tout d'abord que seul le meurtre de Mr. Kinnear fût jugé et non celui de la femme de chambre, qui n'eut jamais de réel procès. Or, Mr. Kinnear fût abattu d'une balle en plein coeur tirée, selon les confessions, par James McDermott. C'est sur la mort de Nancy que la complicité de Grâce laisse le doute. Ensuite, l'intervention de l'avocat de Grâce plaida son cas en la faisant passer pour une faible d'esprit, naïve et sotte, trop stupide pour réellement agir avec discernement au moment des faits. Et que ce serait donc un crime judiciaire que de la pendre.
L'ouvrage commence alors que Grâce, déjà emprisonnée depuis une quinzaine d'années, se trouve au pénitencier. Après être passée par la prison et l'asile, sa bonne conduite lui a permis de se retrouver en ce lieu, où elle peut servir également d'aide domestique à la femme du gouverneur. le docteur Simon Jordan (personnage fictif) vient en ville afin de lui parler et d'analyser son cas afin d'établir un rapport pouvant prouver (ou non) sa culpabilité. Tous les après-midi, Grâce et Simon se retrouvent ensemble pour discuter, la jeune femme lui racontant sa vie d'aussi loin que ses souvenirs remontent jusqu'au moment des meurtres.
Au départ, l'intrigue prend donc une allure pouvant se rapprocher, dans l'idée, de celle du polar : Grâce est-elle innocente, une victime de circonstances, une femme malade, en proie aux amnésies ? Ou est-elle coupable, menteuse, manipulant son prochain et faisant preuve de fourberie ? Que cela soit le lecteur ou le docteur Jordan, ces questions ne trouvent pas de réponses et nous sommes menés uniquement là où Grâce veut bien nous conduire. Nous savons qu'à plusieurs reprises elle ment, mais cela ne fait pas d'elle une coupable ; nous savons également qu'elle a connu le deuil et l'injustice, mais cela ne fait pas d'elle une innocente. C'est cela qui m'a profondément intéressé dans ce roman : la question n'est pas de savoir si Grâce est innocente ou non. La question est de savoir pourquoi cela nous intéresse et exalte autant. Quand on se débarrasse des notions de "coupable" ou "d'innocent", on peut voir apparaître des pistes de réflexions très intéressantes dans le roman.
Il y a tout un questionnement sur la place de la femme, comme c'est souvent le cas dans les romans de
Margaret Atwood ; toutefois je n'ai pas eu l'impression que c'était là le coeur principal de l'ouvrage. Dans l'histoire de Grâce, plusieures femmes subissent leur condition : la mère de Grâce subit la pauvreté, la maladie et la maltraitance suite à une mésalliance avec un homme alcoolique et dangereux. Mary Withney, l'amie intime de Grâce, mourra à la suite d'un avortement alors qu'elle aura eu une histoire avec un jeune noble s'étant désengagé après avoir obtenu ce qu'il voulait. Même Nancy Montgomery est la cible des commérages en raison de sa relation avec Mr. Kinnear, elle n'est pas jugée comme étant respectable, mais en aucun cas le gentleman, lui, ne paye les conséquences de cette histoire. Grâce doit plusieurs fois subir des affronts, des jugements, souvent masculins. Ce sont des hommes qui, dans les journaux ou au tribunal, l'ont décrété soit perfide, soit idiote, soit pauvre victime, comme si elle ne pouvait avoir que ces visages, ces identités qu'ils veulent bien lui prêter. Même le docteur Jordan , au départ habité par le syndrome du sauveur et voyant à travers Grâce un moyen rapide de se faire un nom, se révélera abject dans son comportement et aura le droit à une leçon.
Le roman a également toute une réflexion sur la médecine d'époque et le traitement des maladies mentales ainsi que la montée du mesmerisme, avec la neuro-hypnose, le spiritisme etc. Je dois admettre que c'est une partie du livre m'ayant moins passionné, notamment toute la phase finale avec Jeremiah, même si j'en comprends (je pense) le sens et l'utilité.
Il y a aussi toute une analyse de la société d'époque et des conditions de vie et d'emploi des domestiques, avec une observation de la pauvreté au XIX eme siècle (ne serait-ce qu'avec la description du voyage en bateau depuis l'Irlande).
Je me suis demandée parfois, si l'autrice elle-même ne se perdait pas dans sa description de Grâce Marks, dans l'image qu'elle construisait. Grâce nous reste à juste titre insaisissable, elle est lisse, mais a un point où cela ne m'a pas toujours paru vraisemblable. Cela dit, je suppose que c'est l'objectif et que le but n'était pas de faire de Grâce un personnage entièrement tangible : elle devait nous échapper.
Une lecture que je recommande, idem pour la mini série Netflix qui en est une très belle adaptation.