"- Tout le monde me haïra, tout le monde me haïra, tout ... , continuait à marmonner Ridley."
Une fois ma lecture achevée, je n'ai toujours pas compris pourquoi Ridley, sept ans, parle dans son sommeil, fait des crises de somnambulisme et de violents cauchemars qui inquiètent tant sa famille.
Pourtant, ce sont ces rêves atroces qui ont inspiré ce titre intrigant à
Alexis Aubenque. Ils doivent donc bien avoir une importance.
Quelques débuts de pistes nous sont donnés par son psychothérapeute et dans les ultimes lignes du roman.
Mais j'ai beaucoup réfléchi et je suis désormais convaincu que Ridley fait des rêves prémonitoires.
Plus grand, il deviendra contrôleur des impôts.
Ridley, c'est le petit garçon de Tracy Bradshaw, l'un des deux principaux personnages du roman. Elle est flic, et travaille en binôme avec Scott sous les ordres du shérif Taylor.
Le second enquêteur lui n'est plus policier. Ancien équipier de Tracy, Nimrod Russell a en effet été renvoyé deux ans plus tôt après avoir malmené plus que de raison un suspect, ce qui nous le rend d'ailleurs d'emblée attachant étant donné la nature du crime commis par ce dernier.
Reconverti en détective privé, la majorité de son activité professionnelle consiste désormais à surveiller les époux volages lors de longues planques.
Parce qu'il ne se passe pas grand chose à White Forest, petite ville côtière de l'Alaska, "une ville touristique typique avec ses commerces et ses restaurants joliment décorés". Quelques trafics dans les quartiers nord, quelques infidélités conjugales, quelques bagarres d'ivrognes mais c'est à peu près tout.
"White Forest demeurait une petite ville tranquille et les meurtres y étaient rares."
"White Forest avait été bâtie plus d'un siècle auparavant, à l'époque de la grande ruée vers l'or qui avait vu affluer des milliers de migrants en provenance de tous les états d'Amérique, mais aussi d'Europe."
L'immersion dans le grand froid et la culture de l'Alaska est l'une des originalités de ce livre qui permet de nous faire voyager dans un contexte géographique assez inhabituel dans les thrillers. Bienvenue donc dans une région de déserts blancs, de forêts et de banquises, où la pollution demeure encore en retrait. L'Alaska, c'est la chasse, la pêche, les bateaux, le verglas, les promenades en raquettes. On y croise également des Inuits peu intégrés à la population américaine locale et une faune de circonstance : orignal, husky, homme déguisé en phoque pour satisfaire ses fantasmes auprès d'une dominatrice.
Et puis à dix jours du vingt-cinq décembre, l'hiver s'installe, les jours deviennent particulièrement courts.
"L'hiver la notion de jour en Alaska était très relative."
Et le père Noël passe avec quelques jours d'avances déposer de macabres présents qui vont bouleverser cette petite communauté.
- Une guirlande d'intestins chez madame Kruger, avec à l'autre bout le cadavre pendu et éventré de feu son époux. L'arme du crime sur lequel enquêtera Tracy Bradshaw s'avère être un hakapik, une sorte de harpon avec lequel les esquimaux chassent les mammifères marins.
- Un iceberg s'ouvrira tel un paquet cadeau sous l'effet du réchauffement climatique, laissant échapper de son emballage argenté une multitude de corps. Les marins d'un bateau ayant sombré un siècle auparavant, le New Horizon, y avaient en effet été congelés. Mais qu'est-il advenu de la centaine d'enfants russes qui voyageaient à bord de ce même navire ?
"Comme tout le monde, il avait été troublé par la découverte de ces cadavres de marins congelés durant un siècle et s'était demandé ce qu'il avait bien pu advenir des orphelins russes."
C'est la journaliste Laura Barnes, la belle-fille du détestable maire de White Forest, qui va s'intéresser de près à cette découverte.
Et lors de quelques courts chapitres en italiques au sein de la trame principale, le jeune mineur russe Vassili, lié d'une façon ou d'une autre à ce naufrage, décrira progressivement ses conditions de vie.
- La demi-soeur de Laura, Alice, viendra quant à elle passer les fêtes de fin d'année en famille. Enfin non, pas vraiment : elle est surtout inquiète parce que Laura a disparu, mais elle n'est pas prise au sérieux. Il est de notoriété publique que sa soeur, majeure et vaccinée, est partie rejoindre un autre homme. Seul Nimrod acceptera de rechercher la disparue pour elle.
Les trois affaires présenteront bien sûr toutes sortes de liens et de ramifications, les victimes seront encore nombreuses, et le parcours des différentes enquêtes sera parsemé d'embûches. Les personnages vont devoir beaucoup souffrir avant de commencer à approcher d'une vérité qu'on semble à tout prix tenter de leur dissimuler.
Il y a vraiment deux façons de parler de ce livre.
Si je pointe ses défauts du doigt, je dirais qu'en dépit du décor arctique, l'impression d'avoir déjà lu et relu des dizaines de fois une histoire similaire, du moins dans les grandes lignes, a persisté pendant une bonne partie de ma lecture. Pourtant, c'était mon premier
Alexis Aubenque , auteur apparemment souvent comparé à
Harlan Coben. le côté très made in US je l'ai effectivement retrouvé ici mais pour moi la comparaison s'arrête là. L'écriture n'est pas très travaillée et les dialogues sont souvent trop convenus, voire plats ( "- Regarde ces poulettes. Il n'y a pas à dire, les plus belles femmes sont à White Forest." ). Les courts passages teintés d'érotisme n'ont guère d'utilité. Je l'ai terminé hier et je ne suis déjà plus capable de le résumer, premier syndrome du vite lu et vite oublié. Style moyen et manque d'originalité donc, à l'exception d'un grand final dont je ne suis pas parvenu à décider encore s'il était ridicule ou grandiose, mais qui a au moins le mérite de surprendre à plus d'un titre.
Mais si l'on n'est pas trop exigeant, il faut bien admettre également que la recette fonctionne plutôt bien et que ce livre je l'ai rapidement dévoré. On ne s'ennuie pas un seul instant, les rebondissement sont nombreux, et on a envie de connaître le fin mot de l'histoire et le rôle de chacun dans la succession de disparitions, de meurtres et d'évènements improbables incluant autant de protagonistes, y compris nos deux enquêteurs.
La psychologie des personnages est seulement esquissée mais elle existe et on n'est donc pas uniquement dans l'action : on participe à leurs raisonnements et déductions, on s'attache quand même à quelques uns, et plus particulièrement à Nimrod et Tracy, tout simplement parce qu'ils présentent quelques failles - d'ordre familial dans les deux cas - et qu'ils ont également des défauts qui les rendent particulièrement humains. J'avoue être pressé de les retrouver dans
Aurore de sang.
Alors oui il y a de petites maladresses, le final demande beaucoup de souplesse d'esprit pour être accepté mais si on en a il est surprenant et fait de toute façon réfléchir. L'écriture n'est que passable mais je ne crois pas qu'
Alexis Aubenque avait pour ambition de révolutionner la littérature, uniquement celui de nous faire passer un bon moment. Je me suis laissé faire, je n'en retiendrai pas forcément grand chose, mais parfois une lecture-détente est également appréciable et en ce sens en tout cas
Tout le monde te haïra est une réussite.