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AH ! LION... ENFANT DE LA PATRIE...!

Yacine est, dans le malheur de sa jeune existence, une jeune garçon plein d'avenir sur lequel de bonnes fées semblent s'être, malgré tout, penchées : Orphelin de père et de mère, dans un village reculé du Sénégal encore très méconnu des blancs en cette fin de siècle se prétendant "des Lumières", Yacine est un adolescent malin, intelligent, même. Et qui n'a rien à perdre. Passionné de mythologie et de mathématiques, il est envoyé par le bon père Jean, seul missionnaire des environs, vers le principal comptoir commerçant de cette jeune colonie : St Louis. Il est muni d'une lettre de recommandation qui devrait lui assurer son avenir, probablement en tant que diacre, avec de la chance comme prêtre, même si, en son jeune âge, il ne croit déjà plus ni à Dieu ni à Diable, mais est-ce si dérangeant lorsqu'il n'y a nulle autre véritable échappatoire possible à la misère de sa naissance et de sa race ?
Sur le chemin qui le mène à St Louis, le hasard va lui faire rencontrer un lionceau esseulé, visiblement lui aussi orphelin et qu'il décide de prendre en charge. Ce jeune mythologue amateur, dont le héros préféré est Ulysse, décide de nommer son protégé Kena ("personne", en wolof), en l'honneur du nom que le malin Roi d'Ithaque avait confié au cyclope Polyphème. Mais c'est l'homme qui prendra le jeune Yacine sous sa protection - le directeur de la Compagnie Royale du Sénégal, nommé Jean-Gabriel Pelletan de Camplong, un noble méridional déclassé pour cause de mauvaises affaires - qui donnera son nom définitif au noble animal : Personne !

Bien évidemment, Stéphane Audeguy ne cessera, par la suite, de jouer sur l'ambiguïté entre le substantif "Personne" et le pronom indéfini, le plus indéfini qui soit, pourrions-nous ajouter !

Voilà donc le lion quasi-adopté par ce nobliau atypique. Ce dernier est, en effet, un pur produit des lumières, fils spirituel du Jean-Jacques Rousseau des Confessions et des encyclopédistes. Mais la réalité que l'auteur donne de cette fin de siècle n'est pas vraiment celle de l'imagerie d'Épinal : notre homme est seul, bien seul, à défendre l'idée que l'esclavagisme est une monstruosité de l'homme contre lui-même. Seul encore à attacher de l'importance à une certaine rectitude morale dans son activité - le commerce - où il est de mise de faire feu de tout bois. Seul à véritablement songer que ce Lion mérite sincèrement d'être sauvé (en dehors de son petit protégé sénégalais). Seul à estimer qu'une meilleure et saine exploitation du Sénégal passe, entre autre, par la connaissance directe du pays, l'apprentissage du wolof, par le respect des peuples locaux. Seul, enfin, à aimer autrement qu'à de pures fins de libertinage, un autre homme ; en l'occurrence un superbe et indomptable ancien esclave - lui-même ancien esclavagiste -, venant d'une de ces petites tribus nomades du désert. Un tel homme ne peut s'attirer qu'inimitiés, crainte, désaveu, jalousies. Cela ne manquera pas d'arriver très vite, notre pauvre lion en étant d'ailleurs le principal déclencheur. Entre temps, comme pour rappeler que l'on meurt bien plus vite que l'on ne parvient à vivre en ces temps-là, le jeune Yacine, pourtant si prometteur, mourra brutalement de la vérole à laquelle il avait si miraculeusement échappé jusque-là.
Fin du Premier Acte.

Adoncques, notre Lion a perdu son premier maître, dont on apprend qu'en ne le voyant plus jamais venir lui faire moult tendresses, il en «gémissait, sans mots pour fixer la douleur. Petit à petit, il finit par oublier complètement Yacine ; mais ce fut le dernier à le faire». Fermez le ban...

La période qui suit sera probablement, malgré la disparition de son premier petit ami humain, la plus douce, la plus agréable de sa vie de lion domestiqué. En raison de la grande solitude de Pelletan, ce dernier l'emmène un peu partout, le considère comme un véritable animal de compagnie, aussi bien traité que s'il était humain. de plus, Personne s'est trouvé une étrange, une inséparable amitié en la présence d'un chiot bâtard très vite appelé Hercule. Enfin, Pelletan fera venir de France sa fille unique, alors âgée de sept ans, car il ne souhaite pas qu'elle subisse l'influence superficielle, vide, de sa mère et de sa belle famille. Personne et Marie - ainsi s'appelle-t-elle - s'adopteront l'un l'autre immédiatement. Malheureusement, les nuages grondent déjà sans que cette étrange famille en ait réellement pris la mesure. Un malheureux accident à l'encontre de l'enfant pourrit-gâté d'un noble en vue en sera le terrible déclencheur. Pelletan n'a d'autre solution que de confier son lion et son compagnon canin à la Ménagerie Royale de Versailles, le célèbre Georges-Louis Leclerc Buffon avec lequel il entretenait correspondance en étant l'un des promoteurs.
Bien qu'ayant pris toutes les dispositions possibles (et humainement acceptables par une bande de marins rustres et âpres au gain), le voyage vers la métropole sera un véritable calvaire, les deux animaux étant pour ainsi dire laissés à eux-même, et à fond de cale, se nourrissant des rats du navire, buvant une infecte eau croupie, faisant sous eux sans aucun entretien.
A l'arrivée au "Havre de Grâce" (ancien nom du Havre), ce sont deux animaux étiques, pouilleux, dévorés par les vers et la vermine, fatigués, sans force. Nous sommes à la fin du mois de mai 1788. Il fait un froid presque hivernal dans cette France des derniers moments de l'Ancien Régime. Un jeune homme détaché par le Jardin royal est là, terrifié à l'idée d'approcher de si près le "Roi des animaux", ne sachant d'ailleurs comment procéder. Il se nomme Jean Dubois. Premier être humain depuis des semaines à lui parler sans haine, avec douceur même, notre Lion va trouver en cet humain un allié, presque déjà un ami et le suivra sans faire de difficulté.
Fin du Second Acte.

Le troisième, l'ultime acte, est celui de la fin d'un régime, des troubles les plus annonciateurs - en grande partie provoqués, déclenchés par cette année affreuse, la pire de toute une série, que fut l'an de grâce 1788 : un hiver interminable, un été atroce, connaissant un orage démentiel et destructeur de récoltes - très bien documenté historiquement grâce à des mémoires de l'Académie des sciences - le 13 juillet 1788. Un an presque tout juste avant un orage d'une toute autre ampleur et d'un autre genre. C'est dans ce contexte que Dubois, le Lion Personne et le chien Hercule parviendront, à l'issue d'une dernière épique odyssée, à Versailles. Hélas, Dubois y découvrira une Ménagerie royale presque totalement en déshérence, son dernier directeur s'étant enfui, avec tout ce qui comptait encore de meubles, d'outils, etc, le jour même de l'arrivée des trois compères en ce lieu misérable. Dubois fera tout son possible pour sauver les meubles et leur rendre une existence digne à des animaux dont il se retrouve ainsi en charge. Il restera encore à cette malheureuse bête à déménager, une ultime fois, grâce à une autre célébrité, Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, auteur du fameux Paul et Virginie mais néanmoins naturaliste et dernier intendant des Jardins royaux. Personne et Hercule y achèveront leur existence, non sans une certaine célébrité populaire.

Si l'époque révolutionnaire est traitée sur un rythme trépident, et le plus souvent par le biais d'hyperboles, en quelques trente pages, à y bien y réfléchir, toute cette fable - bien peu animalière, en vérité. A moins de ne considérer l'homme que comme un animal pensant - tend vers ce moment si particulier de notre histoire. Que l'on contemple, sans regret mais avec un brin de nostalgie pour cette période inique, injuste, la fin de l'absolutisme royal, des pouvoirs exorbitants de l'aristocratie - l'église n'est guère le sujet de l'ouvrage mais bénéficie tout de même ici d'un traitement relativement bienveillant, à travers les trois modestes prêtres croisés - ; que l'on comprenne l'émergence d'une bourgeoisie d'affaire, généralement inculte mais dure en affaire et prête à tout pour s'enrichir ; que l'on entende les premiers fracas causés par cette population pauvre et en colère, à force de disette, de maltraitance, d'absence - ou du sentiment - de considération, l'histoire tout à la fois singulière et totalement secondaire de ce lion Personne permet à Stéphane Audeguy de décentrer totalement l'histoire de la révolution mais de la rendre, paradoxalement, plus vraie, plus juste, plus sensible.

Cependant, comme toutes les fables, celle-ci comporte plus d'une entrée. Comme celle de cette amitié indéfectible entre deux êtres si différents que sont un lion et un chien, et qui, par exemple, toucha sincèrement Bernardin de Saint-Pierre qui rédigea par exemple ceci dans l'un de ses mémoires (dont il est clair que Stéphane Audeguy s'est inspiré dans son livre) :

«Jamais je n'avais vu tant de générosité dans un lion, et tant d'amabilité dans un chien. Celui-ci sembla deviner que sa familiarité avec le roi des animaux était le principal objet de notre curiosité. Cherchant à nous complaire dans sa captivité, dès que nous lui eûmes adressé quelques paroles d'affection, il se jeta d'un air gai sur la crinière du lion, et lui mordit en jouant les oreilles. le lion, se prêtant à ses jeux, baissa la tête et fit entendre de sourds rugissements.»

Lui faisant même ajouter que cette amitié était «un des plus touchants spectacles que la nature puisse offrir aux spéculations d'un philosophe» ! Qui pose, entre autre, la question de la supposée sauvagerie de l'animal, face à l'urbanité des hommes. Mais à bien y regarder, au fil de ce périple qui nous mène de la savane africaine jusqu'à sa mort à Paris, on se demande, à quelques individualités près et pour le coup véritablement généreuses, qui de l'homme ou de la bête est le plus mauvais, le moins généreux, le plus "bêtement" méchant, le plus susceptible de faire du mal à l'autre, et pour comble de tout, souvent sans en retirer le moindre bénéfice personnel ou général, sinon par pure bêtise, ignorance, obscurantisme.

Il y a, bien entendu, les réflexions faites autour de cet homme singulier - et attachant, peut-être le plus attachant parce que le plus creusé, psychologiquement, du trio des humains-compagnons de Personne - qu'est Pelletan. Sur la liberté, sur l'utilisation immodérée d'autrui (l'esclavage) et de la nature (la mise en coupe réglée des ressources), sur la relation aux autres et à ces égaux devant la vie, dont nous sommes pourtant redevables, que sont les animaux (en raison de la toute-puissance que nous pouvons avoir sur eux), sur la sexualité et l'homosexualité, sur les conventions, la vie en société et tous ses faux semblants.

Il y a, pour poursuivre encore, ce lion et son épopée, très vite mise sous l'angle d'une autre entrée possible, celle des voyages d'Ulysse. Il y aurait beaucoup à en dire, peut-être retiendra-t-on que, comme le grec homérique, notre Personne subit bien plus qu'il ne les décide les diverses aventures et autres grands événements qu'il traverse au cours de ces dix surprenantes années d'existence. Mais c'est une errance sans Pénélope ni Télémaque qui l'attend. Une allégorie de la destinée humaine ?

Enfin, et pour boucler la boucle des hommes, il y a cette vision d'un monde qui change sans doute plus en apparence que dans le fond, un monde dans lequel les nobles sont remplacés par les riches bourgeois, un monde où les mauvais travers, les horreurs, perdurent, esclavagisme en tête, auquel d'ailleurs tout le monde semble participer et trouver son compte, noirs comme blancs, une société où tout le monde ment - c'est ce que nous dit le narrateur - noirs comme blancs.

Sous ses dehors de sympathique et allégorique joliesse, au style agréablement déployé - il serait très exagéré d'y retrouver parfaitement le "français grand style" des philosophes des Lumières, mais on sent la volonté de l'auteur de se situer sur une telle lignée -, au phrasé étale, n'hésitant pas à jouer des points-virgules ou des développement savamment tortueux, sous le conte historiquement véridique (et très sourcé à ce qu'il semble) se découvre ainsi une fable désenchantée, une parabole tout à la fois emprunte d'humanité mais pour autant sans grande illusion sur l'homme et sa destinée. L'ensemble donne un texte humblement philosophique - hommage aux célèbres contes de Voltaire ? - tout à la fois charmant et instructif dont on regrettera peut-être pourtant qu'il effleure plus qu'il ne creuse tous les thèmes qu'il aborde avec tant de finesse d'esprit, cédant un peu d'une densité manquante à une plus grande lisibilité. C'est un choix parfaitement respectable et dont on sort, admettons-le, fort satisfait.
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C'est l'histoire de l'arrivée du premier lion à la ménagerie du jardin des plantes de Paris pendant la révolution française. Récit riche en rebondissements. L'histoire commence sur les bords du fleuve Sénégal où un enfant trouve un lionceau abandonné qu'il va apprivoiser. Les personnages sont très bien décrits et l'on sent que l'auteur s'est longuement documenté sur les premiers établissements européens au Sénégal. Les péripéties du lion Personne s'apparentent parfois à un très joli conte en dépit d'une histoire pas toujours très heureuse pour le félin. Un livre qui se lit rapidement et nous plonge dans les derniers soubresauts de la royauté. Un livre qui intéressera petits et grands.
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Histoire du lion Personne est un conte animalier et une fable amère et triste sur l'exploitation de l'Homme par l'Homme, sur l'asservissement de l'animal par l'Homme qui "ne considérait les animaux que comme des êtres soumis à l'homme, à ses besoins, à ses fantaisies."

C'est aussi une histoire "sur les leçons qu'il conviendrait, en certains points, de recevoir des bêtes."

Et qui en conclusion nous rappelle ce que nous ne savons que trop "la bêtise humaine est d'une prodigieuse étendue; sa plasticité est inépuisable."

Une très belle histoire, mais profondément triste.
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Une jolie fable qui se passe dans les années 1700. On s'attache à ce lion au travers de son parcours qui débute au Sénégal pour se finir à Paris et surtout par sa belle amitié avec un chien. On suit ses rencontres, d'abord avec l'enfant qui l'a recueilli, puis des humains, certains bons, certains mauvais. Ecriture, histoire et construction à rugir de plaisir. Un roman qui change des clichés. Stéphane Audeguy, en donnant le rôle principal à un animal, m'a souvent fait penser aux chansons de Thomas Fersen dont je conseille l'écoute durant la lecture et surtout ‘Les malheurs du lion'.
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Quand j'étais étudiante, ma chambre donnait sur le jardin botanique  de Tours, la ville natale de Stéphane Audeguil , j'étais intriguée par un rugissement puissant provenant d'une serre : celui d'un lion écoulant ses vieux jours dans une cage après avoir passé ses années de jeunesse dans un cirque . Il me plait d'imaginer que ce fauve captif était peut-être l'un des descendants du lion Personne ... à condition que ce lion ramené à Versailles après moult péripéties ait eu l'opportunité de conter fleurette à Dame Lionne .

Ce court roman  a l'apparence d'un conte mais sous des contours merveilleux , celui de l'adoption d'un lion orphelin et de son arrivée en France à la veille de la Révolution ,  il aborde des sujets plus profonds car chaque individu croisant le chemin du fauve a un destin et une personnalité hors du commun .

Yacine, le jeune noir qui recueille le lionceau quitte son village pour aller étudier et offre l'animal au directeur royal de la Compagnie du Sénégal, Jean Gabriel Pelletan, un humaniste bien différent de la bonne société blanche et colonialiste de Saint Louis .

Personne est envoyé en France , accompagné de son fidèle compagnon , le chien Hercule sous l'escorte de Jean Dubois, un jeune naturaliste , élève de Buffon .

Logés d'abord à la ménagerie royale de Versailles, les amis subissent indirectement les affres de la révolution, et l'avenir du roi des animaux est peu brillant car il finit ses jours tristement enfermé au futur jardin des plantes comme mon vieux lion dans sa serre .

Stéphane Audeguil emploie une belle langue , à la limite parfois du précieux , jouant sur l'ambiguïté du nom de son lion : Personne et en peu de pages , il décrit un monde en mutation, que ce soit en Afrique d'abord puis en France .

Très bon moment de lecture .
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Livre lu dans le cadre du Prix du Meilleur Roman Points 2018

Basé sur des faits réels, apparemment, ce court récit retrace l'existence de Kena qui se traduit par Personne, Lion du Sénégal, trouvé par le jeune orphelin Yacine en 1786 dans la savane sénégalaise et qui terminera son existence à Paris.

Un profond attachement lie l'enfant et l'animal qui perd tout de ses caractéristiques sauvages se transformant en animal domestique.

Elevé et souvent aimé car docile par différents personnages au long de sa vie dont Jean-Gabriel Pelletan au Sénégal, Directeur de comptoirs commerciaux a la double vie et Jean Dubois, intendant de la Ménagerie Royale, passionné de Nature, l'animal se lie également à un chien, Hercule et ces deux animaux traversent les événements dont une révolution ensemble.

L'écriture est agréable voire même un peu dans le contexte de l'époque par moment, récit riche d'informations, instructif.

J'ai lu ce roman comme un documentaire, une page d'histoire animalière mais sans réel attachement. Une narration en trois parties : Afrique, voyage et arrivée en France, Versailles et Jardin Royal, faites de courts chapitres. L'auteur retrace non seulement le parcours de ce félin, son destin quelque peu étrange et inhabituel, sur deux continents dans une époque troublée, loin de son milieu sauvage nature mais aussi les destinées et contextes de différents protagonistes : Yacine, Pelletan et Dubois entre autres qui protégèrent et aimèrent ce lion qui ne connut que l'homme dont il dépendra totalement.

Comment le destin de ce roi des animaux se transformera en animal de compagnie, docile, aimant, voyageant d'un continent à l'autre, survivant aux pires conditions, humilié, oublié.

Description d'une époque, également, les comptoirs commerciaux en Afrique, l'esclavage, Versailles, la révolution française mais aussi histoires de moeurs et d'attachement de l'homme à l'animal, d'instinct mais aussi histoire d'amour d'un homme pour un autre homme.

Mais il m'a manqué un je-ne-sais quoi pour ressentir de l'émotion, il aurait fallu peut être un peu plus de vie (le récit est uniquement dans la narration), un peu moins de distance. Une prise de conscience peut être pour certain(e)s que l'homme peut être sauveur et destructeur pour la faune mais aussi pour lui-même..... Un fond de philosophie, de dépaysement, un beau voyage mais sans réelle émotion.

Il pensait que les Noirs mentaient tout autant que les Blancs, que ce monde entier mentait ; et que malheureusement il n'en était pas d'autre. (p166)
Lien : http://mumudanslebocage.word..
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« Histoire du lion Personne » raconte l'histoire… d'un lion ! Mais pas n'importe lequel ! Un lion « historique » ! Kena, nom de baptême rapidement francisé en « Personne », en hommage au Ulysse d'Homère, naît au Sénégal, où les hasards de la vie font que le jeune Yacine, féru de mathématiques et assoiffé d'ambition, emporte ce lionceau orphelin loin de sa savane.
Personne devient un commensal des hommes et s'attache l'amitié de Pelletan, le directeur Royal de la Compagnie du Sénégal chargée de renflouer les caisses de la France avec le commerce de la gomme arabique, de l'ivoire et de l'or. Pelletan est un humaniste qui rêve de mettre fin à l'esclavagisme. Personne devient pour lui un symbole, une sorte de lion apprivoisé et docile qui vit en liberté parmi les autres animaux domestiques et dont s'émeut la bonne société colonialiste de Saint-Louis ainsi que le personnel de cette dernière qui vit dans l'attente effrayée du réveil de la bête.

Puis notre gentil fauve s'embarque, après moult péripéties, pour la France. Il débarque au Havre en mai 1788, flanqué du chien Hercule, à qui une amitié fidèle le relie, traverse à pieds le pays, escorté de Jean Dubois un jeune naturaliste, ancien factotum de Buffon. le jeune scientifique et ses amis à quatre pattes prennent pension à la Ménagerie royale de Versailles et assistent à la lente décomposition de la Monarchie, à la Révolution et à l'avènement d'un nouvel ordre. Avec les autres animaux de Versailles, ils migreront dans la toute nouvelle Ménagerie du Jardin des plantes à Paris où ils finiront tristement leurs jours. D'abord honnis par la populace pour qui ce lion représente les privilèges et les caprices royaux, ils deviendront peu à peu une attraction courue ; on s'extasiera devant la douceur du fauve envers son copain canin…
Cette troisième partie du livre m'a semblé la plus chargée de sens : si les humains ont bien du mal à vivre entre eux selon la devise « Liberté, Egalité, Fraternité », Personne et son ami Hercule ont depuis longtemps trouvé la formule des deux dernières assertions. Pour la liberté, on repassera : le récit semble insinuer que l'être humain retombe toujours dans ses travers : Royalistes ou Révolutionnaires sont pétris d'idées préconçues et, pour eux, un lion, quel qu'il soit, ne changera jamais et mérite l'enfermement.
Mais cette ultime partie ne prend du poids qu'au regard des précédentes.

A travers le destin d'un lion, Stéphane Audeguy dresse le portrait d'hommes confrontés à leurs rêves, à leurs instincts et à leurs limites. D'hommes enchaînés à leur propre histoire et à la grande histoire.
Le lion est ici un fil directeur, chacune des grandes parties relatant les ambitions inachevées de trois personnalités : le jeune Yacine, Pelletan et Dubois et des prisons sociales de leur époque.
C'est une idée originale et déstabilisante que l'auteur a eu de faire mourir ainsi ses protagonistes humains au fil des chapitres. Personne assiste impuissant à la disparition de ses protecteurs sans jamais prendre la parole.

C'est donc un récit étrange, un peu haché, mais non dénué d'intérêt. L'histoire du lion Personne nous est bel et bien raconté mais le texte recrée surtout un temps.
La description du Sénégal du dix-huitième siècle m'a envoûté. Cette vision de l'Afrique rêvée, encore à moitié-« civilisée » ainsi que l'écriture m'ont régalé et m'ont permis de pénétrer ce livre peu commun. Puis la description de Versailles et de la Ménagerie du Jardin des plantes m'ont aussi beaucoup captivé. J'ai apprécié d'entrer ainsi dans l'histoire de France par la petite porte.

Je dirais aussi que c'est avant tout le livre d'un amoureux de la langue.
Stéphane Audeguy s'est lancé un défi : raconter l'histoire d'un lion sans le faire parler puisque, nous explique-t-il sur la quatrième de couverture, « il y a une indignité à parler à la place de quiconque, surtout s'il s'agit d'un animal ». Je ne partage pas cet avis car, selon moi, c'est l'une des ressources du créateur de puiser dans son imagination et dans un fond commun pour se mettre à la place de l'autre.
Mais l'auteur réussit son exercice de style et c'est son art qui nous entraîne plus que le récit finalement ténu. Il me semble que les mots l'amusent toujours quand le récit sert parfois de prétexte à des descriptions somptueuses. Une belle langue frôlant en de rares passages la préciosité mais qui est appréciable. Une mention spéciale aussi pour l'utilisation exacerbée du point-virgule ! Un autre exercice de style que l'auteur s'est imposé ou une marque de fabrique ? Je relirai sa « Théorie des nuages » avec joie pour me faire un avis…
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Stéphane Audeguy s'est dit : on ne peut raconter l'histoire d'un lion. Il nous est en effet impossible d'adopter le point de vue d'un animal. Il s'est dit aussi : que signifie être un lion contemporain de la Révolution française ? Un animal vit en dehors de l'Histoire.
Face à cette double impossibilité, il a eu envie d'essayer…
Raconter l'histoire du lion Personne, c'est évoquer l'Histoire de France de 1786 à 1796, période somme toute plutôt mouvementée, à travers le destin d'un animal né dans la savane sénégalaise et recueilli par un jeune garçon orphelin qui, parce qu'il est particulièrement doué pour les mathématiques, sera envoyé par le père Jean à Saint-Louis, première ville fondée par les Européens en Afrique occidentale, pour suivre l'enseignement réservé aux Blancs.
On fait alors la connaissance d'un homme fascinant : Jean-Gabriel Pelletan, philosophe éclairé amateur des Confessions et de l'Encyclopédie, directeur de la Compagnie Royale du Sénégal, farouchement opposé à l'esclavage, fervent défenseur de l'émancipation des fermiers noirs et très attiré par la peau sombre et douce des hommes du pays…
C'est lui qui accueillera Yacine et son lionceau Personne… Et, tandis que l'on s'était attaché au personnage du petit Yacine et que l'on avait momentanément oublié un titre qui place bien au centre de l'histoire le lion Personne, on est surpris, au détour d'une page, par la mort brutale du jeune garçon en décembre 1787 d'une épidémie de variole.
Ce n'est pas lui le personnage principal, c'est un lion, qui est désormais seul.
Jean-Gabriel Pelletan sentant l'hostilité de la population vis-à-vis de cet animal totalement inoffensif (si, si !) décide, après avoir tenté de le relâcher avec son compagnon canin dans une savane où il n'a jamais vécu, de l'envoyer à un certain Buffon, directeur du Jardin royal et plus ou moins responsable aussi de la Ménagerie royale de Versailles.
Hélas, il ne fait pas bon être un lion, surtout à Versailles dans ces années 1788,1789…
L'Histoire du lion Personne , de façon très originale, nous fait découvrir l'Histoire de France à travers ce couple étrange d'un lion et d'un chien qui « n'appartiennent plus à aucune société » : la nature les rejette, les hommes en ont peur. En cela, ce roman apparaît comme un conte magnifique que l'on dévore (sans mauvais jeu de mots) en se demandant sans cesse ce qui va advenir de ces deux êtres solitaires dans une France en pleine mutation. La dimension historique de l'ouvrage est évidemment passionnante : comment sont perçus, à ce moment de l'Histoire, des animaux en cage ? Un divertissement pour les riches, une dépense inutile dans une France qui a faim, une nourriture disponible et dont il serait dommage de se priver. En même temps, la symbolique d'un lion-roi sous les verrous n'est pas inintéressante… C'est avec beaucoup d'humour que l'auteur présente cette nouvelle vision des choses à l'aube du XIXe siècle…
Ce roman nous permet aussi de rencontrer des personnages extraordinaires : Jean-Gabriel Pelletan, humaniste sensible et généreux et Jean Dubois, naturaliste amateur et homme fasciné par Le Progrès, chargé, au nom des autorités de la Ménagerie de Versailles, d'accueillir les deux bêtes à leur arrivée en France et qui saura, à force de ruse et d'intelligence, les défendre contre une population affamée et ivre de liberté. Certains de ses discours pour défendre ses deux amis sont d'une habileté étonnante et l'on goûte l'humour des propos. Des portraits d'hommes tout simplement inoubliables.
Et puis, on traverse toute une époque : il est question de l'Encyclopédie, de Bernardin de Saint Pierre, de Geoffroy de Saint-Hilaire et des Parisiens… La Grande Histoire vue de la petite…
Enfin, et surtout, on se laisse porter par une écriture vraiment magnifique, rare à notre époque, à la fois poétique, sensible, puissante, pleine d'humour et de sous-entendus. J'avais parfois l'impression de lire un texte ancien, quelques pages du dix-huitième siècle…
Un gros coup de coeur pour ce texte vraiment superbe que je conserve à portée de main pour le relire rapidement…

Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Comme nombre de belles histoires, celle-ci se construit sur une successions de hasards, de rencontres fortuites et de circonstances historiques aussi imprévisibles que marquantes. Dans un petit village du Sénégal, le jeune Yacine, âgé de treize ans, est un élève assidu du Père Jean. Pas parce qu'il partage les convictions religieuses de ce colonisateur, mais «pour avoir accès au savoir des Blancs». Lui qui aspire à la liberté sans vraiment savoir en quoi cela peut consister croit pouvoir saisir sa chance quand son précepteur décide de l'envoyer à Saint-Louis pour poursuivre ses études. Muni d'une lettre de recommandation, il s'en va le long du fleuve jusqu'à la demeure de l'administrateur général de la Compagnie du Sénégal.
Quand il croise un lionceau, il croit sa dernière heure venue, car il sait que sa mère doit rôder dans les parages et qu'il n'a aucune chance face à l'animal. Sauf que l'attaque redoutée n'a pas lieu. le lionceau affamé demande assistance et Yacine lui donne le lait qui devait le nourrir.
« Il était furieux de constater que sur le chemin de sa liberté il n'avait rien trouvé de mieux à faire que de s'encombrer d'un pareil fardeau. Mais il était aussi étrangement, profondément ému par ce nourrisson. »
Aussi, après avoir traversé le fleuve, c'est avec son nouveau compagnon qu'il se présente chez Jean-Gabriel Pelletan de Camplong, «petit homme gai au regard bon, au corps sec, et d'une laideur frappante» qui était épris d'un homme singulier, à la peau d'un noir profond, presque violet, qui se prénommait Adal.

Intrigué mais aussi séduit par l'esprit de Yacine, le directeur de la compagnie accueille le jeune homme et le lionceau sous son toit. Il va toutefois s'arroger le droit de franciser le nom du lion baptisé Kena par Yacine, qui signifie «personne» en wolof, la langue de sa tribu.
Les deux hôtes vont grandir et apprendre auprès de l'intendant qui entend faire fortune dans le commerce du Morfil (qui désigne l'ivoire brut) et de la gomme arabique. Une époque heureuse qui prendra brutalement fin en 1787. Suite à une épidémie de variole, Yacine meurt et Personne se retrouve à nouveau seul au monde.
La dépression de l'animal va prendre fin avec l'arrivée de Marie, la fille de Jean-Gabriel qui était restée à Marseille avec son épouse. À sept ans, cette dernière «sentait le frais, la guimauve et l'enfance : les narines de Personne frémissaient à son approche.» de quoi rendre jaloux le chien Hercule, son inséparable compagnon de jeu.
Si Marie ne voit aucun danger dans sa relation avec le fauve, autour d'eux les –mauvaises – langues vont se délier et contraindre le maître de céans à organiser une expédition pour ramener le roi des animaux dans sa savane. À peine libéré Personne ne songe qu'à retourner chez lui. Avec l'aide d'Hercule et après quelques péripéties, notamment le rencontre avec un couple de ses semblables, il parviendra à regagner Saint-Louis. Où une autre solution est envisagée : offrir le lion à la Ménagerie royale de Versailles.
Après un voyage dans les pires conditions, ils arrivent en mai 1788 en Normandie. « Pour Hercule et pour Personne le choc fut terrible. Ils toussèrent et crachèrent tout ce froid humide et intense qui leur piquait la truffe et leur raclait l'intérieur des poumons. »
Jean Dubois, l'envoyé de Buffon, va se charge de conduire «un lion famélique et un chien pelé» du Havre jusqu'à Versailles, dans une France qui crie famine et se soucie comme d'une guigne de zoologie. Il faut ruser pour ne pas subir la vindicte populaire et finalement constater qu'à Versailles les choses ne vont guère mieux :
« Il n'y avait pas plus de cinquante bêtes dans ce qui avait été la ménagerie la plus admirée, la plus visitée, la plus visitée d'Europe. »
Personne, le soi-disant roi des animaux, doit faire profil bas quand le peuple fait la Révolution. Supposé être le symbole de l'Ancien Régime, sera-t-il sacrifié sur le trône du souverain déchu ?
On l'aura compris, Stéphane Audeguy a trouvé derrière le destin du lion Personne une manière de nous raconter une page mouvementée de l'histoire du monde. L'argument fait mouche grâce au grand talent de conteur de l'auteur. A l'instar de la Fontaine, qui concluera cette chronique, sa fable est non seulement distrayante, mais riche d'enseignements.
Le Lion, terreur des forêts,
Chargé d'ans et pleurant son antique prouesse,
Fut enfin attaqué par ses propres sujets,
Devenus forts par sa faiblesse.

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Stéphane Audeguy profite de son désir de nous raconter l'histoire du lion Personne, lion de la Ménagerie Royale puis du jardin zoologique venant du Sénégal, qui a vécu en gros de 1786 à 1796, pour dresser le portrait d'une époque.

Il s'intéresse en particulier aux sciences naturelles (il cite des grands noms et évoquent leurs points de vue et méthodes de travail par endroits) et au progrès technique, mais également aux domaines social et politique. En effet, Jean-Gabriel Pelletan, directeur de la compagnie royale du Sénégal, s'oppose à l'esclavage, dans un pays qui en vit grandement ; avec lui et Yacine, jeune maître du lion, on a un aperçu de la société coloniale, dans la brousse et en ville. Et, le lion arrivé en France, on ne peut passer à côté des révoltes populaires à partir de 1789.

En effet, le lion Personne est le fil conducteur du récit : de son adoption par Yacine alors qu'il est tout jeune à son arrivée à Saint-Louis du Sénégal jusqu'à son arrivée en France, au port du Havre, puis l'installation à la Ménagerie de Versailles et sa mort au jardin zoologique.
Régulièrement, l'auteur évoque la vie propre de cet animal, adoptant parfois son point de vue, occasion de réfléchir à la nature animale et à l'apprivoisement par l'homme, et de montrer le naturel des hommes qu'il rencontre, de la bonté à la maltraitance, du respect à la haine.
Le parallèle et la comparaison sont régulièrement faits entre le traitement du lion et celui des esclaves ou serviteurs qui s'occupent de lui, ou du peuple qui est moins bien nourri que lui d'une part et qui symbolise à divers titres la royauté honnie d'autre part.

Un voyage agréable même si ponctué de quelques scènes douloureuses et faisant état d'une réalité qui ne l'est pas moins, qui m'a fait découvrir plein de choses, et le tout dans une langue qui fleure bon le XVIIIème siècle (son côté alambiqué qui peut déstabiliser étant contre-balancé par les chapitres courts).
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