La mode était, en ce temps-là, de se montrer chaque jour
de quatre à sept heures au bois de Boulogne. Une longue file
d’équipages attelés de magnifiques chevaux suivait lentement
l’allée des Acacias jusqu’à la Cascade, croisant ceux qui en revenaient, promenant tout le luxe de Paris. On appelait cela « faire
son persil ».
J’ai gardé, du temps passé dans cet établissement, un souvenir mélancolique et doux. Ses bâtiments et l’ordonnance de ses jardins, les grandes portes qui séparent les uns des autres me semblaient confusément évocateurs d’un grand siècle.
Il s’en dégage une majesté grandiose comme tout le style du grand roi Louis le quatorzième. J’y fus heureuse et choyée de tous. Les surveillantes me considéraient comme l’enfant de la Maison où règne un charme vieillot qui plaisait à mon âme rêveuse.
Dans ses moments d’accalmie, aux heures de repas, elle s’efforçait de me faire comprendre que c’était à moi que , désormais, incombait la tâche de rétablir notre situation, que la vertu ici-bas n’a aucune chance de réussir, qu’il existait deux sexes différents, que des messieurs âgés couvraient d’or les jeunes femmes, pourvu qu’elles se laissent embrasser..
Au tournant de la vie, il paraît doux de se sentir encore aimée et désirée. Bien tentant aussi de s’abandonner à une protection.
On alléguerait que j’étais punie et privée de sortie.
Je fus bien heureuse de cette décision qui me protégeait contre mon bourreau.
Matthieu Mégevand
Lautrec
Lecture par l'auteur – Mise en musique par Emilie Zoé
Lautrec, c'est la légende de Montmartre, le peintre du Moulin-Rouge, du Mirliton, celui qui immortalise Bruant, la Goulue, Jane Avril. Mais c'est aussi un petit homme foutraque, issu d'une famille de la haute noblesse de province, atteint d'une maladie génétique qui fragilise ses os et interrompt sa croissance. Fasciné par les cabarets, les bals, les bistrots, les théâtres et les prostituées, il peindra des hommes et des femmes toute sa vie, négligeant le paysage et la nature morte. Alcoolique, rongé par la syphilis, il meurt à trente-six ans en laissant une oeuvre foisonnante et inclassable.
En mettant en scène l'obsession de Henri de Toulouse-Lautrec pour la peinture, celle qui montre les êtres humains dans ce qu'ils ont de plus brut et de plus vivant, Matthieu Mégevand s'éloigne des représentations habituelles pour dresser le portrait de l'artiste en voyant et de l'homme en possédé.
Avec le soutien de la Fondation Pro Helvetia
À lire – Matthieu Mégevand, Lautrec, Flammarion, 2019.
À écouter – Emilie Zoé, « The very start », Hummus Record 2018, récompensé par un Swiss Music Award.
Le mercredi 4 décembre 2019 - 20h
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