Chaque livre que je lis m'apporte quelque chose. Avec
le Ventre des Hommes, j'ai découvert une nouvelle auteure et un pan de notre histoire que j'ignorais. Alors, je remercie
Samira El Ayachi d'une part pour cette fenêtre ouverte, Babelio et les Editions de l'Aube d'autre part pour avoir sollicité mon avis sur ce roman qui paraîtra en Septembre 2021.
Mes antécédents sur le sujet de la mine de charbon sont Germinal d'
Emile Zola (j'ai dévoré presque tous les Rougon-Macquart à l'adolescence) et , plus récemment ,en audio-livre,
le Jour d'Avant de
Sorj Chalandon (double découverte). Dans ce dernier comme dans le roman de
Samira El Ayachi, j'ai beaucoup appris sur les manquements de l'industrie minière quant à la sécurité et l'exploitation des mineurs de quelque nationalité qu'ils aient pu être. En effet, cette industrie étant en déclin dans les années 70, il n'était plus question d'y investir, même si cela devait conduire à des morts.
L'héroïne et narratrice, Hannah, une enfant marocaine, vit dans le Nord de la France parce que son père a fait le choix de s'expatrier pour survivre. Nous, les lecteurs, apprenons alors que la France est allée chercher des hommes au Maroc parce qu'elle avait besoin de mineurs, plus personne ne voulant faire ce travail de plus en plus dangereux. Hannah, elle, découvre qui était vraiment son père, le rôle qu'il a joué en tant que porte-parole des mineurs marocains, sa rébellion contre son propre père et sa condition d'origine, leur terre ne suffisant plus à les nourrir.
Un exil plein d'un espoir qui va être déçu par la réalité de la vie à la mine, en laissant sa famille derrière soi dans un premier temps. Non seulement travailler sous terre est difficile et dangereux, mais de surcroît, les mineurs marocains n'ont pas les mêmes droits que leurs homologues français ou d'autres nationalités.
C'est ce qui va conduire le père d'Hannah à lutter pour obtenir ces droits, malgré sa faible maîtrise de la langue française. L'industrie minière ne voulait pas que les Marocains s'intègrent (on envisageait déjà leur futur retour au pays, des mineurs Kleenex en quelque sorte), qu'ils apprennent le français, qu'ils fassent venir leurs familles. On ne voulait que des bras, des illettrés, car le charbon se raréfiait mais la France devait continuer à en extraire pour poursuivre la relance de l'économie d'après-guerre.
Comme Germinal, ce roman est un plaidoyer en faveur des mineurs, mais marocains seulement. le père d'Hannah est l'Etienne Lantier du Ventre des Hommes, sauf que leurs méthodes de lutte ne sont pas identiques. Dans Germinal, c'est le recours à la grève, dans ce roman, c'est la lutte sur le plan juridique et le recours à Bruxelles ; on a changé d'époque.
L'autre thème abordé, c'est ce que cette vie, cette lutte a transmis aux enfants des mineurs. On va retrouver chez Hannah, devenue professeure des écoles, le refus d'accepter des règles qu'elle trouve nuisibles et la font souffrir. La transgression propre à l'enfance semble perdurer chez elle.
Pour terminer, que dire du titre du roman ? Il interpelle car le mot « ventre » est plus volontiers associé aux femmes ou à la Terre, la terre nourricière, la terre-mère comme l'on dit dans certaines langues. Pas aux hommes, dont on mentionne plus volontiers les tripes, avec un sens différent. Si vous voulez descendre avec le père d'Hannah dans les entrailles de la mine, vous découvrirez un monde sombre dans tous les sens du terme, la peur au ventre, qui vous éclairera sur le choix de ce terme.
Pour Hannah aussi, le ventre est important, vital, parce que c'est là que se situent la force, la peur, le courage. Il est aussi important voire plus que le coeur ou la tête.
Pour nous parler de ce monde souterrain,
Samira El Ayachi utilise une langue plutôt poétique qui contraste avec la noirceur de la mine, des terrils, et ce faisant, les transforme en quelque chose de beau. Elle écrit page 190 : « Chaque fois que tu pleures, garde tes larmes et viens les verser au pied de la montagne et ça donnera des fleurs. »
Certains passages sont très émouvants. En tant qu'ex-enseignante, j'ai été touchée par ses mots sur les enseignants qui lui ont fait découvrir la langue et les livres. Quel cadeau pour l'enfant qu'elle était et l'adulte en devenir, quel cadeau pour moi que cette reconnaissance qui nous est souvent refusée aujourd'hui.
Je suis contente d'avoir fait connaissance avec l'oeuvre de
Samira El Ayachi et la remercie de m'avoir donné l'envie de ressortir Germinal de ma bibliothèque , de retrouver le bonheur de la redécouverte d'un livre lu il y a bien longtemps. Merci à elle d'avoir été le « professeur » qui a su susciter cette envie.