Les plus belles femmes le pressent de confidences. Parfois crues, comme celle qui lui dit que les séparations sont bien moins majestueuses dans la vie que dans sa pièce, qu'elles n'ont pas cette harmonie grave, qu'elles sont stridentes, crèvent les tympans, une personne quittée est une carcasse qu'on désosse et qui couine de toutes parts, dont on déchire les plus tendres cartilages, sans ordre, ni méthode. N'est-ce pas plutôt un cœur qu'on nous arrache ? suggère-t-il. Non...Non...ce sont les os, répond-elle.
Quoi, qu'est-ce qui est arrivé? lui demande-t-on. Que Titus n'a jamais aimé Bérénice ou qu'il l'a aimée, que vouloir comprendre ce qu'on appelle l'amour, c'est vouloir attraper le vent. Au jeu de la marguerite, on pourrait arracher n'importe lequel des pétales, à la folie, passionnément, pas du tout. Te voilà bien avancée...
On dit qu'il faut un an pour se remettre d'un chagrin d'amour. On dit aussi des tas d'autres choses dont la banalité finit par émousser la vérité.
C'est ce qu'il aime dans la langue française et que les autres n'ont pas, ce lit de voyelles rocailleuses que les hiatus révèlent dans les vers comme l'été dans le fond des rivières. ... Il aime cette espèce de froideur qui la glace et la fait entrer dans une mer gelée sans trembler. Il comprend en la regardant que s'il compose des vers c'est certes pour être le plus grand poète de France, mais aussi pour capter cela, le son d'une conscience qui s'exprime à haute voix. Pleine, libre, parfois glaçante.
Chaque être est une foule
Grâce à Racine, elle en arrive à se passer de confidents. De toute façon, y a-t-il vraiment quelqu'un pour recueillir ce filet d'eau tiède qu'est le chagrin quotidien.
Elle trouve toujours un vers qui épouse le contour de ses humeurs, la colère, la déréliction, la catatonie... Racine, c'est le supermarché du chagrin d'amour ...
Telle une cire fondue, le cœur de Jean coule entre ses côtes.
Contente-toi de donner à la vertu de mon Andromaque quelques nuances de gris, ce sera déjà bien ! C'est une manipulatrice et une tueuse d'enfants. Au milieu de ses pleurs, je veux qu'on entende des coups de couteau.
A la nuit tombée, il part se promener. Il s'enthousiasme devant les oliviers, cueille des olives, les goûte. Les arbres qu'il aimait autrefois ne donnaient pas de fruits. C'est une manne amère en bouche. Il décrit le vert argenté, le ciselage délicat des feuilles, l'émotion que lui cause de vivre parmi les mêmes arbres que Virgile ou Sophocle. "Vous auriez pu dire notre Seigneur Jésus", lui rétorque sa tante. Jean n'y a même pas pensé.