Le tremble tient son nom de ses feuilles qui tremblent au moindre souffle de vent.
Et c'est tout ? s'étonne Jean.
Oui, l'arbre est moins remarquable que le nom qu'il porte.
Tant mieux, pensa Jean, rassuré à l'idée que les noms puissent être plus grands que les choses.
Va pour Œdipe. Il rédige d’abord chaque scène en prose, pèse, soupèse les équilibre, les distances, explore le champ de l’action dramatique en physicien, arbitre les forces. Il laisse reposer quelques heures, part se promener, revient, resserre ici et là. Il trouve l’opération difficile, plus corsée que tout ce qu’il a jamais composé, et rêve du moment où il n’aura plus qu’à mettre en vers et à retrouver le confort de l’habitude.
Sa douleur trouve des biais, des ruses, le persuade qu’il a rêvé, qu’il va bientôt la retrouver ou, pire, que de toute façon il n’a vraiment connu avec elle que quelques semaines de bonheur contre de très longs mois de malheur. Certains matins, il n’a plus de visage, mais une plaie qui saigne et pleure jusqu’au soir. Quand il a réussi à dormir, il ouvre les yeux comme on vomit, repris par le dégoût des jours sans elle. (p. 174)
A la folie d’aimer s’ajoute le plaisir d’amenuiser. Sans doute a-t-il encore besoin d’adosser sa souffrance à un mur de colère et de reproches, de la revoir comme elle était, infidèle, menteuse, pour réduire l’absence, le manque. Mille fois, il a eu envie de la tuer. Lui, l’ancien enfant du vallon, féru de grec et de latin, à genoux dans la terre pour observer les prémices de la vie (...) il aurait pu étrangler cette femme volage qui ne lui rendait pas tout ce dont il provisionnait leur amour. Il n’est aucun homme qui ne soit un monstre, se répète Jean chaque fois qu’il se couche. Ce n’est pas la foi qui le lui a appris mais le théâtre à coup sûr, les longs méandres qu’il trace autour de ses personnages, leurs volte-face, leurs ruses, leur délits. Les fictions ne sont pas des égarements car nous sommes constitués de langage et d’action et nous avons besoin des deux, n’en déplaise à Port-Royal. Pourquoi les hommes auraient-ils sinon depuis l’origine composé des histoires ?
J'ai pu te conserver, je te pourrai donc perdre.
On a besoin de l'antithèse parce qu'on a besoin de la symétrie, mais moi, je rêve d'une antithèse cruciale, qui dirait le coeur des hommes, pas seulement le choix qu'ils doivent faire à un moment donné, mais la croix qui les traverse, le conflit, leur nature profonde.
On ne meurt pas d'amour. Ce qui arrive le plus souvent, c'est ce désert dans lequel on entre pour un moment, l'hébétude de l'abandon.
On dit qu'il faut un an pour se remettre d'un chagrin d'amour. On dit aussi des tas d'autres choses dont la banalité finit par émousser la vérité.
Il faut du temps pour mesurer l'espace qui va vous séparer de quelqu'un. On est si proche et le lendemain si loin, l'esprit ne suis pas, il doit accommoder.
On ne meurt pas d'amour. Ce qui arrive le plus souvent, c'est ce désert dans lequel on entre pour un moment, l'hébétude de l'abandon.