Trois jeunes hommes errent dans une New York post-apocalyptique. Chaque jour, ils recherchent un abri, de la nourriture, une certaine sécurité aussi, car des insectoïdes ont envahi la terre. Ces insectes géants, d'origine extra terrestre, agissent pour leur survie collective, qui passe par celle de leur reine, laquelle se déplace de planète en planète et est extrêmement vorace. Entre les trois comparses, c'est une union forcée par les événements, car l'entente n'est pas forcément de mise et d'importantes divergences de points de vue sont visibles dès le début. S'ils semblent être les seuls survivants, ils vont tout de même croiser deux personnages qui vont tous deux avoir une importance capitale pour le récit : un jeune homme dont le corps servira de réceptacle à des insectes parasites en quête de liberté individuelle et une jeune femme qui connaît très, voire trop bien, les intentions de la reine.
Ambiance post-apocalyptique oblige, la galerie des personnages n'est pas extrêmement étoffée. Soham, qui endosse dans l'album la faute originelle - le meurtre d'un autre homme - cherche une destinée : il ne trouvera que la mort :
la belle mort, celle que l'on choisit. Jeremiah, lui, cherche amour et humanité dans un monde qui n'en contient apparemment plus (le meurtre originel le prouve) : il trouvera la trahison. Enfin, Wayne, le plus âgé, ancien ouvrier peu intéressé par sa paternité dans la vie d'avant, cherche des responsabilités (celle de la survie de Soham et Jeremiah) : il trouvera la folie. La jeune femme, Robin, cherche son propre intérêt, et y réussit : mais cette victoire est personnelle, individualiste, et elle fait de nombreux dégâts.
L'album se signale par une grande qualité graphique.
Mathieu Bablet imagine un environnement très urbain, fait d'immeubles et de tours, de petits appartements, des souvenirs matériels du temps de l'humanité. L'environnement est très minéral et très marqué par la présence de l'homme, qui, paradoxalement, est franchement absent.
Mathieu Bablet se distingue, graphiquement, tant par une grande précision du trait sur les décors urbains et sur les insectes, que par son traitement de personnages aux traits angulaires, qui fait ressentir une certaine influence du manga. le rendu visuel de l'apocalypse est très réussi, notamment parce que l'album est relativement sombre et baigne dans une lumière tamisée.
Malgré ses qualités - graphiques en premier lieu -,
La belle mort souffre de défauts narratifs qui le mettent en-dessous d'autres oeuvres, notamment
Shangri-La du même auteur. Les relations entre les personnages apparaissent quelque peu abruptes (entre Soham et Robin, entre Jeremiah et Wayne), et les changements de direction des uns ou des autres manquent parfois de naturel. Aussi, l'auteur semble hésiter à expliquer le monde qu'il dessine, et, malgré des flash-backs très intéressants, le lecteur trouve parfois des moments de flottement narratif qui n'éclairent pas totalement les intentions de chacun (ce qui n'est pas un défaut en soi) et cassent le rythme du récit.
Si l'album est avant tout un voyage visuel dans un monde - le nôtre, humain - en décomposition, il recèle toutefois quelques pistes de réflexion intéressantes. Ainsi, l'auteur interroge la notion d'apocalypse : à première vue, l'apocalypse a déjà eu lieu : des milliards d'humains sont morts, la civilisation telle que nous la connaissons n'existe plus. Pourtant, il semble bien que le départ futur de la reine insectoïde provoquera une nouvelle catastrophe sur terre : une apocalypse peut en cacher une autre. Par ailleurs, cette apocalypse ne l'est que pour notre civilisation et pour nous, humains. D'autres espèces animales ont survécu. En réalité, ce qui finit, c'est l'ethnocentrisme. Et, dans ce monde en mutation, Robin apparaît comme une nouvelle Eve, jaillissant d'un Eden urbain et ruiné.
La fin de la civilisation humaine est clairement symbolisé par la ruine de la ville. On pourrait s'étonner, d'ailleurs, que Wayne, Jeremiah et Soham n'aient pas fui ce lieu : au contraire, ils y sont restés, comptant sur le surplus de la production alimentaire industrielle pour survivre. Ils sont dans la ville comme dans une prison dorée. La date de péremption des aliments est devenue celle de leur mort, inéluctable.
Dans ce monde fini pour les hommes, il est l'heure de faire le bilan de l'humanité. Qu'est-ce qui la fonde ? Qu'est-ce qui la distingue ? Est-ce cette propension monstrueuse à massacrer son environnement ? Sont-ce les obligations morales, dont même Wayne, Soham ou Jeremiah ne se départissent pas, alors même que l'humanité n'est plus ? Est-ce cet individualisme forcené, auquel la force collective insectoïde semble avoir mis un terme ? Au moins peut-on se rassurer : cet individualisme ne disparaîtra pas avec l'humanité : Robin et certains insectes parasites le prouvent ...