LA SOURCE
À Ingres
Jeune, oh ! si jeune avec sa blancheur enfantine,
Debout contre le roc, la Naïade argentine
Rit. Elle est nue. Encore au bleu matin des jours,
La céleste ignorance éclaire les contours
De son corps où circule un sang fait d'ambroisie.
Svelte et suave, tel près d'un fleuve d'Asie
Naît un lys ; le désert voit tout ce corps lacté,
Sans tache et déjà fier de sa virginité,
Car sur le sein de neige à peine éclos se pose
Le reflet indécis de l'églantine rose.
Ô corps de vierge enfant ! temple idéal, dont rien
Ne trouble en ses accords le rhythme aérien !
L'atmosphère s'éclaire autour du jeune torse
De la Naïade, et, comme un Dieu sous une écorce,
Tandis que sa poitrine et son ventre poli
Reflètent un rayon par la vie embelli,
Une âme se trahit sous cette chair divine.
La prunelle, où l'abîme étoilé se devine,
Prend des lueurs de ciel et de myosotis ;
Ses cheveux vaporeux que baisera Thétis
Étonnent le zéphyr ailé par leur finesse ;
Elle est rêve, candeur, innocence, jeunesse ;
Sa bouche, fleur encor, laisse voir en s'ouvrant
Des perles ; son oreille a l'éclat transparent
Et les tendres couleurs des coquilles marines,
Et la lumière teint de rose ses narines.
La nature s'éprend de ce matin vermeil
De la vie, aux clartés d'aurore. Le soleil
Du printemps, qui de loin dans sa grotte l'admire,
Met un éclair de nacre en son vague sourire….
p.104-105
L’ÉNAMOURÉE
Ils se disent, ma colombe,
Que tu rêves, morte encore,
Sous la pierre d’une tombe :
Mais pour l’âme qui t’adore,
Tu t’éveilles ranimée,
Ô pensive bien-aimée !
Par les blanches nuits d’étoiles,
Dans la brise qui murmure,
Je caresse tes longs voiles,
Ta mouvante chevelure,
Et tes ailes demi-closes
Qui voltigent sur les roses !
Ô délices ! je respire
Tes divines tresses blondes !
Ta voix pure, cette lyre,
Suit la vague sur les ondes,
Et, suave, les effleure,
Comme un cygne qui se pleure !
Octobre 1859.
p.178-179
ARIANE
Et Dionysos aux cheveux d’or épousa
la blonde Ariadnè, fille de Minos, et
il l’épousa dans la fleur de la jeunesse, et le
Kroniôn la mit à l’abri de la vieillesse et
la fit Immortelle.
Hesiode, Théogonie. —
Trad. Leconte de Lisle.
DANS Naxos, où les fleurs ouvrent leurs grands calices
Et que la douce mer baise avec des sanglots,
Dans l’île fortunée, enchantement des flots,
Le divin Iacchos apporte ses délices.
Entouré des lions, des panthères, des lices,
Le Dieu songe, les yeux voilés et demi-clos ;
Les Thyades au loin charment les verts îlots
Et de ses raisins noirs ornent leurs cheveux lisses.
Assise sur un tigre amené d’Orient,
Ariane triomphe, indolente, et riant
Aux lieux même où pleura son amour méprisée.
Elle va, nue et folle et les cheveux épars,
Et, songeant comme en rêve à son vainqueur Thésée,
Admire la douceur des fauves léopards.
p.225-226
La Reine Nicosis, portant des pierreries,
A pour parure un calme et merveilleux concert
D’étoffes, où l’éclair d’un flot d’astres se perd
Dans les lacs de lumière et les flammes fleuries.
Son vêtement tremblant chargé d’orfèvreries
Est fait d’un tissu rare et sur la pourpre ouvert,
Où l’or éblouissant, tour à tour rouge et vert,
Sert de fond méprisable aux riches broderies.
Elle a de lourds pendants d’oreilles, copiés
Sur les feux des soleils du ciel, et sur ses pieds
Mille escarboucles font pâlir le jour livide.
Et, fi ère sous l’éclat vermeil de ses habits,
Sur les genoux du roi Salomon elle vide
Un vase de saphir d’où tombent des rubis.
Poéasie - Querelle - Théodore de Banville