Un sombre prêtre mystique aux pratiques déviantes, occultes, dont la solitude et l'impassibilité alimente la méfiance des locaux.
De sournois bergers nomades mi-sorciers frappant de malédiction tous ceux qui oseraient les mépriser.
Un village moyen dominé par les nouveaux-riches sans moeurs et d'anciennes familles nobles délaissées et pourrissant dans la résignation et la nostalgie...
Tout ceci se déroule en basse Normandie, près des Landes de Lessay, des contrées désertiques et brumeuses propices à l'imagination.
La révolution a déraciné et appauvri bien des familles nobles. Jeanne Feuardent, qui en fait partie, s'est mariée par nécessité financière à un vulgaire spéculateur immobilier, indûment enrichi par l'acquisition de biens de l'église juste après la révolution.
Blessée par cette mésalliance, elle n'est pas la seu
le à conserver une rancoeur contre la révolution.
Un sombre prêtre, ancien chef des Chouans (contre-révolutionnaires de Bretagne et Basse Normandie), auto-défiguré après un suicide raté en pleine fuite lors d'un combat pour abréger ses souffrances, est sauvé par miracle en pleine forêt par une âme charitable. Tandis qu'il est soigné, se repose, encore inanimé, cinq bleus (soldats républicains) se ruent vers le prêtre et lui arrachent les bandelettes-pansements qu'il avait sur la tête et lui fourent des braises ardentes sur sa chair encore vive.
Le prêtre ne mourut pas de cette effroyable torture et lorsqu'on rouvrit les églises, on le vit errer dans l'église enveloppé dans un capuchon noir.
Jeanne, qui, d'ordinaire est vive et téméraire, est prise par une fascination morbide et terrifiante pour ce prêtre. Obsédée désormais par lui, son cas est aggravé par un sort que lui jette un berger mystique et nomade qui voue une haine à tous ceux qui le méprise au point de les maudire.
Désirant fouiller les plus profondes énigmes du prêtre obscur, elle se rapproche de Clotilde, dit La Clotte, une ancienne courtisane de vieux châteaux féodaux entièrement disgraciée et répudiée par son époque contemporaine.
Celle-ci la met en garde à propos du passé sulfureux du prêtre tout en lui contant son combat héroïque sous l'égide des Chouans.
Le prêtre se souciait guère de ses fonctions et passait la plupart de son temps à fréquenter les salons de la haute noblesse, à se laisser désirer par des femmes sans jamais consentir à quoi que ce soit, les laissant souffrir pour lui...
En pleine révolution, son côté égocentrique et rebelle collait à merveil
le avec la stature d'un chef de contre-révolutionnaires... Hélas, toute résistance des Chouans était vouée à l'échec.
Effet du sortilège ou de sa propre admiration malsaine, Jeanne se laisse asservir par le prêtre. Ce dernier maintient de grandes ambitions occultes, il côtoie une comtesse et correspond avec de grandes familles nobles de la région. Jeanne lui sert d'ambassadrice dévouée.
On laisse sous-entendre dans le roman qu'il conspire en permanence pour restaurer la monarchie comme l'avaient voulu les Chouans, et cela bien après la "Chouannerie" période de guerre civile des Chouans. Cependant, une fois son dernier espoir avorté, il rejette Jeanne avec mépris et reprend son isolement taciturne.
Dévorée de passions et abîmée de honte, Jeanne se précipite au suicide.
Lors de son enterrement, la foule ensauvagée se venge sur la Clotte qui est lapidée et trainée dans la boue et qui décède dans une lente agonie. le petit peuple s'agite dans les rumeurs, fait le lien avec le prêtre, pense aussi au mari de Jeanne qui a disparu depuis de nombreuses semaines… Mais rien, ni même la Clotte tuée injustement par barbarie, ne pourra éclairer les raisons de ce suicide aux yeux des locaux.
Le mari de Jeanne a lui aussi été maudit par les bergers, il avait compris trop tard la malédiction de Jeanne, et, dans un mouvement de désespoir s'est évaporé dans les Landes où il préparera avec patience sa vengeance envers le prêtre.
Une bonne année plus tard, lors des fêtes de Pâques pour lesquelles le prêtre donne une cérémonie, il est fusillé par le mari de Jeanne qui prend aussitôt la fuite.
Alors que tout le monde pensait que le prêtre était définitivement mort, il semble réapparaitre lors de certaines messes nocturnes à minuit avec 9 sons de cloches qui lui est caractéristique. Seul dans l'église d'une clarté rouge, on peut l'apercevoir faire sa messe infernale, dans les tortures du désespoir et des invocations terribles à un Dieu irrité qui ne l'écoute pas...
C'est un roman qui nourrit l'imagination et qui laisse plein de suppositions. On explique peu finalement les raisons de l'affection de Jeanne pour ce prêtre, est-ce le simple coup du sortilège ? Ou est-ce l'admiration de Jeanne pour ce prêtre-soldat qui a tout bravé pour défendre sa cause, le retour à la stabilité de la monarchie, elle qui conserve également cette mélancolie des familles nobles avant la révolution ? On aurait aimé apprendre davantage sur la relation entre Jeanne et le prêtre où l'auteur donne peu de détails, peu de dialogues, avant ce suicide qui apparait un peu trop soudainement. Pareil pour la mari de Jeanne, qu'est-il devenu après avoir assassiné le prêtre après tant d'années de vagabondage ? Lui qui était si riche, si confortablement installé, qu'a t-il fait depuis ? Et puis cette conspiration du prêtre, en quoi cela consistait très exactement ? Quels étaient les moyens employés ? On doit deviner à peu près tout mais ce n'est pas désagréable.
C'est un peu au lecteur de compléter l'auteur. Il nous offre un luxe de détails sur chaque personnage, leur enfance, famille, moeurs… Puis c'est à nous d'éclairer le présent et l'avenir avec ce qu'il donne.