Je pus à notre messe de mariage, mesurer à quel point elle me possédait. Vainement, je m’efforçai de prier : je ne savais plus ; j’étais comme ces ivrognes qui recommencent toujours leur chanson au même vers et n’arrivent pas plus en sortir la trentième fois que la première.
Les mains appuyées au bastingage, je regardais, dans le crépuscule embrumé d’un pâle matin d’octobre, se lever, de-ci de-là, sur les eaux, des formes d’îles aux contours imprécis, qu’on eût pu prendre aussi bien pour un fantastique troupeau de monstres. La vitesse de notre marche leur communiquait une sorte de vie mystérieuse, dans la clarté trouble du demi-jour où flottaient encore des restes de nuit. On les voyait surgir confusément et, presque aussitôt, s’atténuer, disparaître comme emportées par la fuite mouvante des houles.
(Incipit)

Au réveil, ce fut encore à elle qu'il pensa tout d'abord.
En faisant tourner la clef dans l'armoire, il disait, reprenant son refrain de la veille :
- Petite coiffe de toile fine, qu'il était donc gracieux, le visage que tu encadrais!...
Mais le battant ne fut pas plus tôt ouvert, qu'il poussa un cri... un cri de stupeur, d'angoisse, d'épouvante, à vous faire dresser les cheveux sur la tête!
Tout ceux qui étaient dans le logis accoururent.
A la place de la blanche coiffe en toile fine, il y avait une tête de mort.
Et sur la tête, il restait des cheveux, de longs et souples cheveux, qui prouvaient que c'était la tête d'une fille.
Le fils aîné était si pâle qu'il en paraissait vert. Tout à coup, il dit avec colère, tout en faisant mine de rire :
- Ça, c'est un vilain tour que quelqu'un a voulu me jouer. Au diable, cette hure !
Déjà il avançait la main pour saisir la tête et la lancer au dehors. Mais, à ce moment, les mâchoires s’entrouvrirent hideusement, et l'on entendit une voix qui ricanait :
- J'ai fait selon ton désir, jeune homme : je suis venue au Guern, te réclamer ma coiffe. Ce n'est pas ma faute si tu as changé d'avis, depuis hier.
Je vous promets que le fils aîné du Guern ne riait plus, et que la colère lui avait passé, comme s'abat un coup de vent, quand la pluie crève.
Qui peindra jamais avec des mots la magie d’un lever de soleil sur l’océan ? Des irisations merveilleuses couraient à la cime des vagues. Nous nous faisions l’effet de voguer sur des eaux féeriques, à travers un amoncellement invraisemblable de pierreries en fusion. On eût dit un satin transparent, déroulé à l’infini, une de ces étoffes dont parlent les contes, qui sont tissées avec des rayons et constellées de gemmes par myriades.
Soudain, il dit :
— Molène !
Il me montrait du geste une haute croupe dénudée, une espèce de morne roussâtre vers lequel le vapeur inclinait maintenant sa marche.
— N’est-ce pas, continua le facteur, qu’elle mérite bien son nom d’« Ile Chauve » ? C’est, un proverbe du pays qu’il n’a jamais poussé dans Molène que deux arbres, l’un en pierre, et c’est le clocher, l’autre en fer, et c’est le mât du sémaphore.
Même temps qu’hier : un ciel tout neuf, la limpidité des matinées de Bretagne en octobre, une lumière idéale, élyséenne, une lumière finement bleutée. La ruelle, devant ma fenêtre, s’ouvre sur une filtrée de mer assoupie où des barques se balancent doucement.
C'est un proverbe du pays qu'il n'a jamais poussé dans Molène que deux arbres, l'un en pierre, et c'est le clocher, l'autre en fer, et c'est le mât du sémaphore ...
Quand on ne cause pas, le jour, on s'ennuie, la nuit, on a peur.
Cette cote, tour à tour sauvage et douce, où les plages succèdent aux rocs, les anses de sable aux brisants, est hospitalière à la vie.
Mieux que les rigides falaises normandes heurtées par l'incessant frottement des galets, ces rivages découpés offrent à la vie végétale et animale les abris dont la nature génératrice a besoin ...
(extrait de "La côte bretonne" de Vidal de la Blache)
A Maggie
Octobre m’apparaît comme un parc solitaire :
Les mûres frondaisons commencent à brunir.
Et des massifs muets monte une odeur légère,
Cet arôme plus doux des fleurs qui vont mourir.
L’étang, les yeux voilés, rêve, plein de mystère,
Au fantôme ondoyant de quelque souvenir ;
Une langueur exquise a pénétré la terre,
Le temps même a plié son aile pour dormir.
Le ciel, plus imprécis, fait l’âme plus profonde.
On sent flotter en soi tout le passé du monde
Et, secoué soudain d’un grand frisson pieux,
L’on croit ouïr au loin des rumeurs sibyllines,
Tandis que, dans la pourpre ardente des collines.
Semble saigner encor le sang des anciens dieux.