Près d'un an après avoir lu le tome 1 de cette saga
Les Déracinés, j'ai eu un vrai plaisir à retrouver les rejetons de la seconde génération de la famille d'Almah et Wilhelm Rosenheck, juifs autrichiens fuyant le nazisme, émigrés en République dominicaine en mars 1940.
Alors que le premier tome couvrait la période de 1921 à 1961, l'action du second tome se joue sur une plus courte période : de 1961 à 1967.
Ce second opus évoque principalement le devenir de Ruth, fille d'Almah et de Wilhelm, née le 8 octobre 1940 qui, après le décès de son père, fait le choix que quitter la République dominicaine pour vivre auprès de sa tante Myriam (soeur de son père exilée aux Etats-Unis dès 1937) et de son mari, architecte. A Brooklyn, elle entame des études de sciences économiques et politiques avec l'ambition de devenir un jour journaliste, projet de vie qui était le rêve initial de son père, rêve qu'il n'a pas pu accomplir.
Dans cet opus, on suit également le devenir d'autres membres de la famille et personnages évoqués dans le tome 1 (d'où l'importance de lire cette saga dans l'ordre) : Almah, la mère qui s'est résignée à rester au pays ; Frédérick, le fils, qui a pour projet de développer la finca de son père ; Markus Ulman, l'ami, qui tente de préserver les intérêts de la feuille de chou locale créée par Wilhelm ; Swenja Reisman, la chère amie d'Almah qui est psychologue et qui a fait le choix de rejoindre l'Etat d'Israël. On verra notamment qu'en République dominicaine, la vie n'est plus vraiment un long fleuve tranquille entre les guerres intestines locales pour prendre le pouvoir après la chute de l'ancien dictateur, l'influence communiste de Cuba toute proche, et les velléités américaines d'imposer un candidat de son choix, à savoir un nouveau pantin corrompu que les USA pourront manipuler selon leurs besoins.
Durant ces quelques années, Ruth revivra, en quelque sorte, l'expérience vécue par ses parents exilés, à savoir la difficulté à trouver ses marques dans un pays qui n'est pas le sien, à parler une langue dont on ne maîtrise pas toutes les subtilités, à se faire des amis qui n'appartiennent pas forcément à sa classe sociale, à vivre avec la nostalgie des souvenirs et le manque de son pays d'origine, à construire un projet de vie qui ait du sens au regard de ses aspirations et du contexte. A la différence près qu'elle ne s'est jamais sentie stigmatisée en tant que juive.
On assiste donc à l'évolution progressive de la jeune fille meurtrie qui fuit son pays pour ne plus avoir à souffrir du manque de son papa vers la femme qu'en conscience elle choisira de devenir. On verra que le parcours n'est pas aussi facile qu'il y paraît, tant le doute est omniprésent sur ses choix professionnels et ses compétences réelles. Avec Ruth, on assiste en spectateur à certains événements politiques importants de la période (crise des missiles de Cuba, la lutte pour les droits civiques des Noirs, le discours de
Martin Luther King, la mort de J. F. Kennedy, l'émergence du mouvement hippie), événements qui contribueront à faire d'elle une personne plus consciente de son environnement économique et politique mais aussi plus déterminée à porter un regard différent sur les choses, à développer son libre arbitre. Autant de compétences qui, le cas échéant, la rendront apte à encore mieux en rendre compte.
Mais la vie américaine de Ruth n'est pas non plus un long fleuve tranquille, même si elle a, à ses côtés, une famille de substitution aimante et riche et un ami cher, lui aussi dominicain exilé, Arturo qui fait tout pour lui faciliter la tâche. En effet, les circonstances douloureuses de la vie amèneront celle-ci à faire le choix d'un nouvel exil, vers Israël cette fois, où elle expérimentera la vie en kibboutz. Une façon pour elle de réaliser ce rêve que n'ont pu accomplir ses parents ou véritable volonté de s'impliquer dans la construction de ce jeune Etat ? Ce sera à elle de décider...
Donc, dans ce tome 2, on voyage une nouvelle fois dans l'espace : République dominicaine, Etats-Unis, Israël et dans le temps (plus courte période il est vrai). L'accent est principalement mis sur les différences de modes de vie, sur les apprentissages initiatiques de Ruth, sur les aspects sensibles de la politique américaine de l'époque, sur sa découverte de l'amour et sur ses liens d'amitié... enfin, tout ce qui a été de nature à l'aider à se confronter à ses doutes, à ses manques, à ses contradictions et à mûrir en tant que femme affirmant son identité propre et allant vers un devenir qu'elle aura choisi en toute connaissance de cause.
Si ce tome est moins documenté que le tome 1, l'écriture de
Catherine Bardon est toujours aussi précise et fluide. On lit cette histoire en s'identifiant à l'héroïne et on suit, de façon haletante, les péripéties d'un monde en plein bouleversement (qu'il s'agisse de l'économie, de la politique, du social, des moeurs, de la notion de liberté individuelle).
Je n'ai qu'une hâte aujourd'hui, découvrir la suite, avec le tome 3
Et la vie reprit son cours. Mais, comme à mon habitude, je vais laisser poser avant (pas trop longtemps toutefois) afin de conserver toute ma curiosité à la découverte de ce qui va suivre.