«
Mr. Gwyn» est un livre excellent. Quand un lecteur ravi tout autant que réjoui, s'est promené dans son appartement le roman à la main en pouffant de rire, quand assis dans son fauteuil, il s'est exclamé que l'auteur avait du génie, il faut que ce lecteur, s'il est blogueur, répande la bonne nouvelle avec son webclairon. Comment pourrait-il en effet supporter de garder pour lui seul ce chef-d'oeuvre qu'il vient de découvrir ?
Mais cessons de parler de moi à la troisième personne, même s'il faut que vous sachiez que ce livre invite aux farces, étant-lui même un artifice littéraire du meilleur aloi. Est-ce un essai sur la littérature travesti en roman ? Est-ce un roman qui prend l'art pour sujet ?
Après «
Emmaüs», je découvre
Alessandro Baricco dans le rôle du pitre. Je ne peux m'empêcher de penser que ce Jasper Gwyn, écrivain de son état, est un double romanesque.
Jasper Gwyn, un beau jour, «eut soudain la sensation limpide que ce qu'il faisait chaque jour pour gagner sa vie ne lui convenait plus». Gwyn est un homme de parole. Il énumère les cinquante-deux choses qu'il ne fera jamais plus, notamment écrire des livres. La première des choses qu'il ne fera plus est d'écrire des articles pour The Guardian, journal auquel il dépose son texte pour publication avant de disparaître provisoirement. A son retour, Jasper Gwyn respire mieux. Néanmoins, rapidement, il a comme des fourmis d'écrivain. Des envies d'écrire, des mots qui viennent, des phrases qui se composent. Mais il est hors de question, totalement hors de propos de transformer ces intuitions, ces élaborations en récits. Il faut trouver une solution. Jasper Gwyn décide alors d'écrire des portraits, ébloui par une illumination que je ne vous raconterai pas.
Cocasse, spirituel, brillant,
Mr Gwyn en bon Londonien a aussi ses manies agaçantes.Très désinvolte à l'égard de son agent - du moins une bonne partie du livre - il se passionne pour les sentiments des autres mais se refuse à toute analyse de son propre coeur.
Alessandro Baricco peint le portrait d'un homme qui écrit des portraits : doit-on s'en étonner de la part d'un auteur dont le nom si proche de l'étymologie «barocco» semble un clin d'oeil à l'esthétique baroque caractérisée par la mise en abyme ? Quelque part dans ce monde enchanté, inspiré sans doute par
Calvino autant que par
Pirandello ou
Borges, le lecteur trouve immédiatement sa place et se délecte de la malice de Baricco. Cette mystification est inoubliable.
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