Citations sur Océan mer (189)
Légèrement penché en avant, il regardait : le sol. Il examinait l'endroit exact où la vague brisée dix mètres plus tôt, s'étirait - devenue lac, et miroir, et flaque d'huile - , remontant la douce inclinaison de la plage pour finalement s'arrêter - sa frange ourlée d'un perlage délicat - , et hésiter un instant avant d'esquisser, vaincue, une élégante retraite, et se laisser glisser en arrière, sur le chemin d'un retour en apparence facile, mais en réalité proie idéale pour l'avidité spongieuse d'un sable, qui, jusque là pacifique, se réveillait soudain et - cette brève course de l'eau en déroute - l'évaporait dans le néant.
Posée sur la corniche ultime du monde, à un pas de la fin de la mer, la pension Almayer laissait ce soir là encore, l'obscurité réduire peu à peu au silence les couleurs de ses murs : et celles de la terre tout entière et de l'océan tout entier. Elle semblait - posée là, solitaire - avoir été oubliée. Comme si une procession de pensions, de tous genres et de tous âges, étaient passées un jour par là, longeant la mer, et qu'une d'entre elles se fût détachée du groupe, fatiguée, et, se laissant dépasser par ses compagnes de voyage, eût décider de s'arrêter sur cette ébauche de colline, cédant à sa propre faiblesse, penchant la tête et attendant la fin. Telle était la pension Almayer. Elle avait cette beauté que seuls peuvent avoir les vaincus. Et la limpidité de ce qui est faible. Et la solitude, parfaite, de ce qui est perdu.
La mer fait divaguer les vagues, les pensées et les voiliers : même la tête elle aussi divague et les routes qui hier étaient là aujourd'hui n'y sont pas.
Qu'est ce que tu fais assis là tout le temps ?
- Je regarde
- Il n'y a pas grand-chose à regarder...
- Vous plaisantez ?
- Ben, il y a la mer, d'accord, mais la mer c'est la mer, c'est toujours pareil, la mer jusqu'à l'horizon, à la rigueur il passera un bateau mais ce sera bien le bout du monde.
p 25
En équilibre sur le bord de la terre, à un pas de la mer déchaînée, reposait, immobile, la pension Almayer, plongée dans l'obscurité de la nuit comme un portrait, gage d'amour, dans l'obscurité d'un tiroir.
Je voulais... me sauver de tout ça, voilà, me sauver. Mais j'ai compris tard de quel côté il fallait aller. On croit que c'est autre chose qui sauve les gens : le devoir, l’honnêteté, être bon, être juste. Non. Ce sont les désirs qui sauvent. Ils sont la seule chose vraie. Si tu marches avec eux, tu seras sauvée
Un type s'invente des grandes histoires, en fait, et il peut continuer pendant des années à y croire, peu importe si elles sont folles, et invraisemblables, il les a en lui, c'est tout. On peut même être heureux, comme ça. Heureux. Et ça pourrait ne jamais finir. Et puis, un jour, voilà que quelque chose se casse, dans le cœur du grand moulin à chimères, cloc, sans raison aucune, tout à coup ça casse, et tu restes là, sans comprendre comment il se fait que toute cette histoire fabuleuse elle n'est plus en toi mais devant, comme si c'était la folie d'un autre, et cet autre-là c'est toi. Cloc. Parfois, il suffit d'un rien. Même juste une question qui pointe le bout de son nez. Il suffit de ça.
"Tout est arrêté juste un pas avant les choses. Il n'y a rien de réel, est-ce que tu comprends ça ?"
Le présent disparaît et tu deviens mémoire. Tu te défais de tout, tes peurs, tes sentiments, tes désirs: tu les conserves, comme des habits qu'on ne met plus, dans l'armoire d'une sagesse que tu ne connaissais pas, et d'une tranquillité que tu n'espérais pas.
Je ne reconstruirai aucune vie, parce que je viens d'apprendre à être la demeure de celle qui fut la mienne.