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sur 1004 notes
Océan mer. Merveilleux vent qui s'en vient du large. le temps d'un long silence mélodieux. le temps d'une marée montante qui déjà disparaît au loin. le temps d'une rencontre…

Sept naufragés de la vie, venus faire escale à la pension Almayer, posée sur la corniche ultime du monde. Sur le bord exact de la mer. Ce n'est ni la terre, ni la mer, c'est un endroit qui n'existe pas, qui n'existe déjà plus. C'est un monde d'anges.

Océan mer, c'est le ventre de la mer, celui qui vous avale, vous digère, vous lave de vos péchés, de vos peines, de vos douleurs et vous recrache sur le rivage comme un vulgaire morceau de bois s'échoue sur le sable. Naufragé mais vivant.

A la pension Almayer, le temps se fige. Nus pieds sur le sable, les sens en alerte, le regard tourné vers Elle, ces naufragés reçoivent ses chants iodés qui les bercent et les enveloppent de ses embruns.

Et commence le conte…

Comment dessiner la mer quand on ne sait où elle commence ? Comment l'enfermer dans un livre quand on ne sait où elle finit ? Comment vivre loin de ses chimères ? Comment l'oublier ? Comment l'aimer ? Comment vivre en elle ?

Il existe mille raisons de venir s'échouer à la pension Almayer. Connaissez-vous la vôtre ?

***

Océan mer. le titre lui-même est déjà un voyage !

Faites vos valises et embarquez pour cette petite pension posée quelque part, sur le rebord du monde. Les petits anges vous y attendent. Faites-y la connaissance de la sensible Elisewin, de la douce Ann, du contemplatif Monsieur Plasson, du cartésien Professeur Bartleboom, du poétique Père Pluche, de l'attentiste Adams… Je n'en ai cité que six, n'est-ce pas ?

L'écriture d'Alessandro Baricco est belle, chantante et imprévisible, comme la mer sur laquelle il nous emmène… Teintée d'onirisme, sa plume est tantôt légère, tantôt grave. Ce livre est à la fois un conte, un roman d'aventure, un poème, une peinture expressionniste, une question…

Faites vos valises, vous dis-je !
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C'est un endroit limite qui n'existe pas "entre la mer et la terre", une frontière mouvante qui s'efface et qui revient; le bord de mer.

Un endroit où se sont les enfants qui apportent les réponses aux adultes, où les destins déchirés se rencontrent et s'assemblent comme des puzzles pour se reconstruire. Il y a ceux qui cherchent, ils cherchent tous à comprendre et la mer finit par leur parler. Tous ces naufragés ont trouvé refuge sur ce frêle esquif l'espace d'un moment, puis ces destins se dispersent et trouvent leur chemin. Les hommes sont comme la mer, bordés d'indéfinissables frontières, ils sont tout autant infinis.

J'ai dévoré ce livre emprunt de magie, drôle souvent, dramatique et poétique tout le temps. Sa structuration est surprenante mais n'entrave pas la lecture. Elle permet, de plus, de conserver un suspens jusque dans les dernières pages. La narration est délicieuse et délicate, elle nous place en suspens au-dessus de ce petit monde, les mots nous bercent, nous secouent, c'est envoutant. Un livre pétri de la cruauté des hommes, de la beauté de l'infini, de poésie et de douleur. On en frissonne à sa pensée. Une très belle découverte, un auteur à lire encore et encore.
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" Sable à perte de vue, entre les dernières collines et la mer ".
Océan mer, mer océan, dans la pension Almayer de drôle de pensionnaire se côtoient, des hommes des femmes des enfants, un artiste, un savant, une maitresse sans amant, un prêtre précepteur .....
Pas facile d'écrire sur ce roman d'Alessandro Baricco, " Océan mer" est une plongée dans un univers poétique un peu comme Richard Brautigan, on se laisse emporter, balloter à travers des phrases et des situations.
Les personnages comme le peintre Plasson qui peint sans couleurs, juste de l'eau de mer sur la toile, ou encore le professeur Bartleboom qui écrit une encyclopédie sur les "limites" ou la belle Ann Devéria venu à la pension soigner son étrange maladie l'adultère.
Pendant ce temps, un radeau se désagrège emportant ses passagers dans un enfer sans nom.
Un magnifique récit que je vous recommande, un voyage dans l'univers d'Alessandro Baricco, c'est une invitation à la rêverie et pourquoi pas à l'écriture.
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Sept naufragés de la vie se retrouvent dans un endroit étrange, qui existe à peine, et où le temps semble arrêté.

La pension Almayer qui abrite ces personnages est posée « sur la corniche ultime du monde », toute proche de la fin de la mer. Elle semble être arrivée là, toute seule, ne pouvant continuer son chemin, attendant la fin.

Face à eux , l'Océan qui ne finit pas, on ne sait où il commence, on ne sait dire qui il est. Est-il un monstre engloutissant les navires ou est-il cette vague inoffensive qui finit sa course sur la plage ?
Et ces traces de pas sur la plage qui s'effacent, recouvertes par la marée, semblent dire qu'ils n'ont jamais existé. Ce n'est qu'une illusion. Un décor planté là, le temps d'un récit.

« C'est le bord de la mer, un endroit qui n'existe pas, ni la terre, ni la mer »

Un récit d'aventures, dont le personnage principal est l'Océan. Les sept personnages sont venus guérir leurs blessures par la mer, prendre congés d'eux-mêmes, arrêter le temps pour trouver le bonheur d'être soi.
Chaque personnage est attachant, atypique, sensible et parfois drôle. Ils se complètent comme les pièces d'un puzzle.

Roman d'aventures étonnant, on y retrouve à la fois du suspense, de la poésie, de l'humour, de la violence, de la douceur, de la philosophie. Au départ, c'est déroutant, après c'est un régal.
On est envoûté par l'écriture, comme les personnages le sont par l'Océan, la pension Almayer et les enfants magiques qui semblent des anges gardiens. La disposition du texte sur la page contribue aussi à cet enchantement. L'écriture est musicale, elle semble nous raconter une fable. La fable de la vie, avec le temps qui passe, nos vies qui s'effacent, nos bonheurs et nos blessures, nos interrogations.

La pension Almayer attend la fin du récit pour s'éclipser et l'Océan efface toutes les traces, nous laissant dans le silence et l'émerveillement, nous éveillant doucement de ce songe enchanté.





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Me voilà bien triste d'avoir regagné la terre ferme après un si beau voyage en mer !
Un voyage improbable en compagnie de sept personnages de conte.
Sept personnages qui cherchent une rédemption qui ne peut venir que de l'océan.
Un océan qui fait peur à l'époque, considéré comme le repaire des forces du mal, ventre affamé engloutissant navires et équipages.
Comment l'apprivoiser, l'amadouer, le comprendre ?
En le peignant ?
En lui cherchant des limites ?
En le défiant ?
Ou, au contraire, en s'imprégnant de sa puissance, de sa magie ?
Chacun va l'appréhender à sa façon, va y puiser ce qui le transcende, le met face à lui-même.
À la fois source d'inspiration, de curiosité, de fascination, de passion ou de fureur, il est le maître du jeu, celui qui, au gré de ses humeurs, donne ou reprend, anime ou tue.

La plume d'une poésie si particulière d'Alessandro Baricco fait à nouveau merveille dans cette très belle allégorie maritime.
Tel un mirage, la pension Almayer fait face au bleu infini et nous convie à un voyage angélique sans toutefois nous épargner la réalité brutale du drame humain.
Une lecture qu'on fait sans toucher terre, en apesanteur, bercés par des vagues, tantôt douces, tantôt tumultueuses mais qui, toujours, touchent l'âme.
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Il y a le ciel, le soleil et la mer...
Suite et fin de mon triptyque personnel de l'été : après le ciel de Chine de Garrido, et le soleil d'Ispahan de Rufin, j'ai la joie de finir sur une vraie pépite : l'Océan Mer de Baricco.

Comme beaucoup ici sur Babelio, j'ai lu Ocean Mer après Soie, guidé par des critiques. Or beaucoup de lecteurs enthousiastes de Soie s'avèrent déçus par Océan Mer. Barrico y a pourtant franchi un cran de plus, touchant pour moi au chef-d'oeuvre, à tel point que j'ai hésité à mettre 5 étoiles et m'inquiète de parvenir à trouver mieux en poursuivant la lecture de cet auteur...

Comme certains de mes amis babeliesques, je dois bien l'avouer, pendant des dizaines de pages, je n'ai rien compris... le texte est à ce point décousu que j'ai cru qu'il s'agissait de poèmes, de tranches de vie sans rapport entre elles, avant de comprendre enfin où voulait nous mener l'auteur...

Il faut vraiment mettre en garde le prochain lecteur : connaissez vous les baïnes de la côte basque ? eh bien c'est ce qu'est ce roman. Etrange, poétique, philosophique, il se construit en deux lieux, la mystérieuse pension Almeyer, et un radeau de naufragés clairement inspiré du Radeau de la Méduse. Ce livre est une vague-dépression dont on ne sort pas indemne ; On en sort rincé, déboussolé, roulé, ayant perdu tout repère. Alors, si la vague qui vous pousse vers le large n'est pour vous que source d'angoisse, si vous pensez que toutes les plages devraient chaque jour être aplanies à coups de bulldozer pour éviter tout accident, ne lisez pas ce livre. Mais si vous avez l'esprit baroque, et le cran de vous abandonner à une vague incertaine, pour mieux lutter, à la recherche du sens profond de la vie caché dans les abysses, alors lisez le...

Baricco, qui démontrait déjà dans Soie -chronologie de ma lecture, et non de l'écriture de l'auteur... malheureusement...- un syle bien particulier, déconcertant, décousu, tout en conservant une lègère trame... de soie... nous invite cette fois à une perte totale de repère. En cela son roman porte encore une fois bien son nom. C'est un hymne à la Mer, et même plutôt à l'Océan. Les vies des personnages humains se croisent au creux d'une vague, se mêlent un instant, avant de se noyer, vaines, dans la tourmente liquide. Alessandro Baricco chante l' Océan Mer. La cruelle vérité de la vie et de la mort se révèlent sur le Radeau de a Méduse, et la vanité des préoccupations des hommes fait de même à la Pension Almeyer, tenue par les anges de la mer. Grain de sable, la de vie de personnages à peine esquissée, songe fugitif, s'agrège dans un château de sable dont se jouent les vague, avant de tout engloutir. le peintre Plasson, le plus inexistant des personnages, est sans doute, paradoxalement, parmi les fantômes de la pension Baricco, le plus révélateur, grâce à son oeuvre : il peint la mer, en cherchant toute sa vie le tableau parfait. Il mourra heureux quelques années plus tard, ayant atteint sa chimère, laissant à la postérité une collection presque entièrement constitué... de toiles blanches...certain d'avoir enfin su capter et restranscrire la musique de L'océan.

C'est magistral, c'est troublant, difficile à lire si l'on essaie de nager avec palmes et bouée ... il faut lâcher prise et se laisser porter... un net cran au-dessus de Soie, et un étrange moment de lecture que je conserverai en mémoire... flottant quelque part entre le Typhon de Conrad, les Pecheurs d'Islande de Loti, le K de Buzzati, le Vol de Nuit de Saint Exupéry et le Pendule de Eco.
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Ce livre, pour être franche, j'étais prête à l'abandonner tant le début me semblait confus... Et puis, à partir du cinquième chapitre, j'ai enfin "accroché", me promettant une fois qu'il serait lu de revenir en arrière et de lire consciencieusement les 38 premières pages.
Il s'agit d'un roman d'un genre très particulier, inclassable.
Construit en trois parties de longueurs très inégales, le récit s'articule autour de la mer.
Le livre premier raconte la vie dans "la pension Almayer" bâtisse en bord de mer, au plus près des éléments, et occupée par d'étranges habitants et pensionnaires.
Le livre second, "le ventre de la mer" est le récit terrifiant de ce que fût le sort des naufragés du "Radeau de la Méduse".
Le livre troisième, "les chants du retour" dépeint les pensionnaires de cette étrange pension Almayer et donne les clés des énigmes évoquées tout au long des pages.
Une atmosphère étrange, pour un texte énigmatique où l'on trouve un peu d'amour, de l'inquiétude, de la violence, et la présence de la mer, le bruit de la mer, et la mer pour seul horizon...
Roman fantastique? Conte? Je ne sais pas. Mais le livre a du charme et l'écriture est belle.
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« Partons la mer est belle… » Répondons à cet appel et partons pour une magnifique incursion dans l'imaginaire car comme le dit l'auteur : « La mer ensorcelle, la mer tue, émeut, terrifie, fait rire aussi, parfois, disparaît, pas moments, se déguise en lac ou alors bâtit des tempêtes, dévore des bateaux, elle offre des richesses, elle ne donne pas de réponses, elle est sage, elle est douce, elle est puissante, elle est imprévisible. Mais surtout, la mer appelle. (p.97) »

Plongeons dans cet ouvrage qui compte un lot de personnages improbables réunis par hasard dans un hôtel tenu par des enfants qui lisent dans les rêves. Il y a un peintre qui peint des toiles blanches, un scientifique qui cherche à trouver la fin de la mer, une jeune fille escortée par un prêtre, envoyée par son père pour soigner son hypersensibilité et même, une épouse venue se guérir de son infidélité.

Mais il n'y a pas que poésie et légèreté, il y a aussi une terrible tragédie. Une horreur inspirée d'un scandale du dix-neuvième siècle, une histoire vraie : « le radeau de la Méduse » où des hommes se sont entretués et auraient même mangé de la chair humaine pour survivre.

Le roman navigue donc à travers une mer d'émotions et de réflexions. Il sera question de la vie et de la mort, de l'art et de l'amour. Tantôt dans la délicatesse d'une dentelle, tantôt dans la macabre brutalité d'un corps décapité par un coup de sabre, on voguera sur les flots poétiques vers des horizons inexplorés.

Et une fois le livre refermé, on pourra garder le souvenir ému d'une petite pension qui émerge peut-être du brouillard au bord de l'océan…
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Exercice périlleux que d'écrire sur ce livre; la couverture reprend roman à suspense, livre d'aventures, méditations philosophiques et poème en prose. Et bien oui, c'est tout cela à la fois et c'est très réussi. Il ne faut pas hésiter à se laisser immerger dans cette mer que l'auteur décrit avec beaucoup de subtilité. Avec autant de profondeur que la mer elle-même, autant de noirceur et de violence dont elle est capable mais aussi avec douceur et fluidité comme les vagues qui s'évanouissent sur le rivage.
Les pensionnaires au lourd passé de la pension Almayer viennent y chercher quiétude, un sens à leur vie, des réponses. Chacun y trouvera un chemin ou un destin funèbre.
La très belle plume nous emmène dans le monde d'à côté, celui de l'introspection. Et pourtant, Océan mer se lit vite, pour ses passages d'aventures, quelques dialogues décalés, une scène burlesque et l 'attachement que l'on ressent envers chaque personnage.
Une lecture originale et fort agréable.
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Il y a une difficulté à analyser ce qu'on a pu lire. le récit n'est pas linéaire mais stellaire. Il part d'un point central pour rayonner dans des directions biographiques. Mais le voyage a bien eu lieu et le dépaysement surtout. Peu de références chronologiques ou géographiques. Un lieu entre passé et présent. Quelque chose comme un 19ème siècle de conte, peu défini et perdu dans une brume délocalisante.

Une pension de bord de mer, sur le ras-bord de la terre, habitée par des enfants étranges. Dira qui tient la réception et la liste des pensionnaires. Dol, le nocher. Dood qui lit dans les rêves des hôtes et de Bartleboom en particulier. Ditz qui souffle des rêves choisis aux dormeurs et une petite fille nue et sans nom qui se cache sous les draps.

Ils y veillent sur des résidents apesantis, certains cachés au fond de leurs vies en cale sèche ou courant après un objet d'étude improbable et dérisoire.

La pension Almayer.

Un nom de maladie que l'on n'aurait pas encore découverte mais aux symptômes bien réels. Un souvenir d'une folie de Joseph Conrad.

Tous les occupants du lieu ou presque ont une relation particulière à la mer. Elle les révèle, comme une potion salée versée dans un tube à essai. Précipités.

Sa présence constante, sa rumeur continuelle, la vue imprenable que l'on en a depuis certaines chambres de l'établissement en font le centre autour duquel tous, hommes et femmes, déploient ou replient leurs existences.

L'océan mer. L'immense grandeur face à laquelle l'homme se sent remis en cause. Comme une colossale question hurlée par la nature et les éléments, une mise au défi : où vas-tu ? Pourquoi ? N'es-tu pas en train de te perdre ? Ton but n'est-il pas vain face à mon étendue ?

Au fur et à mesure du récit, on en vient à ne plus savoir où tout cela peut bien aller. Cet hôtel et ses sept chambres existent-t-ils ou n'est-ce qu'une allégorie, une fable, boîte à bijoux qui renferme des histoires précieuses ?

Casse typographique où l'écrivain range ses caractères dans des chambres closes, les rassemble pour mieux les conter ?

Bateau en panne ? Personnages qui attendent que leurs destins viennent les chercher, hantés par la mer et son insolence, sa cruauté belle ?

La poésie est le liant de tout cela. Il faut accepter que tout ne puisse pas s'expliquer. Afin de goûter les perles fines et irrégulières que nous pouvons ramasser au détour de ces pages, disséminées par Baricco Barocco. Et avant tout, ces personnages et leurs poésies qui se confondent souvent avec leurs failles.

Plasson, ce peintre immobile sur cette plage. Chevalet, palette et couleurs. Gardien immobile qui se bat jusqu'à la marée montante contre un paysage impossible. Par où commencer une toile représentant la mer ? Pour un portrait, débuter par les yeux permet d'ancrer le reste du visage. Mais là ? Où sont les yeux de la mer qui permettront d'arrêter la suite de la composition ? Comment peindre ce qui change constamment, monte et descend, se brise et se radoucit arborant mille couleurs ? Comment peindre cela, à partir d'où, quel instant immortaliser ? Plasson se mesure aux flots, chaque jour et se laisse immerger jusqu'au coeur. En silence. Comme pour se punir de son échec quotidien. Sauvé par Dol et sa barque. Chaque soir.

Bartlebooth et son "Encyclopédie sur les limites" qui s'épuise à trouver l'instant t où la vague et donc la mer s'arrêtent. le moment qui voit la course en avant se suspendre avant qu'elle ne régresse et retourne à la matrice liquide. Seul, à la nuit tombée, il écrit des lettres à une destinataire à venir. Encore inconnue de lui et sans adresse.

Elisewin, princesse de Carewall (muraille- soin) envoyée là par son baron de père à contrecoeur et sur avis médical. On espère la soigner d'un coeur de cristal trop fragile grâce à l'énergie bienfaisante des bains de mer. Pari risqué. Guérir ou mourir.

Le Père Pluche, homme d'église farfelu qui accompagne Elisewin parle plus vite qu'il ne pense et écrit des prières incessantes qu'il ne prononcera jamais.

Madame Devéria et sa mélancolie amoureuse envoyée là par un mari jaloux pour soigner ses penchants adultères grâce à l'océan moralisateur.

Ce qui m'a emporté bel et bien c'est la seconde partie "le ventre de la mer" qui va permettre de relier certains récits qui se tissent depuis le début entre quelques personnages. C'est l'expérience à peine dissimulée du "radeau de la Méduse" ici raconté à hauteur d'hommes. Une boucherie, un crime contre l'humain sur quelques mètres carrés de mâts mal ficelés les uns aux autres. Presqu'épave qui coule à demi, piégeant les hommes dans ses interstices, les noyant petit à petit.

La mer qui rend fou les hommes. Les accule à devenir des monstres. Qui, la nuit venue, prélève son butin de chair et les emporte au loin hurlant. Quand le jour, son sel brûle leurs blessures, les agrandit de ses doigts mouillés pour y semer le tourment et la douleur. C'est le monstre liquide qui dit la vérité humaine et animale.

Des hommes qui s'éliminent pour survivre et sont réduits à l'impensable.

C'est le tournant du livre. de la mer que l'on voit de la rive, que l'on pense, que l'on peint, que l'on envisage, au sec et à l'abri de sa colère on passe aux flots sur lesquels on dérive. La mer océane et brutale dont on revient avec un regard d'égaré. La mer où l'on perd quelque chose pour ne trouver que le drame et le vrai. La réalité qui arrache les yeux et incendie de clarté. Et deux nouveaux protagonistes qui se sont trouvés là. Abandonnés et affrontés. Savigny et Adams-Thomas.

Ce livre a une forme arachnéenne dont le corps énorme et plein est ce second chapitre. Les pattes filiformes sont ces personnages que l'on découvre dans le premier. Puis la mer mélange tout cela dans son abdomen terrible et inéluctable et nous restitue la suite de leurs arcs narratifs qui se terminent dans le troisième chapitre.

J'ai été décontenancé dans les cinquante premières pages. M'attendant à un désastre. Puis, comme on rentre dans l'eau du premier bain de l'année avec précaution frileuse, je me suis senti bien et heureux. Peu à peu. Au jusant, seau et pelle, j'ai récupéré les belles idées que Barricco laissait pour nous.

La mer est une histoire qui ne s'arrête jamais d'être dite. Les vagues colportent ses récits à nos oreilles étrangères. Narratrices éternelles. Il faut des hommes pour les traduire ou les consigner comme l'amiral Langlais au nom si français qui est le personnage peut-être le plus proche du lecteur. A terre, dans son amirauté entourée de jardins, il répertorie tous les récits maritimes les plus fantastiques qui seraient arrivés sur les sept mers. Les classant méthodiquement par ordre de probabilité. Archiviste des océans et de ses mystères. Mon personnage préféré.

J'ai retrouvé quelquefois, notamment chez Plasson, ce que j'avais apprécié chez Audeguy et ses nuages.

Barrico a une vrai maîtrise formelle et un art sophistiqué du récit. Là où l'on pourrait voir du foutraque, ce n'est que technique subtile. Il faut de l'expérience pour faire voguer le lecteur sur un océan de sentiments sans le perdre ou l'ennuyer. Car cette mer est aussi le courant intime qui nous dirige tous. Cette force motrice d'émotions sur laquelle on essaie de garder le cap. de creux en crète. C'est ce qui rend peut-être ce texte si houleux à la lecture car tenant presqu'uniquement sur ses personnages et leurs trajectoires, leurs pelotes de vies, rendant l'édifice flottant et déroutant. Toujours instable. Dans le presque et le non fini.

Baricco use et abuse de la parataxe et des tirets d'incise, coupant le flux de ses phrases, comme un avis du narrateur glissé là. Récif qui brise la lame. Les dialogues sont quelquefois durs à suivre. On ne sait plus qui parle quand ce n'est pas un interlocuteur qui disparaît complètement. On doit alors recréer ses tirades sur la foi des réponses du seul personnage que Baricco nous laisse lire. Une stéréo en mono. Cela pousse à la concentration. Je dirais presque à l'écoute sinon c'est la noyade et l'on quitte la berge du recit pour ressortir et se sécher. Quelques ellipses temporelles aussi, comme des avances rapides.

Certaines périodes très longues débutent sur un grand retrait et se terminent en tiers de ligne. de manière répétée comme lorsqu'il est question des "bains à la lame". Trouvaille formelle. Miroir aux vagues. Phrase de sac et ressac de même que les anaphores qui miment leur incessant va-et-vient. Eternel retour.

Reste ces deux sons dits-soufflés à l'infini. Vague s'élevant puis, se brisant dans le silence :

Oceano mare. Oceano mare. Oceano mare. Oceano mare. Oceano mare. Oceano mare. Oceano mare. Oceano mare. Oceano mare.


Oceano.



Mare.

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