Lorsque Dostoïevsky fait dire à l'un des Karamazov que la beauté sauvera le monde, il n'invite pas l'humanité à la contemplation nostalgique de cieux passéistes. Et pour lui, la beauté n'est même pas une promesse de bonheur. Elle est seulement ce "plus" inexplicable que nous rencontrons dans les êtres et les choses, qui nous force à creuser leur mystère et le notre. Sauver le monde, c'est sauver sa capacité d'éveil. Si notre conscience nous fait accéder, de manière toujours plus insupportable, au manque d'être, au sentiment aigu de la beauté et de la douleur, de l'espoir et du souci, allons-nous refuser de telles richesses sous prétexte de bonheur ? Mettre en doute ses valeurs, bien sûr. Mais douter de son désir... Ne plus être assez pour supporter le manque d'être : Ponge, s'était trompé. Hamlet n'est pas dépassé. Récuser sa question, c'est encore y répondre, par la négative. Parce qu'il a tenté de donner une réponse positive, on nous permettra d'aimer Camus, et de rappeler, aujourd'hui, son importance.
Réévaluer Camus nous parait impliquer un enjeu de taille : Camus ce n'était pas seulement un manière d'écrire, c'était aussi une manière d'être homme et de considérer l'existence humaine.
Prix des lecteurs 2019: Etienne Barilier