Avant la lumière

Tableau

Pour être complet le monde se forme
et se déforme sous nos yeux
recrée la mer et le ciel
le haut et le bas
tel le calque exact d’une illusion
perdue au centre du paysage

Nous tenons la réalité
pour une feinte irréversible
que notre regard plus léger
désormais s’est approprié

Ce qui passe dans l’interstice
— le vide le temps la beauté —
est source de désir
pour ceux qui voient.

Selon que ma vie ploie sous les regrets
ou se retire, parcourue du désir de la fuite
le paysage prend une teinte nouvelle
tantôt verte tantôt bleue
(des arbres ou la mer, l’exil ou le repos)
traversé par le mirage des saisons
et des lieux

Le paysage porte en lui
l’ordre véritable du monde
des signes pleins les arbres
des chiffres de couleurs
pendus au regard des animaux
les preuves de la vie
invisibles le jour
fleurissent quand dorment les eaux
sans mémoire

Innombrables détours de la lumière
venue se colleter au passage des ombres
la pluie, avant que ne soit possible la mémoire
diffractant en bleu en vert en rouge
l’éclat soudain des pierres
un prisme de fleurs au temps du cristal

Écouter la lumière qui bruit
dans le cercle perméable de la beauté
telle se veut la paix : un tableau rare
où l’air est si léger, ainsi répandu
que des oiseaux y dorment en longues cohortes
grands cygnes noirs confondus aux nuages
pareils à des anges liquides