Les murs sont avant tout tes murs. Ils peuvent reculer devant tes pas, mais ta liberté même reste une enceinte si tu ne sors pas de toi-même, lui souffle la bouche rouillée des serrures de sa chambre de détention.
Chaque journée tombait comme une goutte d'eau. Chaque goutte d'eau semblait prête à faire déborder le vase. Mais le vase grandissait en même temps que son contenu. C'était maintenant une jarre immense, une de ces jarres que les nègres du Tchad emploient pour enterrer leurs morts.
Gérane lut le Petit Courrier comme seuls savent lire les détenus, de la première à la dernière ligne, sans omettre les petites annonces et la publicité.
Les asiles, proclamait-il encore, ont deux tâches à remplir : la guérison de l'aliéné et la protection de la société. La seconde passe avant l'autre, car elle intéresse tout le monde et se réalise facilement.
Moyen: le pire de ce qui est bon; le meilleur de ce qui est mauvais Un euphémisme pour médiocre.
La discipline est un corset plus sûr que la bonne volonté.
Arthur Gérane est un de ces garçons abonnés aux fugues, aux coups de têtes et même aux sales coups, un de ces inadaptés qui prennent soit le chemin de l'asile, soit celui de la prison, et n'en sortent que pour y rentrer six mois plus tard [...] ... ses frasques reviennent à intervalles réguliers : fâcheux indice !
(...) Il faudrait créer des horloges analogues à celle de la grande cour de la Santé, qui marque éternellement 11h moins 5. Moins 5 !...espoir proche et bloqué.
Ainsi, grognon, goguenard, servile, doucement lâche, petit rentier de la folie, Gérane s'enfonce dans de menues habitudes ; Gérane s'enlise dans ce sable d'un sablier qui coule indéfiniment, qui laisse à petits bouillons s'évaporer l'eau rare de ses larmes.
Il n'est pas malheureux, il n'est pas heureux, il est. Plus exactement, il survit, il existe. Existence posthume.
Il suffisait d'un changement profond dans le cours de son existence pour qu'Arthur se trouvât provisoirement exorcisé, pour qu'intervînt ce faux état de grâce qui ressemble à une guérison, qui la simule avec la complaisance de l'intéressé soucieux de se créer un alibi d'homme raisonnable. Son inquiétude, jusqu'alors friande de vain spectacle, de vain mouvement, se montrait soudain capable d'accepter une certaine monotonie, une certaine stabilité, à condition d'y trouver une contradiction formelle avec les décors, les habitudes et les plaisirs antérieurs. Normalisation dans l'anormal, en un mot, tant que cet anormal conservait précisément ce caractère sensible. Trêve plus ou moins longue selon la réussite du dépaysement. Trêve, de toute façon, jusqu'à la prochaine intervention du monstre "qui dans un bâillement avalerait le monde"'. Les Gerane ne combattent jamais cette hydre de l'ennui, qui les poursuit toute la vie et perce tous leurs déguisements.