Beaux Arts Magazine, n°367

Valeur de l’art

Les brocantes sauvages se multiplient dans les métropoles, tout comme les ventes de bric et de broc dans les grandes maisons de ventes aux enchères. D’un côté, dans la rue, on vend tout et n’importe quoi pour survivre. De l’autre, on fait la même chose pour s’enrichir ou s’enorgueillir. Tandis que Georges présente sur le bitume un robot Moulinex datant de 1975, François, le pape, met en vente le 5 février prochain, chez Bonhams à Paris, sa Harley-Davidson pour un prix estimé entre 15 000 et 20 000 euros. Une autre moto papale s’était vendue 241 500 euros en février 12014. Soit presque deux fois plus cher qu’une aquarelle peinte par Hitler en 1924 – d’à peine 25 cm par 22 – mise en vente par la maison Weidler à Nuremberg et acquise le 22 novembre dernier par un acheteur anonyme (130 000 euros). C’est en tout cas bien plus onéreux que la carabine Winchester à canon scié utilisée par Steve McQueen dans la série Au nom de la loi et vendue par Alain Delon le 1er décembre dernier chez Drouot à Paris, au prix de 19000 euros (hors frais) !

Pour satisfaire le nombre grandissant de milliardaires dans le monde (ils étaient 2325 en 2014, dont 33 en France) mais aussi de millionnaires (un peu plus de 16 millions, dont 274 000 en France), les maisons de ventes aux enchères publiques multiplient les vacations dans toutes les spécialités possibles et imaginables. A l’art a succédé le design, l’architecture, la mode, la bande dessinée et même l’art de vivre. Demain, on vendra pour sûr des plantes rares, peut-être des recettes culinaires mais aussi des sons ou des odeurs. L’idée ? Vendre et acheter l’inaccessible.

En novembre dernier, les maisons new-yorkaises ont ainsi cédé environ 2000 lots pour plus de 1.5 milliard de dollars. C’est colossal. Et cela ne cesse d’augmenter. Le 12 novembre dernier en une seule soirée, Christie’s a réalisé un chiffre d’affaires de 852,8 millions de dollars, quand l’année précédente il était de 691,58 millions de dollars. Quelle est donc la vraie valeur d’une œuvre d’art ? La réponse des galeries, des maisons de ventes ou des artistes est souvent la même : celle qu’un collectionneur est prêt à payer.

En 2013, le Balloon Dog orange de Jeff Koons s’est vendu pour 58.4 millions de dollars chez Christie’s. L’artiste achetait presque en même temps une peinture de Courbet pour environ 2.5 millions de dollars. Au-delà de ce que l’on peut penser de l’œuvre de Jeff Koons, il est indéniable que le prix de vente de son œuvre est surestimé par rapport à celui de Courbet. Certains prix atteint aujourd’hui par l’art contemporain sont non seulement obscènes mais surtout injustes, hors-sol et complètement déconnectés de l’histoire de l’art. Non, décidément, une œuvre de Jeff Koons ne peut pas valoir près de trente fois celle d’un Courbet. Oui, la valeur de l’art, ce n’est pas l’argent. C’est l’histoire, c’est l’indicible, c’est l’humanité.