Ce roman vient d'obtenir le Prix de l'Escale du Livre. Il le mérite sans doute. le lecteur est tout de suite emporté par ce récit à deux voix, écrit dans un style sobre, intense, épuré, dans une langue où il déverse sa colère, sans points ni majuscules et avec un formidable sens du rythme. Ces vers de
Boileau semblent avoir été écrits pour l'illustrer :
C'est un torrent débordé qui, d'un cours orageux,
Roule plein de gravier sur un terrain fangeux.
On n'avait rien lu de tel depuis Chalandon et Mauvignier, il y a quelques 10 ans de cela. Et pourtant je ferai deux réserves. Voici lesquelles.
La première parce que, du début à la fin, nous lisons un récit insoutenable. M. Belizi privilégie le sordide. Il est constamment dans l'hubris (pardon ! Je me prends pour BHL!), je veux dire dans l'excès et la démesure. Ou pour le dire en langage pop : « il en fait des caisses ». En effet, rien ne nous est épargné, et tout au superlatif. Cruauté, bains de sang, actes de barbarie, exactions de l'armée, soleil de plomb, pluies diluviennes, froid polaire, coupeurs de têtes, viols, saccages, champs infertiles, lions du désert, serpents venimeux, paludisme, typhus, choléra...il n'y manque que la peste ! « Sainte et sainte mère de Dieu ! ». Et au moment ou l'on croit souffler voilà Séraphine qui nous dit : « Dois-je raconter ce qui ne devrait pas l'être ? ». Et bien sûr, elle en remet une couche, et quelle couche !, jusqu'à l'écoeurement. Trop c'est trop. Cet excès en tout, sans la moindre nuance est un défaut et il a fini par me lasser et puis m'insupporter.
La seconde car, à mon avis, il rate sa cible. Son livre veut, à la fois, dénoncer les horreurs de la colonisation et la folie des hommes mais aussi la mission pacificatrice de la France. Et là, je trouve qu'il n'atteint pas son but. Il raconte la colonisation de l'intérieur, à travers la voix d'un colon et celle d'un soldat, français tous deux. Mais où sont donc les futurs colonisés ? J'aurais aimé qu'il leur donne la parole, en introduisant une troisième voix , et qu'il en fasse ainsi des êtres humains. Mais non, les Arabes n'ont pas droit à la parole, ils sont comme effacés, des fantômes cachés dans l'obscurité, déshumanisés, réduits à leur yatagan, toujours prêts à égorger un blanc. Belizi nous les présente, non comme des hommes, mais comme des sauvages, des barbares, des « gueunillards sanguinaires » selon l'image qu'ont d'eux les colonisateurs. Cette vision fait perdre beaucoup de force à son propos. Dès lors, il justifie en quelque sorte « la mission divine » de la France dont l'objectif est d'en finir avec ces « chiens de barbares tombés du ciel d'Allah », les civiliser, « tirer l'Afrique de ses ténèbres » et ne pas les laisser longtemps encore dans « l'effroyable barbarie africaine » . Etait-ce là son but ? Mais ce n'est que ma façon de voir, rien d'autre.
Et c'est ainsi qu'Allah est grand comme disait, avec humour et dérision,
A. Vialatte à la fin de ses chroniques. Qu'il me pardonne pour cet emprunt.