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sur 931 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Avec son mari, ses trois enfants et sa soeur, Séraphine débarque en Algérie au tout début de la colonisation du pays par la France, dans les années 1830-1840. Au terme de leur pénible voyage, les colons ne trouvent que les cailloux d'une terre ingrate qu'il va leur falloir tenter d'exploiter dans des conditions effroyables : la boue et le froid l'hiver, la canicule l'été ; la saleté et les épidémies de choléra qui les déciment dans leurs misérables baraquements de planches ; le manque de tout et la peur qui les étreint, entre attaques arabes, pillards, vipères à cornes et lions du désert… Pendant qu'ils s'échinent et tombent comme des mouches, un escadron de soldats français s'emploie à « pacifier » les territoires conquis, sans autre stratégie que de razzier, violer et massacrer.


Raconté dans des mots d'autant plus frappants qu'ils décrivent l'horreur à hauteur de gens simples, au fil de leur narration humble, morne et résignée de ce qui fait leur banalité quotidienne – un enfer d'une violence inouïe dont ils sont absurdement devenus les acteurs, misérables pions sacrifiés dans une partie motivée par de bien plus gros intérêts que les leurs –, le texte est d'une intensité rare, en tout point saisissante. Alors que, dans sa sidération impuissante, Séraphine n'a plus la force que de ponctuer son récit d'une litanie de « sainte et sainte mère de Dieu » et que, du côté des soldats, l'on s'efforce, avec des termes de soudards, de se redonner du coeur au ventre à coups, faute d'autres motifs, d'exonérants « nous ne sommes pas des anges », c'est une bien peu glorieuse épopée que l'on fait mener par ces pauvres hères, abandonnés à leur misère et à leur peur, à leur lâcheté et à leur cruauté, pour implanter sur ces terres d'Algérie une présence française qui se veut irréversible.


Sans majuscules ni points, la narration s'écoule comme le fleuve du temps et de l'Histoire. le processus infernal dans lequel les protagonistes se retrouvent pris s'est enclenché bien avant le début de leur récit et se poursuivra bien au-delà de leur bref passage dans l'histoire de cette terre. Ils ne sont que de modestes rouages, mais à travers eux et leur parcours aussi pathétique que sanguinaire, s'enracine un mal profond, une colonisation construite sur la pourriture du sang et de la violence, qui, démentant toute prétention dite « civilisatrice », n'annonce qu'un désastre sans fond.


Peinture ultra-réaliste de l'horreur, c'est avec une efficacité sans pareille que, sur un ton d'autant plus implacable qu'égal et factuel, ce roman dénonce les viles réalités de la colonisation. L'on en ressort saisi par cette abjection, on ne peut plus clairement débarrassée des fards dont l'Histoire tend habituellement à l'enjoliver. Jamais je n'avais été aussi tentée d'associer un livre au célèbre Cri de Münch.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Un texte très beau, aussi barbare que lumineux, sur la colonisation de l'Algérie au 19ème siècle.
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Nous suivons alternativement deux groupes de personnes : d'une part, une colonie qui, encadrée par des militaires pour la protéger dans ces contrées « sauvages », va devoir tenter d'implanter des exploitations agricoles et bâtir des villages sur des grands espaces vides de terre brûlée par le soleil. Vides ? Evidemment pas. D'où, d'autre part, les militaires français chargés de « nettoyer » les terres des « rebelles » autochtones avant l'arrivée des civils colons.
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La narration est faite directement par les protagonistes, nous plongeant sans préambule dans ce bain bouillant, sur cette cuite par le soleil : D'abord, une civile volontaire pour être colon nous raconte son périple et sa déception en arrivant sur place, découvrant ce lieu hostile qu'on leur avait fait fantasmer comme une aubaine pour eux, alors qu'ils n'y trouveront que camps militaires en guise de villages, rebelles autochtones prêts à défendre leur territoire en coupant des têtes, épidémies de choléras, morts de leurs proches…
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Ensuite, un soldat parmi les nettoyeurs qui, selon leur leit-motiv pour survivre là-bas en exécutant les ordres radicaux du gouvernement, « ne sont pas des anges », raconte quant à lui les horreurs qu'ils sont obligés de subir pour accomplir la mission que le gouvernement leur a confiée, et celles qu'ils doivent faire subir en retour aux habitants originaires, ces derniers voyant forcément d'un mauvais oeil l'arrivée de l'envahisseur. Obligé de se convaincre que ce qu'ils font est bien pour leur patrie, son mental se reprogramme pour légitimer leurs pires actions : pillages, décapitations, viols… Comment ces hommes, s'ils survivent, pourront-ils un jour revenir à la vie après avoir vécu dans tant de violence ?
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Des deux côtés, rien ne nous sera épargné et nous comprenons alors toute l'horreur qu'a vécu chacune des parties, autochtones compris, à cause de décisions politiques. Si les autochtones sont bien sûr victimes de l'envahisseur, les militaires sont victimes des représailles autant que des personnes qu'ils doivent devenir pour survivre. Aussi lorsqu'on pense à ce qui leur a été demandé on souffre pour eux, même si l'absence de prénom au personnage militaire veut peut-être lui offrir un peu moins le statut de victime. Quant aux civils, ayant un prénom eux, ils en baveront également leur saoul. On aurait pu crier à l'invention si des témoignages de proches revenant plus tard de la guerre d'Algérie ne nous avaient détaillé pareilles horreurs, prouvant que l'Homme n'apprend pas toujours de ses erreurs.
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Malgré tout, je ne vous envoie pas au casse-pipe avec ce roman. Parce que la plume de Mathieu Belezi est incroyablement belle, forte et douce, violente et caressante, sombre et lumineuse. Aussi cruelle que sentimentale, suivant les actions de ses personnages. Ce qui fait qu'outre les rares jolis moments comme les bals, même dans la barbarie des soldats on perçoit leur souffrance, leur douleur sous les carapaces.
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L'auteur nous livre les pensées de ses narrateurs sans ponctuation ni majuscule, comme pour nous couper le souffle avec ses esprits dont les pensées et souffrances ne trouvent aucun repos, en prenant soin néanmoins de placer des paragraphes à chaque respiration, chaque changement d'idée afin que nous puissions les digérer avant les suivantes. Malgré tout la pilule aura parfois du mal à passer et nous sentons à chaque moment, avec les personnages, que la coupe est pleine, prête à déborder. Et l'on se demande à chaque page tournée : sera-ce la dernière, la goutte d'eau qui fera déborder le vase ?
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Un livre tout simple, tout court, et pourtant j'ai trouvé ces 150 pages déchirantes, d'une beauté et d'une force incroyables.
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Mathieu Belezi est de ces auteurs que je vois régulièrement passer sur mon fil mais que je n'avais pas encore pris le temps de découvrir. "Attaquer la terre et le soleil" est celui que je croise le plus souvent en ce moment, et les nombreux et jolis retours des Babelpotes m'ont incitée à le lire à mon tour.

Ce court roman nous emmène en Algérie au XIXe siècle. Nous sommes amenés à suivre d'un côté les colons français fraîchement arrivés dans une des colonies agricoles, et de l'autre côté, la campagne des soldats colonisateurs.

"Rude besogne" d'un côté. "Bain de sang" de l'autre. Gentils français et méchants algériens d'un côté. Méchants français et gentils algériens de l'autre. Choléra et désillusions d'un côté. Razzias et barbarie de l'autre.

De sa plume puissante, âcre, qui ne mache pas ses mots, l'auteur nous emporte dès les premières lignes dans une atmosphère suffocante que l'on ne veut pourtant pas abandonner. Choléra, mort, désillusions, hostilités, viols, massacres, tels sont le quotidien des protagonistes. Certains subissent, peinent à se relever et abandonnent pendant que les autres profitent de leur position et prennent plaisir à se servir. J'ai eu beaucoup d'empathie pour les premiers, alors que les seconds m'ont horrifiée (pour le coup, je puis vous assurer que je ne suis pas fière d'être française...).

C'est un roman court mais très efficace, dur également, qui marque, tourneboule, dérange. J'aurais pas mal de chose à lui reprocher, si je me fie à ce que je recherche dans mes lectures habituellement. Pourtant, je n'y ai pas fait attention, tellement j'étais prise dans ses filets.

Je regrette seulement l'absence de majuscules et de points en début et fin de phrases, ainsi que la fin moyennement satisfaisante, parce que vite arrivée et expédiée pour les uns et totalement absente pour les autres.

Mais il n'empêche que c'est une lecture que je n'oublierai pas de sitôt, tout à la fois dure et prenante.

Première expérience avec Mathieu Belezi, et certainement pas la dernière.
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« Une civilisation proliférante et surexcitée trouble à jamais le silence des mers. »
Claude Lévi-Strauss

Mon chemin de lectrice n'aurait sans doute jamais croisé celui de Mathieu Belezi sans plusieurs billets d'ami.es babeliotes qui ont retenu mon attention. Je ne peux que les remercier pour cette lecture percutante qui m'a emportée dans l'enfer de la colonisation française de l'Algérie au 19ème siècle.
Je ne savais absolument rien de cette partie de l'Histoire, la lecture sert aussi à cela : apprendre, comprendre.

De format très court, ce n'est pourtant pas un roman qui amène une respiration entre deux gros livres. En effet, l'auteur réussit à déclencher dès les toutes premières pages de très fortes émotions. Je dirais même que le récit m'a empoignée, bouleversée.
Je n'ai pas pu lire ce roman d'une seule traite malgré la petite centaine de pages, tellement il m'a touchée et retournée.

*
Ce roman choral donne la parole d'une part, à Séraphine Jouhaud, une française venue en Algérie avec sa famille et d'autres colons pour fonder une colonie agricole ; et d'autre part, un soldat dont nous ne connaîtrons jamais le nom, qui, appartient à un groupe de militaires chargé de pacifier la région et apporter la « civilisation » à ces « peuples barbares ».

« Je les connais vos guenillards, vos hyènes aux chicots sanguinaires qui égorgent mes pauvres soldats venus de France tout exprès pour le pacifier votre foutu pays, pour le nettoyer de sa vermine, nom d'un bordel ! et c'est comme ça que vous nous remerciez ! »

J'ai trouvé ces deux récits très différents.
Séraphine retrace son épuisant parcours depuis la France, laquelle leur a offert des terres algériennes pour s'installer et démarrer une nouvelle vie pleine de promesses. J'ai ressenti ses espoirs d'une vie meilleure, très vite remplacée par la fatigue du voyage, l'inquiétude face à la tache colossale de cultiver des sols ingrats, l'appréhension devant les nombreux dangers, réels et potentiels, auxquels elle et les siens vont devoir faire face.
Car le paradis qu'on leur a promis va très vite se transformer en enfer. Une image me vient à l'esprit, celle du tableau de Théodore Géricault, « le radeau de la méduse » : les colons deviennent des naufragés ballotés sur les terres hostiles d'Algérie, endurant un climat particulièrement rude, attentifs aux bêtes sauvages, craignant les maladies et les attaques de la population locale.
Je me suis sentie proche de Séraphine, j'ai eu de l'empathie, détectant très vite les fêlures qui se dessinaient dans son coeur, repérant les éclats de joie et de certitude qui s'écaillaient et sautaient jusqu'à laisser sourdre une plaie béante, une tristesse indicible.

« Et puis, parce que tout doit être oublié ou pardonné dans cette vie, nous avons fini par enfouir bien au fond de nos entrailles nos peines les plus vives, celles qui jamais ne s'éteignent, et poussés par cet inexplicable instinct de survie nous avons recommencé à nous battre contre le soleil, contre la terre revêche, contre ces Arabes jour et nuit à l'affût et qui n'attendaient que le moment propice pour nous sauter dessus et nous écharper »

Le récit du soldat est tout autre.
C'est un récit d'une extrême brutalité et qui met vraiment mal à l'aise face à la barbarie de ces soldats français qui arrivent en conquérants, en despotes, sûrs de leur bon droit et de l'approbation du gouvernement français, tuant, violant, détruisant tout sur leur passage.
Le soldat répète inlassablement « Nous ne sommes pas des anges ». Et c'est rien de le dire !
Mais l'inhumanité appelle l'inhumanité.
La souffrance appelle la souffrance.
Le sang appelle le sang.
La mort appelle la mort.

« oui, nous sommes sûrs que vous êtes fier de nous, capitaine
et quand nous passons à travers les portes défoncées pour retrouver l'air libre et le soleil, quand le silence retombe sur nos épaules qui fument, quand notre coeur s'ébroue dans nos poitrines noyées de sang ennemi, c'est alors que l'envie nous vient de sortir les pipes, de les bourrer jusqu'à la gueule, d'envoyer dans nos poumons une charge de tabac à nous faire péter la cervelle, ça vaut tout l'or de ce foutu monde ces moments-là, et ceux qui ne fument pas s'en vont tranquillement égorger les ânes et ce qui leur passe sous la main, une brebis, des poules, un chien boiteux qui n'a pas le temps de s'échapper »

Donc deux voix, deux points de vue.
Et face à leur regard sur leur monde, leur temps et leurs actes, notre regard de lecteur deux siècles plus tard. Avec le recul de l'histoire et du temps qui passe, on peut s'interroger sur l'ignorance, la naïveté ou l'inconscience des uns, et les actes ignobles et honteux des autres.

Comment des familles françaises peuvent-elles s'installer en toute quiétude sur des terres qui ne leur appartiennent pas et penser pouvoir vivre en paix du fruit de leur travail ?
Comment comprendre l'attitude des soldats et cette vision de la pacification par la violence et l'oppression ?

La conquête de l'Algérie a été d'une intense brutalité, entre massacres de la population, viols, destructions de récoltes, spoliations des terres, pillages des villages. En prêchant l'agression et l'occupation forcée au nom de la civilisation des peuples autochtones, il n'est pas étonnant que cette violence extrême ait semé les graines de la rancoeur, de la haine et de la révolte.

*
L'écriture de Mathieu Belezi est très belle, lyrique et tendue, poétique et crue, emplie d'amour et de haine, de sauvagerie et de colère, de survie et de mort. Elle est incisive, amère, vive et tranchante, disséquant sans faux-fuyant les émotions des personnages, excisant avec une profondeur poignante et affligeante, l'indicible, l'indescriptible.

Mathieu Belezi trouve les mots qui racontent ces destins pris dans l'engrenage de l'Histoire et de ses intempéries.
Les mots martèlent, ils sont comme des coups de marteau, des coups de poing, des coups de scalpel, des coups dans le coeur. Et les mots font mouche. Imagés, d'une justesse incroyable, ils ont laissé des scènes éprouvantes dans mon esprit.
A travers la cruauté et les larmes, j'ai ressenti la colère, la rage, « le bruit et la fureur », la douleur, la peur, le désespoir. Et malgré la chaleur éblouissante et écrasante de ce soleil algérien, je n'ai vu que la noirceur de la terre que l'on saccage et qui finit par accueillir dans ses profondeurs les restes de cette lutte à mort.

« Ça veut dire que nous serons sans pitié, nom d'un bordel ! ça veut dire que nous n'hésiterons pas à embrocher les révoltés un à un, à brûler leurs maisons, à saccager leurs récoltes, tout ça au nom du droit, de notre bon droit de colonisateurs venus pacifier des terres trop longtemps abandonnées à la barbarie, comprenez-vous bien, soldats, ce que cela signifie ? »

Et puis, l'auteur égratigne la ponctuation, enlevant les points, les majuscules. Cela donne l'impression d'un long monologue.

*
Pour conclure, ce roman est excessivement réaliste, dur, souvent éprouvant pour décrire la barbarie de la colonisation française en l'Algérie et il n'épargne personne, ni les colons, ni les colonisés.
Le style allégé de la ponctuation classique, sous forme de flux de conscience, est très original et marque le récit par l'atmosphère accablante qu'il suscite.
Un petit roman à lire pour découvrir l'envers de la colonisation.
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J'avoue avoir beaucoup de mal à faire un billet sur ce livre.

Non pas qu'il ne soit pas intéressant – il l'est, c'est certain – ni que le sujet ne soit pas d'importance.

Non pas non plus que je critique l'attribution du Prix du Livre Inter auquel j'ai souvent postulé mais sans jamais avoir été retenue – bien au contraire j'ai trouvé le jury très inspiré.

Mais voilà. C'est très difficile de commenter ce livre parce que sa force réside dans son style et sans de bons extraits il me sera bien difficile de rendre compte de cette expérience littéraire.

Car c'est bien d'une expérience dont il s'agit.

Disons un mot du sujet, tout de même, ou plutôt des 2 sujets pour tous ceux qui ne sauraient pas de quoi on parle : il s'agit du récit d'une part de Séraphine, venue avec son mari Henri et ses enfants conquérir les terres que l'Etat français lui a octroyé et celui de ses soldats qui saccagent, ravagent, pillent et violent les populations algériennes dans les villages colonisés.

Un petit coup d'oeil sur Wikipédia, pour rafraichir ma mémoire, m'a rappelée que : » La première étape de la conquête commence avec la régence d'Alger, la partie septentrionale de l'Algérie (le Sahara étant un territoire généralement associé bien qu'indépendant) de juin à juillet 1830 et prend fin avec la signature de l'accord de soumission du régent d'Alger Hussein Dey le 5 juillet 1830 à Alger. » Et aussi que les « territoires de l'ancienne régence d'Alger et ceux de l'État algérien sont annexés à la France en 1848 par la création de trois départements (département d'Oran à l'ouest, département d'Alger au centre et département de Constantine à l'Est). »
Nous sommes dans les années 1850 donc, et Séraphine débarque de la métropole en Algérie.

«j'ai pleuré
Je n'ai pas pu m'empêcher de pleurer quand nous sommes arrivés et que nous avons vu la terre qu'il allait falloir travailler
Sainte et sainte mère de Dieu ».

Pendant ce temps les soldats font rage.
« Nous ne sommes pas des anges
Le capitaine n'a cessé de nous le brailler dans les oreilles, et nous le braille encore.
- Vous n'êtes pas des anges !
Pendant que le soleil dégringole derrière l'horizon et que montent au ciel les alouettes sorties des lentisques et des palmiers nains. »

Ce qui fait la force de « Attaquer la terre et le soleil », c'est son style. Puissant, direct, sensuel et sans fard.

Car il faut décrire une réalité qui, près de 200 ans plus tard, nous fait froid aux yeux. Combien de massacres perpétrés au nom de la colonisation ? Combien de familles comme celle de Séraphine décimées par la maladie, la famine ou les attaques en tout genre ?

C'est ce qui intéressant dans le propos de Mathieu Belezi sur lequel peu de romanciers s'aventurent aujourd'hui : reprendre l'histoire des premiers colons avec son cortège de massacre qui nous fait horreur aujourd'hui. Car rien ne nous est épargné des vicissitudes de la vie des premiers colons (choléra, paludisme, attaque d'animaux, famine) tout comme ce brave soldat qui suit les commandements de son capitaine appelant à piller, violer, détruire, massacrer.

Une sorte de descente aux enfers commune, que l'on regarde aujourd'hui comme des spectateurs regarderaient un film d'horreur, sur un continent loin du nôtre.

Et pourtant c'est notre histoire.

Comment comprendre donc environ 200 ans plus tard, ce qui poussait des familles pauvres à partir à la conquête de cette terre de l'autre côté de la Méditerranée ? et ces soldats à exécuter des ordres qui paraissent aujourd'hui inqualifiables ?

J'ai récemment vu par hasard, sur la chaîne « Histoire », un reportage intitulé « Enfants de pieds-noirs, enfants du divorce » qui donne la parole à des fils et filles de rapatriés algériens. Et leurs difficultés à justifier ce qui fut l'action de leurs parents ou grands-parents. Et ce décalage lorsque, rapatriés en 1962, on les a considérés comme des parias racistes alors qu'ils pensaient servir la France de l'autre côté de la Méditerranée.

Il y aurait beaucoup à dire sur un sujet qui fait débat aujourd'hui sur la scène politique, mais Mathieu Belezi n'est pas sur un terrain : seulement sur celui de la force de l'écriture pour décrire une parcelle de notre histoire qui s'apparente à l'enfer. Et c'est très réussi. »

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Le 14 juin 1830, l'armée française débarque en Algérie sur ordre du roi Charles X. L'Algérie est alors une province de l'Empire ottoman. La prise d'Alger par les Français marque le début de la colonisation de l'Algérie. Mathieu Belezi fait alterner les voix de Séraphine arrivée avec sa famille pour travailler sur cette terre de sauvages et celle d'un soldat venu de France pour pacifier ce foutu pays et le nettoyer de sa vermine.

Un récit court qui vous prend aux tripes. Une réflexion sur cette colonisation d'une extrême violence, avec une plume très réaliste l'auteur nous décrit les exactions, les massacres, les ravages du choléra et d'autres maladies infectieuses, la famine, le sang qui ne cesse de couler, les têtes qu'on coupe, les morts qui s'accumulent. Mathieu Belezi nous raconte cette barbarie et ces atrocités avec une écriture simple et poétique qui nous emporte.


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Ce roman a été multi primé, encensé par de nombreux lecteurs et lectrices de babelio et pourtant, moi je ne lui attribue que 3,5 étoiles....
Je me suis donc interrogée, est-ce un mauvais moment pour le lire ? Ai-je raté quelque chose ?
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L'histoire. la colonisation de l'Algérie (ultra violente) par les troupes de soldats et par les colons installés pour cultiver cette nouvelle terre. Oui mais voilà cette terre est habitée.
On est donc au 19e siècle. On va suivre deux personnages : Séraphine, colon (désolée mais comme possesseur, colon n'a pas de féminin : une femme ne peut pas posséder ni coloniser selon la langue française) et un soldat lambda, non nommé. Séraphine subit la violence des Algériens qui eux-mêmes subissent la violence des soldats dont notre narrateur non nommé. Cercle vicieux, aberrant, réaliste, tristement d'actualité....
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Le style de l'auteur est original, mais un peu sec, distant. C'est sans doute cela qui m'a posé problème. Si ce style correspond aux scènes d'ultra violence racontées par le soldat, il m'a manqué un je ne sais quoi du côté de Séraphine. Ou alors peut-être le point de vue des habitants algériens....
Je me suis sentie étrangère, comme si je regardais d'en haut.
Une petite déception pour moi.
Dommage....
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Née en 62 j'ai en mémoire la guerre d'Algérie qui fait partie de notre histoire proche et qui reste bien présente à travers ce qui se joue encore de ce conflit aux multiples impacts. En ouvrant ce roman je m'aperçois en revanche, que je ne connais rien de la colonisation de l' Algérie par la France de 1830 à 1847. J'y entre dans la boue,le sang et la barbarie.
Deux récits s'entrecroisent. Celui des colons par la voix d'une femme qui va très vite dégringoler du rêve de la terre promise,celle offerte par l'Etat français. Après un pénible voyage, ce qui l' attend, elle et sa famille, n'est pas la petite maison dans la prairie mais un camp de migrants ,le froid ,la faim, la peur, la maladie, la mort.
Celui des soldats,dopés à la gnôle et aveuglés par leur fascination pour leur capitaine,un homme violent sans aucun état d'âme. Ensemble ils détruisent tout sur leur passage et sèment la terreur et la mort. Ils decapitent,violent,brûlent.
Deux rengaines, ou deux credos?! "Sainte mère, Sainte mère de Dieu!" Et " on n'est pas des anges". Ce à quoi j'aurais envie de crier,si j' y croyais " Mon dieu,pourquoi les as tu abandonnés?"
Face aux soldats,les colons inspirent la compassion. Ils sont les proies d'un système politique qui les manipule. Les soldats sont des prédateurs qui ont besoin dd sang sur les mains et dans la gorge. Ils se revitalisent par une propagande dévastatrice et immonde qui les persuade qu'ils sont là " pour pacifier [votre] foutu pays,pour le nettoyer de sa vermine,nom d'un bordel!"
Mais s'ils sont finalement victimes les uns et les autres d'une politique qui les dépasse, cela ne peut excuser les responsabilités individuelles, les actes de barbarie commis dans un plaisir bestial.
Mathieu Belezi ne nous épargne rien de l'horreur des carnages et si vous pensiez que la musique adoucit les moeurs, méditez ce refrain :
Courons au carnage
Vive le pillage
Mitraillons
Brûlons, saccageons !
Et cueillions des galons:
Nous colonisons"
Son écriture est particulière avec des phrases qui ne finissent pas mais laissent des blancs...des vides puis,à la ligne pour poursuivre...
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« Au nom du droit des colonisateurs venus pacifier des terres longtemps abandonnées à la barbarie », la France du 19e siècle s'implante en Algérie, quoi qu'il en coûte aux colons, attirés par les terres, aux soldats, autorisés à toutes exactions, et surtout à la population indigène massacrée, spoliée et razziée.

La charge anti colonialiste est sévère !
Mathieu Belezi a déjà produit une passionnante trilogie concernant l'Algérie et de sa colonisation française. Il façonne ici un brûlot rageur, violent et intense, où à l'écoute de deux voix (un soldat et une femme) s'expriment les colons et militaires confrontés à la chaleur, au froid, aux épidémies, à la faune sauvage et aux soubresauts bellicistes de la population locale.

Par la cruauté des soldats, les galères sans nom des colons, le propos est presque caricatural mais agresse le lecteur par la véracité des faits historiques en filigrane
Un livre percutant à l'écriture originale, où l'effroi et la folie brisent les destins humains.
Impressionnant !
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D'un côté, des soldats qui avancent dans un désert (au sens propre et au figuré), qui ont pour seule mission de prendre des positions, destructions, viols et meurtres (mais non ce sont des actes de guerre !) nourrissant les hommes. de l'autre côté, des familles envoyées dans l'enfer, à qui on avait sans doute promis un Eldorado, qui auraient dû bâtir un avenir entre la pes...guerre et le choléra. Dans les deux cas, une colonisation violente et barbare, pour des enjeux politiques (?), indigne d'un pays civilisé. Violer les femmes et des terres : s'approprier une "terre pas commode", peut-être parce qu'elle veut pas non plus. C'est sans concession que l'auteur décrit la colonisation de l'Algérie. C'est une narration crue et pourtant pas insoutenable, tant c'est savamment dosé entre l'abject et l'incompréhension, la puissance des uns et l'impuissance des autres ! Les beaux discours politisés offrant en sacrifice ceux qui les ecoutent,entre les pontifes paradant et les lions dévorant. Tout ça pour ça clôturerons-nous. Et c'est encore un Prix Livre Inter mérité cette année. Une fulgurance en effet.
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