De la poussière et du sang, de la peur et des larmes, le froid mortel de l'hiver avant la canicule suffocante de l'été, le choléra et la (présumée) sauvagerie des populations locales : voilà l'Algérie coloniale de
Mathieu Belezi.
Voilà l'enfer qu'il réserve aux premiers colons français, fraichement débarqués en ce milieu du XIXème siècle.
Voilà la terre maudite que découvrent Séraphine et les siens, à la descente du bateau.
Voilà l'épouvantable théâtre des opérations menées par le capitaine Landron et ses hommes, des mercenaires sadiques et ivres de violence.
Un chapitre pour elle, Séraphine, en proie aux pires tourments dans le camp de misère que les pionniers tentent dans la douleur de bâtir et de sécuriser ; puis un chapitre pour lui, le soudard à la solde du terrible Landron, pillant, violant, trucidant et incendiant tout ce qui fait obstacle à la troupe.
Deux voix hurlantes qui se répondent et se percutent, deux êtres projetés en terrain hostile, et page après page un même souffle épique et dévastateur, une même abomination, un même relent de mort et de désolation.
L'écriture de
Mathieu Belezi est "sensationnelle", au sens premier du terme puisqu'elle n'est en effet que sensations, tensions et pulsions.
Ses mots nous saisissent, ses descriptions nous glacent, sa cadence effrénée nous consume.
Si elle peut surprendre au début, l'absence totale du moindre point confère finalement au texte un rythme débridé qui ne nous laisse aucun répit, pas plus que n'en ont les deux personnages noyés dans un environnement qu'ils ne comprennent pas - tellement loin du paradis que la République leur avait promis ! - et qui les terrifie (elle) ou qui excite au contraire leur folie sanguinaire (lui).
Dans un cas comme dans l'autre, le déracinement semble insurmontable, et quel que soit le narrateur qui prend la parole nous voilà scotchés, médusés, comme pris sous la mitraille d'un style à la fois plein d'oralité et presque saturé d'images fortes. Les descriptions des exactions perpétrées par l'armée française, comme celles des conditions de vie abominables au sein du campement de fortune sont de fait insupportablement évocatrices.
Voilà (entre autres !), ce qui fait la force de ce récit de conquête terrible et sanglant, un roman aussi bref qu'intense sous-tendu par un propos anticolonialiste évident.
Magistral !