Deuxième lecture d'une oeuvre de
Philippe Besson après «
Son frère » que j'ai énormément apprécié, «
Un instant d'abandon » a confirmé mon impression sur le talent de l'auteur, talent à trouver une juste musique à travers un style simple, accessible, mais singulier. Pourtant, j'ai été moins séduite par cet opus, car, comme je l'avais déjà observé pour «
Son frère », il me semble parfois que le récit se perd dans des méandres qui affaiblissent la portée de l'histoire.
Ainsi, le personnage principal, Thomas, est extrêmement fort. Il est le narrateur, et le livre est construit en quatre parties, dont trois dans lesquelles Thomas se raconte via d'autres personnages. J'ai eu l'impression que ces personnages annexes ne sont pas assez fouillés : leur fonction consiste surtout à permettre au récit d'avancer plutôt que d'exister pleinement. Toutefois, cette réserve est une critique minime, car l'ensemble du roman vaut largement le détour.
L'action se déroule en Cornouailles, et
Philippe Besson peint admirablement le décor, âpre, sauvage, insulaire, la rusticité des habitants, l'économie de gestes et de mots, le repliement sur eux-mêmes tout en formant une entité clanique de laquelle Thomas a été exclu par sa faute inexpiable. Contrairement à ce que l'on peut croire au début du roman, celui-ci n'est pas l'histoire d'une rédemption, et c'est ce qui en fait son originalité et son audace. J'aime qu'un auteur m'étonne et bouscule mon petit confort de lectrice. Et, comme dans «
Son frère »,
Philippe Besson avance ses pions lentement mais sûrement, tout en délicatesse, et sans provocation facile. Il décrit la violence, l'horreur, avec la même dose d'humanité que les sentiments les plus tendres et plus acceptables par la communauté qui fait loi. Thomas ne revient pas chez lui pour être pardonné par ses pairs, mais pour mesurer le chemin parcouru et se retrouver. Tout au long du récit il apprend à relever la tête.
Une des autres nombreuses qualités que je trouve à ce roman est que l'auteur n'essaie pas de nous rendre Thomas sympathique. Sous bien des aspects, nous avons bien du mal à éprouver ne serait-ce qu'un minimum d'empathie pour lui. Plus encore, parfois, ses pensées peuvent nous dérouter, voire nous révulser. Mais
Philippe Besson nous conte l'itinéraire d'un homme dans un moment crucial de sa vie, et ce parcours est passionnant, parce que hors du commun. Il faut dire aussi que Thomas a le courage de celui qui seul affronte le groupe avec en lui l'orgueil et la détermination du rebelle, sans pour autant posséder un ego démesuré. Mais, et je ne précise pas pourquoi pour ne pas trop dévoiler l'intrigue, il a acquis depuis peu une certaine assurance. Aura-t-il accès au bonheur, trouvera-t-il la paix ? Nous ne le saurons pas, et c'est très bien ainsi.
Voilà, le roman se termine là où il aurait pu commencer, et j'aurais aimé connaître la suite du destin de Thomas, car, comme je le soulignais auparavant, certains paramètres de l'histoire nous laissent sur notre faim, comme par exemple le personnage de Luke que j'aurais aimé davantage exploité. Mais, après tout, il vaut mieux que le désir perdure plutôt que d'être totalement assouvi. C'est pour cette raison que je ne tarderai pas à goûter à la lecture d'un troisième opus de l'auteur. J'attends la digestion de celui-ci pour m'attaquer au prochain menu, et ne manquerai pas d'en faire un compte-rendu ici même pour tous les gourmands et gourmets intéressés.