Croquer la vie, de
Didier Betmalle, revient avec une couverture goûteuse à souhait. Car en plus d'être bon écrivain, cet auteur est bon photographe. Autrement dit, il prête une attention constante à la nature, et elle englobe l'humain (nous n'en sommes même qu'une petite partie, mais dirait
Descartes, nous le savons).
Cet ouvrage de fictions justes est d'une vraie unité, contrairement à certains recueils de nouvelles aux volets qui battent comme ceux d'une maison abandonnée. Cette unité, c'est la vie dans toute ses dimensions, la vie qu'on observe et qu'on partage, celle qu'on essaie de capter pour l'offrir. Et voilà le cadeau ! Elle est pas belle, la vie ? Commencer un lundi avec ça dans sa machine à textes grande ou petite ou moyenne, c'est la joie assurée.
Le double sens du titre, dessiner, déguster, vous ouvre d'emblée la variété des récits rassemblés dans ce volume. L'absence d'illustration permet de ne pencher ni d'un côté ni de l'autre quant à l'interprétation. Voici donc la vie sur un plateau (de cinéma, théâtre, fruits de mers, fruits tout courts, au choix des lecteurs).
L'art majeur de
Didier Betmalle est celui de la présence, oui, rendre la vie présente, la laisser se dérouler sous nos yeux comme naturellement. Des mots simples, justes, des situations de départ choisies en plein vol, et voilà une lecture joyeuse… non, pas toujours. Il y a d'abord Martin, le caricaturiste, endeuillé d'une femme aimée, il croque et découpe les visages pour leur faire dire le vrai, la ressemblance impalpable. Ma lecture a été brouillée cependant par le souvenir d'un polar nordique autre caricaturiste à ciseaux découpeur d'ombres qui dansent avec art – mais celui-ci était finalement un meurtrier…. Oui, on lit souvent avec d'autres histoires en stock… Mais ce Martin a croqué puis marché jusqu'à l'océan… et je laisse la fin en suspens.
La nouvelle suivante est allusive, « Et tous ces instants secrets, mystérieux, de création sourde, d'écriture illuminée, de songes passionnés », mais tout aussi prenante : qui n'a jamais quitté un lieu aimé ? Ensuite, le Bicyclêtre présente, sous la forme d'une enquête en « je », un être étonnant, cycle et homme, façon centaure moderne. Fait-il du mal, est-il dingo ? En tout cas il a un projet, celui-se dévoile in fine, grandiose, et pourtant si simple, une oeuvre, l'oeuvre de soi.
Vient ensuite un texte tout de retenue, la relation d'un fils avec son père, Les poraux à la sauce lunaire, dense d'émotion, forte de sa simplicité, elle vous restera sans doute en tête un moment, celle-là (aussi). Mais là, je me suis prise à rêver : et pourquoi ne pas développer ? Mais la forme courte est si forte, si poignante. Elle suffit, elle nous laisse sur le sable, mûrs pour relire ou rêver.
La nouvelle qui suit, Eau de vie, est hilarante, et sa chute, irrésistible. Chut ! le rythme de volume est bon, lent, rapide, court, long, l'étonnement demeure. Avec la justesse des mots. « Après, toute cette rage, il la glisse tranquillement dans la ruse. » : rage et ruse, il faut oser ; tranquillement, en plus. On peut retrouver cet art par exemple dans les nouvelles de
John Updike, ce n'est pas un petit bras, lui.
Je continue ma relecture (c'est la troisième fois que je déguste ce volume-là), Irrésistible, entre histoire d'amour, iris et parfums, et puis, pour le pauvre Théodore de la fin du XVIIIe siècle, quelle affaire d'avoir les pieds plats ! « Quand il était contraint de s'y montrer pour conduire ses affaires, il croisait les badauds en lalalan quelque gavotte pour feindre bonne figure » Vous rirez, ce sera tendre et gai, humain.
Ensuite, on passe direct à une histoire d'amour et de bagnoles, ou l'inverse, avec le cul à l'honneur. Les transitions sont un art maîtrisé : dans le vide entre les nouvelles, ça parle encore, d'hier, de maintenant, et de demain, sûr. Mais la nouvelle suivante manie l'amour et le choc, l'amour à trois, qui un jour coince à force d'espérance et de promesses pirouettantes. Et puis la renaissance, mais est-ce cela qui danse au fond des coeurs, ou autre chose, en particulier celui qui dit « je », une autre vie, différente. Tellement proche de la vie que vous vous y retrouverez (sauf ceux et celles pour qui un plan-cul Tinder est équivalent à un McDo…)
J'ai beaucoup aimé aussi Ruth coupant son bois en musique (je m'y voyais, mais où vais-je coller ma musique ? pas dans les oreilles, il faut qu'elle emplisse la nature, enfin une petite partie…). En plus Ruth écrit, « Ruth disait souvent, quand on l'interrogeait sur les mystères de l'écriture : ‘L'amour du chantier, et avant toute autre chose, un personnage vivant'. » Arrive alors le jeune soldat… Chut ! Bascule-t-on dans l'imaginaire, vous verrez bien. C'est votre lecture, maintenant.
Et avec la tante Marceline, où sommes-nous ? « C'est ici que je vois mes morts, murmura-t-elle à mon intention, d'une voix dépourvue de matière, sans rompre le contact avec l'ombre qui glissait derrière elle – dans une dimension que je ne pouvais percevoir » . Nous voilà transportés ensuite à Carcassonne puis à Lima ! Sommes-nous plus que nos sens, bien plus que nous ne saurions l'imaginer, certaines fois ?
Et puis quoi ? « Si c'est pour raconter une histoire linéaire, ce n'est pas la peine – primo, ce n'est pas mon truc, secundo, ce n'est pas mon truc, terzo,… » Je vous laisse découvrir la suite, et je partage ma certitude : vous ne vous ennuierez pas. Combien de fois ai-je relu des nouvelles de ce recueil, par dedans, au début, à la fin, dans le train, le métro, ailleurs (pas en conduisant, non) ; et ce n'est pas fini. Alors, rapport qualité/prix, y a pas mieux. Façon de dire que j'aime beaucoup ce recueil. Merc,
Didier Betmalle et bonne continuation, car il faut continuer à célébrer la vie !
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