Ayant pris l'habitude ces derniers mois d'entrecouper mes lectures issues de l'édition traditionnelle avec des lectures d'auteurs indépendants, je me suis laissé tenter par ce premier titre de
Matthieu Biasotto parce qu'il semblait disposer d'une notoriété importante dans le milieu indépendant et que j'étais curieux de voir ce dont il était capable. Comme j'ai eu de très bonnes surprises et même découvert de véritables talents parmi les indés, j'abordai cette lecture en toute confiance.
Et, je dois le dire, je suis tombé de haut.
D'abord, sur la forme : il demeure de nombreuses coquilles (souvent des omissions de mot), des passages entiers sont dans une typographie plus petite que le reste du livre. Lorsqu'on s'exclame (ce qui arrive souvent), un point d'exclamation ne suffit pas, il en faut deux, voire trois ou quatre. Il en est de même avec les points d'interrogation lorsqu'on s'interroge, d'ailleurs. Et le mélange des deux est assez usité, comme dans une BD. Les majuscules d'imprimerie sont utilisées à tout bout de champ, dès qu'un personnage insiste ou gueule, ce qui arrive là-encore souvent. Un paragraphe entier en MAJ ? Ça ne l'arrête pas.
L'auteur ne se sent pas concerné par la concordance des temps. Il passe du passé au présent et du présent au passé à chaque instant, plusieurs fois par paragraphe, voire dans une même phrase, et c'est extrêmement perturbant.
Le style tourne très souvent à la rafale ininterrompue de phrases de 3, 4 ou 5 mots. Très souvent nominales, les phrases, ce qui peut aller presque jusqu'au style télégraphique.
Sur le fond, ensuite. le livre n'est pourtant pas bien long, mais beaucoup de pages sont dépensées à nous répéter des choses que l'on sait déjà ou que l'on a forcément devinées, et à nous dire des choses parfaitement inutiles ou évidentes. Mention spéciale pour les textos que les personnages s'envoient, que l'on va retrouver texto, c'est le cas de le dire, en encadré s'il-vous-plaît. Idem pour le texte du billet de train SNCF (!) qu'un personnage va prendre, idem pour le rapport détaillé d'autopsie qui n'apporte strictement rien à l'histoire.
Les approximations techniques également sont légion, et font désordre dans un polar : par exemple, la victime meurt le matin, dès l'après-midi son autopsie a déjà eu lieu et le rapport est prêt. Et pour la deuxième victime, une nouvelle autopsie a lieu pour une victime d'un accident de voiture, à un moment où le lien entre cette victime et le suspect n'est pas connu, l'auteur le dit bien. Or, on n'autopsie pas en principe les victimes « ordinaires » d'accidents de la circulation.
On touche le fond, et cela a déjà été souligné dans d'autres critiques, sur la relation entre le capitaine Tourrié et sa subalterne, le lieutenant Sanchez.
« Sa peau en éveil. Ses sens à l'affût des moindres gestes de son supérieur. Elle est sa chose. Elle est le feu, il est sa glace. Elle est liquide, il est solide... » (sic)
Donc la policière en pince pour son chef et cela semble réciproque, au point qu'elle s'aventure à lui faire une petite gâterie dans la voiture, sur un parking, ce qui lui vaut de se faire jeter. Ils vont jouer au chat et à la souris ainsi quelques temps, tout en continuant brillamment leur enquête, comme ici :
"Sanchez ouvre la porte avec un coup de pied violent" (... puis, trois lignes plus loin...) "Sanchez porte son index aux lèvres pour indiquer à son capitaine de rester silencieux" (sic)
Il faut préciser qu'ils débarquent tous flingues dehors dans la chambre d'hôpital du mec parce qu'ils pensent qu'il risque de tuer une fille, Élise. On le sait depuis longtemps, puisque l'auteur nous a fait le coup de l'idée fulgurante et du rodéo en bagnole pour essayer de la sauver.
Et donc après avoir défoncé la porte, Sanchez demande à son capitaine de faire silence, braque son flingue sur le lit qui est... vide.
Et là, le capitaine s'écrie :
– Elise ! P***** ! Il va la tuer !
Ou là :
« Elle plonge dans la voiture [sérieusement ? La tête la première ?]. Met le contact et pulvérise la pédale d'accélération. » [Ah zut, ça c'est moche. On aurait dû lui expliquer qu'elle était Robocop et que sa jambe d'alliage pesait 1500 kg. Va falloir qu'elle y aille à pied maintenant !]
Sanchez l'amoureuse transie va encore se faire jeter une ou deux fois, faire quelques crises d'hystérie, menacer de démissionner (!), laisser entendre à ses collègues qu'elle a fricoté avec le capitaine (!!), avant que, finalement, il ne l'emmène chez lui dans le noir, n'allume la lumière et lui dise :
- Voilà, bienvenue chez toi Stéphanie ! (en fait je t'aime depuis le début, nianiania, la dernière qui est entrée ici c'est ma femme, nianiania, mais elle m'a quitté depuis 15 ans !)
De toute évidence, notre capitaine a absolument tout compris à la psychologie des femmes. Et l'auteur aussi, vu qu'en plus, ça marche !
La fin relève un tout petit peu le niveau, avec un chassé-croisé entre le présent et le passé qui explique certains détails qui nous avaient échappé sur le coup. Sans être révolutionnaire, c'est plutôt bien pensé et cela permet de raccrocher à peu près les morceaux du puzzle d'une intrigue qui n'est somme toute pas forcément mauvaise, mais quand même ultra-classique, et surtout très malmenée par les nombreuses scories susdites.
Le seul léger moment d'empathie que j'ai eu aura finalement concerné les coupables, et la raison pour laquelle ils ont mis en oeuvre toute cette machination.
Pour parachever le tout, on introduit le surnaturel, mais sans la moindre explication à la clé, et le tout finit en énorme queue de poisson.
L'auteur nous donne quelques explications dans sa postface sur sa façon de voir les choses, et j'ai notamment retenu celle-ci :
« Mon écriture est accessible et je l'assume. »
Un joli euphémisme que voilà, en fait. L'écriture des collégiens est « accessible », elle aussi, mais ils n'ont pas la prétention de la vendre.
En conclusion, l'auteur pourrait sans doute faire du
Marc Lévy, à condition de bénéficier d'une armée de correcteurs pro, ce qui doit être le cas maintenant puisque je me suis laissé dire qu'un éditeur venait de s'emparer de lui.
Et en tout état de cause, laisser en ligne quelque chose d'aussi inabouti est, pour moi, une faute inexcusable pour quelqu'un qui a l'ambition d'être un écrivain professionnel.