Récit à deux voix et en deux langues (français, et allemand traduit par
Alain Royer),
Toi et moi je t'accompagne donne la parole à
Adam Biro et
Karin Biro-Thierbach, arpentant l'Oblast de Kaliningrad — anciennement Königsberg, capitale de la Prusse orientale ; à la découverte de cette partie du monde ensevelie sous les ruines d'années de conflits et de guerres. de l'aéroport de Palanga à l'isthme de Courlande en passant par la mine d'ambre d'Iantarny ou encore Tilsit et sa statue de
Lénine, le couple parcourt, ensemble, la région mais chacun témoigne individuellement de son expérience. Si les deux journaux s'interpellent, se font écho, se croisent et se répondent souvent, ils sont tout à fait distincts — non seulement par le “tête-bêche” (choix éditorial de la Chambre d'échos) mais également par le message rendu.
Adam Biro, né juif à Budapest et fuyant à 14 ans la révolution hongroise, réside en Suisse où il rencontre sa future femme, allemande, avant de s'installer définitivement en France. Dans ce récit, il accompagne cette dernière sur les traces de ses ancêtres en Prusse orientale, il tente de se trouver une place sur cette terre hostile et totalement inconnue. Avec pour support d'écriture un album-photo (photos imaginaires), Biro décrit chaque cliché pour ensuite ouvrir sur des thématiques plus larges. Découvertes et explications de lieux, anecdotes sensorielles de voyages, rappels historiques, commentaires culturels, remises en question existentielles : son témoignage riche et divers déstabilise par son franc-parler mais séduit toujours grâce à une écriture personnelle, sans artifice et délicieusement cynique. Rythme effréné, listes, adresses aux lecteurs, ponctuation libre (il ne met jamais de majuscules aux noms propres des dictateurs) ; son style oral attendrit le lecteur, rapidement immergé dans son cheminement de pensées. S'il oscille entre la légèreté de blagues grivoises ou de moments de voyage contemplatifs et le rendu grave et éperdu des horreurs du XXème siècle (qu'il vulgarise pour permettre au plus grand nombre de les appréhender), le texte de Biro reste relativement sombre. Aux maintes questions qu'il se pose lors de cette exploration atypique, presque masochiste pour un exilé juif de famille amputée par l'antisémitisme, il n'en découle que très peu, voire aucune réponse, sinon une incompréhension hébétée. Mais grâce à une écriture brillamment espiègle, l'auteur s'arme d'un bouclier solide pour cette traversée sinueuse et nous livre un témoignage honnête, sobre, digne et surtout, last but not least, une déclaration d'amour à sa partenaire de vie, sa complice, sa femme Karin.
Karin Biro-Thierbach, quant à elle, opte pour un récit plus traditionnel : son témoignage suit l'ordre chronologique et géographique de cette exploration. “Exilée par choix” d'une Allemagne qu'elle ne validait pas, Karin fuit très jeune son pays et s'installe en France avec Adam (après des études de la langue). Mais toujours consciente de ses origines hanséatiques — sa famille paternelle est originaire de l'Oblast — ce voyage sans doute longuement muri devient sa conquête des origines, dans l'espoir d'éclaircir un passé obscur, oublié et d'en apprendre davantage sur son père. Alternant les adresses directes (à Adam, ses filles ou son père — qui ne sont pas sans rappeler l'ouvrage
Les ancêtres d'Ulysse de son époux), les impressions de lieux, les apartés politiques et les récits historiques (implacable évocation du camp de concentration pour femmes juives de Stutthof), avec de fréquentes références à la culture allemande (chants, romans, contes), Karin nous offre un texte moins universel mais plus autobiographique et personnel, moins incendiaire mais plus lyrique, moins polémique mais plus profond. Par une écriture riche, fournie et poignante, l'auteure se dévoile à fleur de peau dans cette quête qui s'avérera globalement décevante et stérile (très peu de traces de son père, aucune de la ferme de la famille, à l'exception d'une brique récoltée par Adam) ; si ce n'est pour le couple lui-même — réunion jugée “improbable” par l'histoire, qu'un voyage au coeur des discordances rapproche et finalement renforce.