La gazette des Beaux-Arts, que nous fondons aujourd'hui, n'eût pas été possible il y quinze ans; elle n'aurait pas eu alors huits cents souscripteurs : maintenant, si elle est faites comme nous le comprenons, elle en peut avoir facilement dix mille.
D'où vient ce changement, et que s'est-il passé dans le monde? Comment s'est formé en si peu de temps cet immense public, si prompt a s'intéresser aux choses d'art? Ce n'est pas, sans doute, que nos organes aient acquis une délicatesse imprévue, que notre esprit se soit tout à coup raffiné la France est depuis longtemps la nation le mieux façonnée à toutes les jouissances du goût; mais, il y a quinze ans, le public regardait ailleurs. Les grands artistes de la tribune, de la politique, de l'histoire, occupaient alors toute la scène, et l'art n'était qu'un agréable intermède dans ce drame émouvant des intelligences en rivalité, en lutte et en'action. Que d'événements, depuis, ont détourné le cours de nos idées!
Vint la paix de 1853, date importante à signaler! L'Angleterre allait donc pouvoir librement mêler sa vie à celle du continent! Comment l'art 'n'aurait-il pas gagné à un de ces grands mouvements qui, rapprochant les peuples, font jaillir de ce contact mille étincelles ? Rome, Paris, Naples, Athènes, Vienne, Dresde, sont, dès ce moment, inondés par des flots d'Anglais; les routes se couvrent de touristes enthousiastes; les artistes qui sont allés chercher l'inspiration au loin, rapportent de la contemplation dés chefs-d'oeuvre étrangers un trésor de souvenirs fécondants et d'idées neuves; la liste des noms illustres s'enrichit d'autres noms; des institutions nouvelles naissent dans toutes les villes principales du Royaume-Uni; des expositions annuelles s'y organisent; des musées et des galeries publiques s'y forment: c'en est fait, fart va se trouver acclimaté parmi les brouillards de la Tamise, de la Tweed et du Shannon.
C'est pour leur constituer un organe que nous avons fondé la Gazette des Beaux-Arts. Sur les ailes de cette feuille volante leurs pensées se répandront, non pas en Europe, mais dans le monde entier, dans ce monde qu'a rapetissé la grandeur de l'homme, et qui, aux yeux de notre philosophie nouvelle, n'est plus qu'une province de ses royaumes futurs. En supprimant les distances, le génie humain a condamné les ténèbres à disparaître de la surface du globe. Et comment les dissiper, si on ne commence par faire briller les notions du beau? Comment rendre aimable la vérité,, si ce n'est au moyen de l'art, qui en est la grâce?